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Lettre aux Amis de Chalais N°2

EDITO

          Depuis janvier, se déroulent les États généraux de la bioéthique. De semaine en semaine, nous suivons les débats où sont en jeu de réelles questions d’humanité. Que ce soit en matière de procréation ou de fin de vie, il est question « d’écologie humaine ». Il ne s’agit pas seulement de désirs individuels à assouvir ou non, ou de gestes médicalement possibles à étendre ou non. Dans notre société de sur-consommation, l’être humain acceptera-t-il de mettre une limite à ses désirs, et à ses rêves de  toute-puissance ? Le respect de l’environnement va de paire avec celui de sa propre nature. Allons-nous avancer à deux vitesses ? Comme on ne peut jouer indéfiniment avec la planète – use et jette-, on ne peut traiter à la légère la question complexe de la filiation ou du suicide assisté, et tant d’autres…

          N’oublions-pas que le légal n’est pas qu’une simple histoire d’opinion. C’est en vue du bien commun que les lois sont rédigées et adoptées pour encadrer le niveau moral d’une nation, d’un ensemble de pays ou du monde. La déclaration des droits de l’homme promue par l’ONU en 1948 en est un bel exemple. Pour les questions de bioéthiques qui agitent notre pays, on peut se demander ce qu’il en sera dans un an ? Quelle part prenons-nous à cette année de débats, de consultations ? (note 1) Quelles décisions prenons-nous au quotidien qui marquent notre confiance et notre respect de tout l’homme, de tout homme ? Le pire serait la résignation, en pensant que la nouvelle législation est déjà votée, et donc nous désister.

          Pour nous chrétiens, si nous croyons que tout être humain est créé à l’image de Dieu, nous avons à faire entendre qu’aucune créature n’est superflue. Nos engagements avec les plus démunis, les personnes ayant un handicap, les migrants… sont des signes. « L’aboutissement de notre marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle » (Lautato si N°83).

          Notre espérance est bien de «parvenir à la stature du Christ en plénitude ! » (Ep 4,13). Pas moins ! Et nous ne marchons pas seuls, l’Esprit saint qui a ressuscité Jésus d’entre les morts est avec nous.

          A tous, sainte semaine vers Pâques !

                                                                                                          Soeur Agnès, prieure

note 1 : Etats généraux de la Bioéthique. (suivre le lien)

 

 

SOMMAIRE :

Edito de Sr Agnès
Mot de la Présidente des Amis de Chalais
Nouvelles de la communauté
Notes pour une lecture du Livre du Lévitique (Sr Pascale)

L’humilité selon Saint Silouane (Sr Jeanne-Marie)
Edito du Frère Jean-Paul Vesco
Bloc Notes

 

 

MOT de la PRESIDENTE :

CHRISTINE LEFROU Présidente de l’Association

 

 

 

CHRONIQUES de la COMMUNAUTE de CHALAIS

Pour en savoir plus, cliquez sur les liens ci-dessous !

Décembre 2017

Janvier 2018…

Février 2018…

 

 

 

