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Lettre aux Amis de Chalais N°4

 

EDITO de la Prieure !

« Il (le juste) ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le Seigneur.
Son cœur est confiant, il ne craint pas… » Ps 111, 7-8

A la fin de ce carême, dont nous nous souviendrons tous pendant longtemps, ces versets de psaume me travaillent. Comment après la grande désillusion de l’annonce des actes commis par Jean Vanier, comment après cette terrible pandémie mondiale que provoque le Covid19 être encore confiant ? Il ne serait pas juste de répondre trop vite à la question tant cela a provoqué un tsunami dans la vie de nombreuses personnes, tant cette période de confinement est une épreuve pour les plus pauvres, les plus fragiles. Au seuil de cette semaine sainte, notre cœur est bouleversé. Présentons au Christ le cri de toutes ces personnes trahies dans leur confiance, victimes de la maladie, ou tout simplement angoissées par la situation. Il me semble que c’est là notre place de croyant : ne pas répondre trop vite, ne pas vouloir consoler trop vite. Regardons le Christ qui en prenant notre humanité a choisi librement de souffrir « avec ». Prenons le temps durant ces jours saints de nous laisser rejoindre par cette vulnérabilité du Christ.

Alors, nous pourrons aussi chanter en vérité avec le psalmiste :
« Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
Ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption. » Ps 15, 9-10

Oui, la résurrection nous est promise, la vie est plus forte que la mort. Mais cela ne sera vrai que si nous sommes passés par la mort avec le Christ et avec tous ceux qui souffrent en ce moment.

 sr Julie

 

SOMMAIRE :

– Nouvelles de la communauté (suivre les liens)

– “Je m’appelle, Georges Bernanos” sr Pascale-Dominique

– “Catherine de Sienne, une femme au désir de feu !” sr Agnès

– “La vie est un don.” sr Julie

– Bloc-notes

 

NOUVELLES de la COMMUNAUTÉ :

Janvier 2020         

Février 2020          

Mars 2020              

 

 

Je M’APPELLE, GEORGES BERNANOS !
sr Pascale-Dominique op

Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.”

“Je m’appelle Georges Bernanos !”

Je me souviens avoir écrit ces mots tonitruants sur une feuille de brouillon, au crayon à papier. Je devais avoir seize ou dix-sept ans. Oui, j’aimais Bernanos autant que Dostoïevski car l’un et l’autre avaient la passion de saisir quelque chose du mystère des êtres, au-delà des apparences. Tous deux étaient fascinés par le combat entre la grâce et le péché, ce qui en nous résiste à l’amour et la liberté du consentement à Dieu. Dans la communion des saints, orgueilleux et menteurs sont sauvés par l’humilité des petits, leur pureté de cœur. Je trouvais là cette lumière vibrante qui déchire les ténèbres du mal et du malheur, une note d’espérance en dépit de tout et “l’espérance a les mains jointes” (le journal d’un curé de campagne).
C’est justement cette œuvre qu’il m’a plu de retrouver, en mémoire de mes racines spirituelles, pour en dire quelque chose à mes sœurs.
Il est une autre raison qui m’a incitée à cette modeste étude, c’est ma prière pour les prêtres et pour l’Église.
Les prêtres…tous les prêtres, les indignes comme les justes, ceux dont on parle beaucoup et qui font scandale et ceux qu’on ignore et qui nous font vivre, ouvriers discrets de la grande Église. J’ai une pensée spéciale pour les jeunes prêtres souvent critiqués pour leur ritualisme, une certaine raideur et cette étrange nostalgie d’une époque qu’ils n’ont pas connue. Peut-être faudrait il mieux les écouter, mieux comprendre ce qu’ils cherchent et désirent aujourd’hui. Beaucoup insistent sur la vocation spirituelle du ministère sacerdotal. Oui, tous les baptisés sont « prêtres, prophètes et rois » mais dans le peuple de Dieu, le prêtre a un rôle unique qui répond à un appel non pas supérieur mais plus humble, l’appel du serviteur, ce que d’aucuns oublient, comme le souligne le pape François. Les jeunes prêtres trouvent leur modèle chez le curé d’Ars, incasable en notre temps mais qui correspond à leurs aspirations de service des pauvres et d’union à Dieu, principalement manifestée dans l’eucharistie dont ils sont les ministres.
Le pape François a compris cela et sa très belle « lettre aux prêtres », à l’occasion des 160 ans de la mort du curé d’Ars, en témoigne.
Tout ceci a servi de terreau à la relecture du « journal d’un curé de campagne ».