NOTES pour une lecture du LIVRE du LÉVITIQUE
Sr Pascale

Au mois de janvier, nous avons lu le livre du Lévitique aux Vigiles. Un mois, comme Israël a écouté Moïse du 1er jour du 1er mois (Ex 40,1) jusqu’au « 1er jour du 2ème mois de la 2ème année après la sortie du pays d’Égypte. » (Nb 1,1) (note 1)
Le Lévitique, livre austère et ennuyeux… et pourtant, à le lire de près, il m’a semblé y voir comme une toile de fond du Nouveau Testament. Je vous propose quelques mots-clés.
Sacrifice
Le Lévitique s’ouvre par 7 chapitres sur le rituel des sacrifices ! Dépassé ? Déjà les prophètes de l’ancienne alliance et les psaumes en ont fait la critique !
Ce culte qui est décrit pour la Tente de la Rencontre, se pratique encore du temps de Jésus au Temple. L’auteur de l’épître aux Hébreux savait que cela parlait à sa génération.
Le Lévitique est la suite chronologique du livre de l’Exode. Le peuple vient de construire la Tente de la Rencontre, comme l’a demandé le Seigneur : « Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai au milieu d’eux ».(Ex 25,8) et l’hôte divin a pris possession de sa demeure (Ex 40,34). Alors commence le livre du Lévitique : « Il appela Moïse et lui parla depuis la tente de la Rencontre : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras… » (Lv 1,1-2) Dieu ne parle plus depuis le sommet du Sinaï. Ce changement de lieu correspond à un changement de style. Dieu ne donne plus des instructions à Moïse pour diriger son peuple, Il se sert de lui comme intermédiaire pour transmettre l’intégralité de ses paroles sous forme de discours.
Le 1er discours du Seigneur (sur les 36 que compte le Lévitique) concerne les sacrifices volontaires (holocaustes, oblations et sacrifice de communion). Ils sont proposés au peuple, pour qu’il puisse honorer leur Hôte, répondre à Sa présence à leurs portes. Ce n’est pas de la nourriture offerte à un Dieu « dévoreur », c’est une fumée qui monte et qui invite Dieu à descendre et à bénir.
Le 2ème discours concerne les sacrifices pour la faute et de réparation. Ceux-ci sont prescrits pour la purification. L’impureté et la faute remettent Dieu à distance, car le Saint ne peut être approché par l’impur sans risque de destruction de ce dernier. Mais Dieu offre le rite de purification, pour rétablir cette proximité.
Impuretés
« Vous avertirez les fils d’Israël de leurs impuretés, afin qu’à cause d’elles ils ne meurent pas en rendant impure ma Demeure qui est au milieu d’eux.» (Lv 15,31)
Le deuxième corpus de lois du Lévitique (Lv 11-16) concerne l’impureté. Alimentation, accouchement, lèpre, sexualité, les grands secteurs de la vitalité sont atteints par l’impureté, qui n’est pas morale mais est liée notre condition charnelle, corruptible. L’impureté est un principe contagieux, qui sépare du sanctuaire, donc du culte et du peuple qui veut célébrer Dieu. Dans les évangiles, nous voyons la femme aux pertes de sang ou le lépreux, mais aussi Marie la jeune accouchée, et nous entendons les débats sur les rites alimentaires. Le mouvement du Lévitique n’est pas l’exclusion mais la mise en garde, pour que celui qui se sait impur puisse être réintégré. Dans la plupart des cas, un rite de purification suffit pour recouvrer la pureté, encore faut-il être guéri quand l’impureté est liée à la maladie. En ce cas, quand Jésus guérit, au risque d’être lui-même considéré comme impur, il rend l’homme à Dieu.
Sainteté
Il y a, dans le Lévitique, une seule sainteté, celle de Dieu. C’est son être même, qu’il va proposer de diffuser : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » (Lv 19,2) L’impureté s’accroche à nous comme une salissure qu’il faut laver, la sainteté s’impose comme une force rayonnante qui nous transforme. Le troisième corpus de lois est intitulé « Loi de sainteté » (Lv 17-27). Règles sociales, familiales, cultuelles, se suivent de manières plus ou moins organisées, mais régulièrement ponctuées par l’affirmation « Je suis le Seigneur ». Dès lors, notre méditation sur la Sainteté de Dieu, sur sa Seigneurie, ne peut plus être déconnectée de nos relations humaines, de notre agir humain. Ce n’est pas tant un devoir moral, comme les mots « lois » ou « code » des titres ajoutés dans nos bibles peuvent le suggérer, que le fait de se trouver sous l’influence directe de la Sainteté de Dieu. Le reconnaître comme Saint, par la célébration du culte, pouvoir s’approcher de Lui parce que nous sommes purifiés, permet de communier à son amour libérateur (la sortie d’Égypte !) et de le faire notre pour nos frères.
Amour du prochain
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. » (Lv 19,18) Ce verset du Lévitique est cité 8 fois dans le Nouveau Testament. Nous le retrouvons sous une autre forme dans le même chapitre : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu. » Cette nouvelle formulation évite de réduire le prochain au semblable.
Ce 2ème commandement « semblable au 1er » (Mt 22,39) est au cœur de la prédication de Jésus, des Apôtres et de l’Église après eux. Saint Paul le considère comme le résumé et l’accomplissement de toute la Loi (Rm 13,9, Gal 5,14). Or, il se trouve dans le chapitre apparemment le plus désorganisé du Lévitique, dans un fatras de préceptes aussi bien sociaux que cultuels voire agraires… Peut-être pour nous rappeler combien c’est dans l’enchevêtrement et le fatras de nos vies, que l’amour du prochain se joue. Et tout particulièrement dans l’attention au pauvre.
Attention au pauvre
Dans ce même chapitre, se trouve une règle qui met une limite aux gains, même honnêtes, en faveur du pauvre : « Lorsque vous moissonnerez vos terres, tu ne moissonneras pas jusqu’à la lisière du champ. Tu ne ramasseras pas les glanures de ta moisson, tu ne grappilleras pas dans ta vigne, tu ne ramasseras pas les fruits tombés dans ta vigne : tu les laisseras au pauvre et à l’immigré. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lv 19,9-10) Ces versets sont répétés au beau milieu du calendrier liturgique d’Israël (Lv 23,22). Ainsi sont liées les offrandes faites à Dieu, et celles laissées au pauvre, nous rappelant encore qu’il ne s’agit que d’un même geste.
Le pauvre ne doit pas être séparé de l’acte cultuel qui signifie la miséricorde de Dieu et le pardon. Le sacrifice pour la faute est le seul à avoir une clause pour celui qui n’a même pas les moyens d’offrir un couple de tourterelles ou de pigeons : « Il apportera, comme présent réservé en vue du sacrifice pour la faute, un dixième de mesure de fleur de farine, pour ce sacrifice ; il n’y versera pas d’huile et n’y mettra pas d’encens, car c’est un sacrifice pour la faute. » (Lv 5,11) L’accès à Dieu, et à son pardon, doit être ouvert à tous ceux qui le désirent, quelle que soit leur condition.
Au cœur : le pardon
Le Lévitique, 3ème livre des 5 qui constituent la Torah, en est le centre. Dans son excellent petit livre Didier Lucianii (note 2) montre comment au cœur du cœur, il y a la célébration du Grand Pardon. « C’est en effet en ce jour que l’on accomplira pour vous le rite d’expiation afin de vous purifier de toutes vos fautes, et devant le Seigneur vous serez purs » (Lv 16,30).
En ces jours où nous allons célébrer la Semaine Sainte, nous pouvons méditer la Passion du Christ à la lumière du Lévitique, comme l’a fait l’auteur de l’épître aux Hébreux. Il est venu faire sa demeure parmi nous, nous donner accès au Père, nous purifier, nous pardonner, constituer un peuple saint où tous peuvent trouver place. Acceptons-nous de vivre dans cette proximité ?
« Frères, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. Et nous avons le prêtre par excellence, celui qui est établi sur la maison de Dieu. Avançons-nous donc vers Dieu avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. Continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis. Soyons attentifs les uns aux autres pour nous stimuler à vivre dans l’amour et à bien agir. » He 10, 19-23.