C’est l’histoire d’un jeune prêtre du Nord de la France, le curé d’Ambricourt, un anonyme dont la sainteté reste cachée à ses paroissiens auxquels il se donne sans compter et sans rien recevoir en retour. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il les sauve de la mort, de la perdition, du désespoir, sans même le savoir. Ses œuvres visibles ne sont pas brillantes, il n’a pas un tempérament de manager, sa beauté, sa bonté échappent à tout le monde ou presque. Rien pour sa propre gloire, tout pour la gloire de Dieu. On croit entendre Bernanos se disant à lui-même : « les pauvres sauveront le monde ». Et il est sûr que cet homme dont le père, alcoolique, tient un petit bistrot, appartient, de par sa famille, à la race des pauvres. Lui-même se nourrira peu et mal de pommes et de vieux croûtons de pain, le tout arrosé d’un verre de vin quotidien de la dernière qualité. Ce régime achèvera de détruire une santé fragile dont il ne se soucie pas. D’autres, par contre, comme le curé de Torcy, homme de foi, de prière, bien planté sur ses jambes, vient en aide au jeune prêtre, le conseille, veille sur lui avec une affection mêlée d’estime qu’il laisse peu paraître. Il a compris que le curé d’Ambricourt fait partie de ces saints que personne ne remarque. Ces deux prêtres, d’ailleurs, sont des figures de saints très différents mais si beaux aux yeux de Dieu. Le curé de Torcy aura ces paroles magnifiques : « Lorsqu’il m’arrive d’avoir une idée, une de ces idées qui font du bien aux âmes (…) j’essaie de la porter devant le Bon Dieu, je la fais tout de suite passer dans ma prière. C’est étonnant comme elle change d’aspect, on ne la reconnaît plus des fois ».
Une autre figure de prêtre est celle d’un homme qui a quitté le sacerdoce et vit avec une femme. Malade, désargenté, il appelle à son secours son camarade de séminaire, le curé d’Ambricourt : »Viens vite ». Et c’est dans un réduit encombré où vit le couple que son ami, venu l’aider, mourra au petit matin. Ses deux compagnons de misère sont cette humble femme aimante et son vieil ami de jeunesse. Ainsi entrera-t-il dans « la sainte agonie ».
« Qu’est-ce-que cela fait ? Tout est grâce » sont ses derniers mots. Telle est la grâce de l’enfance retrouvée à l’heure de la mort, grâce que connaîtra Georges Bernanos aux dernières heures de sa vie terrestre.

CATHERINE de SIENNE, une FEMME au DESIR de FEU !
Sr Agnès op

“Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive” Jn 7,37

Très vite après mon entrée dans l’Ordre, Catherine de Sienne est devenue une grande soeur dans la foi. Mystérieusement, une affinité spirituelle s’est tissée en lisant d’abord ses lettres, puis le livre du Dialogue, et les Oraisons. Elle nait en 1347 dans le contexte d’une Italie rongée par l’épidémie de la peste noire et dévastée par les guerres entre les Cités italiennes, l’Eglise est aussi en crise. Catherine meurt en 1380, deux ans après le début du Grand Schisme qui ne prendra fin qu’en 1417 au Concile de Constance.
Catherine est une véritable femme d’Eglise, ancrée dans la foi, pétrie d’Ecriture sainte. Son oeuvre est marquée par les enseignements de St Thomas d’Aquin et de saint Augustin, surtout chez ce dernier par le thème du désir.
Laïque dominicaine, Catherine est une femme de feu au désir infini, parce que toute enracinée dans l’amour infini de Dieu. Tout son désir est de s’unir au Père de toute miséricorde en suivant son Fils, qui est chemin, vérité et vie (Jn 14,6), dans la plénitude de l’Esprit-Saint. Elle fait sienne la parole du Christ avant d’entrer dans sa passion :”J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !”(Luc 22,15).