Note 1 : Les citations bibliques sont de la Bible de la Liturgie.
Note 2 : « Le Lévitique – Ethique et Esthétique » Didier Luciani Lumen Vitae collection Connaitre la Bible N°40, 2005

 

 

 

L’HUMILITÉ chez Saint SILOUANE

Sr Jeanne-Marie

               Pourquoi l’humilité ?
L ‘humilité, élément fondamental des règles de vie monastique fut longtemps, à mes yeux, une anomalie, un poil à gratter incontournable. Fallait-il adopter des comportements extérieurs pour parvenir à l’ humilité du cœur ? Raser les murs ou se regarder les pieds n’implique pas la véritable humilité du cœur. N’y a-t-il pas un risque d’hypocrisie ou de complexe d’infériorité ? Je le craignais, jusqu’au jour où j’ai lu les écrits de Silouane, pendant mon noviciat.
Pourquoi Silouane ?
Ce moine russe, né en 1866 dans une famille de paysans chrétiens, laissa des écrits d’une grande profondeur. Après une jeunesse chaotique, il gravit le chemin du repentir en partant pour le Mont Athos, où il fut moine jusqu’à sa mort en 1938. Sans écrire un traité sur l’humilité, il en a si bien parlé…que nous percevons l’humilité tout autrement. Sans elle, peut-on s’approcher du Christ ?

               La quête de Dieu
Pour Silouane, la seule réalité qui compte c’est Dieu. Tout le reste est vain et ne peut le combler. Depuis que j’ai connu mon Dieu, …tout a changé dans mon âme. Mon âme languit après Dieu et je le cherche dans les larmes. Silouane cherche désespérément la Présence du Dieu qui se cache. . «Adam languissait sur la terre, et pleurait amèrement… Il éprouvait la nostalgie de Dieu et disait : Mon âme se languit après Dieu et je Le cherche dans les larmes. » Qu’est-ce qui fait obstacle à l’Amour de Dieu en lui ? Ne serait-ce pas son péché ? La grâce se perd sous le coup de la vanité, sous l’effet d’une seule pensée d’orgueil.