L’âme qui désire est celle d’une créature créée à l’image et ressemblance de la Trinité.
Très souvent, Catherine exprime son émerveillement devant l’oeuvre de création du Dieu trinitaire. “L’amour que Dieu eut pour sa créature fut si fort qu’il l’a forcée à nous tirer de lui-même, et à nous donner son image et ressemblance uniquement pour que nous le goûtions et participions à son éternelle beauté” (L. 218, t.2 p. 1188-1189).
Catherine a soin de préciser que seul le Christ est l’image parfaite du Père, du Dieu invisible (Col 1,15) tandis que l’homme-créé à l’image de Dieu- est destiné à être configuré à l’image de son Fils (Rm 8,29). Les êtres humains sont des images de Dieu en voie d’achèvement par la grâce.
La foi au Dieu Créateur plein d’amour suscite chez Catherine un regard d’admiration et une vision foncièrement positive sur le dessein de Dieu : “O amour ineffable, bien que dans ta lumière tu aies vu toutes les iniquités que ta créature devait commettre contre toi, infinie bonté, tu as fait comme si tu ne les voyais pas, mais tu as posé le regard sur la beauté de ta créature, de laquelle, comme fou et enivré d’amour, tu t’es enamouré, et par amour tu l’as tirée de toi et lui as donné d’être à ton image et ressemblance… parce que tu n’es que feu d’amour, fou de ta créature“(Oraison 4).
Dans la toute dernière oraison intitulée le potier et l’argile, Catherine mentionne l’image de Dieu dans son âme avant de prier pour la sainte Eglise et de demander à Dieu de faire miséricorde et lui donner sa bénédiction : “O Dieu éternel et bon maître qui a fait et formé le vase du corps de ta créature avec le limon de la terre, ô très doux amour, d’une chose si vile tu l’as formée et tu as mis à l’intérieur le si grand trésor qu’est l’âme qui porte ton image à toi, Dieu éternel, toi bon maître, mon doux amour, tu es ce maître qui défais et refais, tu brises et ressoudes ce vase selon qu’il plaît à ta bonté” (0raison 26).

Le désir plus fort que le péché
Lorsque l’image et la ressemblance sont obscurcies par le péché, elles peuvent être restaurées par la grâce des sacrements, avec le consentement de l’homme. Là réside la grandeur de la miséricorde divine pour Catherine. “Ouvre la porte de ton inestimable charité que nous as donnée comme la porte du Verbe. Oui, je sais que tu ouvres avant que nous ne frappions… Tu nous as créés de rien, donc maintenant que nous sommes, fais-nous miséricorde, et refais les vases que tu as créés et formés à ton image et ressemblance, et reforme-les dans ta grâce, dans ta miséricorde et dans le sang de ton Fils.“(D. 134 p. 273).

A la table du saint désir
Dans la Bible, l’expérience de la faim et de la soif conduit souvent à la rencontre de Dieu. Catherine en témoigne avec force et de manière singulière au livre du Dialogue :” Je suis, moi, l’aliment sans défaut. (…) et comme elle a faim, elle s’en repait. (…) L’âme se nourrit de la charité du prochain dont elle a faim et désir, car c’est un aliment dont on ne se rassasie jamais, car il ne rassasie pas et la faim continuelle reste.” (D. 101, p. 184).
A la table du saint désir, sont invités tous ceux qui suivent le Christ en obéissant à sa parole : “Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé“(Jn 4,34). Pour parler de l’obéissance parfaite du Fils au Père, Catherine emploie l’expression suivante : la croix du désir.
Là se trouve aussi l’auberge du jardin de la Sainte Eglise qui, offrant aux voyageurs force et réconfort par les sacrements, distribue le pain de vie et donne à boire le sang, afin que les piétons pèlerins, mes créatures, ne s’évanouissent en chemin (D.27,p.50).

“Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive” (Jn 7,37)
Parfois, il a été donné le titre de “Mystique du sang” à Catherine de Sienne, en raison des nombreuses références au sang du Christ dans ses écrits, mais la symbolique du sang est souvent un repoussoir pour les lecteurs du XXI°siècle. Dans cette expression, entendons d’abord le libre chemin d’offrande du Christ pour notre salut.
Or, chez Catherine, le langage du sang est accompagné par celui de la fontaine d’eau vive. Suite au coup de lance du soldat, il sortit du sang et de l’eau du côté du Christ. (cf. Jn 19, 34). Ainsi, le Christ est appelé “fontaine d’eau vive” et nous sommes les vases conviés à recueillir cette eau.(cf. D. 53). “Moi, le Fils unique de Dieu, je suis devenu la fontaine qui vous donne l’eau de la grâce.”(L.84, T.1,575).

Pour aller plus loin: Désirer d’un grand désir, Marie des Anges Cayeux op, Cerf 2018 Coll. Patrimoine
Une dynamique de la perfection au coeur de la doctrine de Catherine de Sienne

 

La VIE EST UN  DON !
Sr Julie

Sœur Catherine Fino, religieuse salésienne, théologienne moraliste à l’institut catholique de Paris, a contribué, par sa précision objective et ses convictions profondes, à éclairer notre réflexion à propos des enjeux bio-éthiques qui se posent dans notre société.
Pour rendre compte de cette session, j’ai choisi de souligner trois points qui me semblent cruciaux.
Le premier est celui de l’évolution éthique : Nous sommes passés d’une éthique basée sur une anthropologie chrétienne à une éthique des « droits universels ». Celle-ci s’appuie en priorité sur l’écoute des personnes individuelles et le souci de répondre, le plus possible, à leurs besoins et désirs, du moment que la loi est respectée. Cette éthique a pour principe de ne pas intervenir dans le domaine privé et en particulier le domaine sexuel.
Le second est la difficulté actuelle à accepter la vulnérabilité inhérente à la nature humaine. Tout est fait aujourd’hui pour repousser nos limites, comme si l’homme contemporain refusait sa finitude.
Le troisième : le désir d’enfant a pris une telle ampleur qu’il devient l’objet d’une programmation plus que celui de l’accueil du don d’une vie nouvelle.

Nous avons travaillé à partir des avis du Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE) d’octobre 2019. Ce qui est flagrant, c’est qu’en donnant la priorité aux droits humains nous sommes dans la contradiction. Les droits à l’enfant et les droits de l’enfant se contredisent. La procréation médicalement assistée devrait être proposée comme un dernier recours en cas d’infertilité. Car on peut aussi s’attaquer à la cause de l’infertilité. En ce qui concerne les motivations de société, le danger est de dénaturer la procréation en dissociant à l’excès le biologique et le culturel. Quant à la Gestation Pour Autrui (GPA), elle porte atteinte à l’indisponibilité du corps humain.
Ce qu’il faudrait, c’est que la société remette en valeur ce qui est propre à la nature humaine : protection de la vie, beauté de l’amour conjugal, joie de donner la vie et de faire grandir ses enfants, au cœur de la société et de toutes les relations qu’elle implique.

Le deuxième point marquant dans ce que nous avons reçu est l’évolution de la médecine contemporaine. Le propre de la médecine est le soin du corps. Mais la guérison n’est pas un retour à un état antérieur, elle est plutôt une acceptation de ses faiblesses dans la recherche d’un nouvel équilibre. Attention ! Le corps humain n’est pas d’abord l’objet d’une recherche scientifique en vue de repousser toujours plus loin ses performances. Nous chrétiens, devons réapprendre que notre Dieu ne nous sauve pas de la vulnérabilité mais dans la vulnérabilité. Choisissons plutôt de voir notre vulnérabilité comme une chance d’interdépendance les uns les autres. L’homme ne peut être se suffire à lui-même, il a besoin de ses frères et sœurs pour vivre pleinement son humanité.

Le désir d’enfant ne peut être que le fruit d’un amour partagé. Je suis bien mal placée comme moniale pour parler de cela. Mais par mes proches, j’ai perçu combien la naissance d’un enfant était quelque chose de si grand, que souvent les parents font l’expérience que cette vie nouvelle les dépasse, qu’elle vient de Dieu.
La place de la technique peut donner lieu à une programmation abusive. Plutôt que d’envisager l’autoconservation des ovocytes, la société ne devrait-elle pas aider les femmes en âge de procréer à disposer des meilleures conditions pour y parvenir ?
Il y a enfin une réelle tentation d’obtenir « l’enfant parfait ». Nous devons en être conscients et ne pas avoir la mémoire courte, cela a déjà existé !

Pour conclure, je pense que face à toutes ces questions complexes que posent les nouvelles biotechnologies, l’Eglise a vraiment un rôle à jouer. Non pas celui de juger les actes et les personnes, bien au contraire. Mais elle a reçu un trésor, celui de la Foi, pour pouvoir aider ces frères en humanité à éclairer leur conscience et à poser des choix vraiment libres. Comme le dit saint Pierre dans sa première lettre, nous devons être prêts à rendre compte de l’espérance qui nous habite, mais avec douceur et respect.