               L’orgueil
Celui qui a savouré cet Amour de Dieu ineffablement doux… se sent attiré sans cesse par cet Amour. Mais nous le perdons par notre orgueil et notre vanité, par nos inimitiés et nos jugements envers nos frères.

L’orgueil suinte en nous malgré nous et infiltre le bien que nous pouvons faire pour le pourrir de l’intérieur.
Comment attaquer, à la racine, l’orgueil ? Si notre orgueil est ce mur invisible et infranchissable, qui nous sépare de Dieu, qu’est-ce qui va le faire bouger ? Ne faudrait-il pas trouver, comme dans les passages secrets des vieux châteaux de nos romans, le bouton où appuyer pour que le mur glisse et laisse le passage…? Ce bouton existe, c’est l’appel à la miséricorde.

               La Miséricorde
Silouane a appuyé sur le bouton de la miséricorde en criant vers Dieu. « Je pleure en gémissant : Seigneur, prends pitié de moi ». Supplier : « Seigneur, prends pitié de moi » fissure le mur de l’orgueil et ouvre à la grâce. Un jour de découragement, Silouane a prié le Seigneur, qui lui montra la voie de l’humilité.

               La voie de l’humilité
« Seigneur, Tu vois que je veux te prier.. et les démons m’en empêchent. Que dois-je faire pour qu’ils partent? » Et j’entendis cette réponse de Dieu : « Les orgueilleux souffrent toujours des démons. » Je dis : «Seigneur, Toi qui es miséricorde, dis-moi : que dois-je faire pour que mon âme trouve l’humilité ? » Et Dieu répond en mon âme: « Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas. »
Tiens-toi là où tu as erré, là où ton péché t’a conduit loin de ma face, tiens-toi là en sachant qu’il n’y a pas lieu de désespérer de Ma Miséricorde. Pour retrouver sa juste place devant Dieu, Silouane comprit qu’il lui suffisait d’entrer dans l’humilité du Christ.

L’humilité du Christ fut l’antidote de son orgueil et il l’a recherchée de toute son âme.
« Quoi de plus grand l’âme pourrait-elle chercher sur la terre ? Que pourrait-il y avoir de plus grand de plus admirable ? Soudain l’âme connaît son créateur et son amour ! Elle contemple le Seigneur, voit combien il est doux et humble et ne désire plus rien sinon acquérir l’humilité du Christ. Tant qu’elle pérégrine ici-bas, elle ne peut oublier cette humilité inconcevable. »
« O humilité du Christ ! Tu donnes une joie indescriptible à l’âme ! J’ai soif de toi, parce qu’en toi, l’âme oublie la terre et tend toujours plus ardemment vers Dieu. »
« O humilité du Christ, je t’ai connue, oui mais je ne puis t’atteindre… »
Nous ne pouvons ni concevoir, ni atteindre l’humilité du Christ. Sinon, par grâce…et dans l’Esprit Saint…
Dieu a donné à l’homme la liberté et Il l’attire par l’humilité à son Amour.
Laissons nous attirer par l’humilité du Christ puisqu’elle donne une joie indescriptible.

 

 

BIENHEUREUX PIERRE CLAVERIE et ses COMPAGNES et COMPAGNONS

Mgr JeanPaul VESCO OP

Dès l’annonce de la décision du Pape François d’autoriser la béatification des dix-neuf membres de notre Église assassinés entre 1994 et 1996, les demandes d’interviews se sont enchaînées. Invariablement la première question était : « Comment réagissez-vous à l’annonce de cette nouvelle ? » Bien sûr que ce «vous», c’était un peu « moi », mais c’était surtout « nous ». Dès lors, répondre à cette première question qui se voulait une entrée en matière était déjà une gageure.
Spontanément, ma réponse a été que j’avais accueilli cette nouvelle avec une joie profonde, et c’était vraiment le sentiment qui m’a animé ce samedi 27 janvier. Mais cette joie n’avait rien de démonstrative et bruyante, comme celle qui envahit le coeur de supporters au coup de sifflet final d’un match victorieux. Cette joie, qui m’habite toujours, avait quelque chose de grave. J’ai en effet immédiatement perçu et endossé le poids pour notre Église de ces béatifications que j’appelais par ailleurs de mes voeux, même si je n’ai eu aucune part à l’engagement du processus qui a conduit à cette décision du Pape François.
J’avais aussi à l’esprit les réticences, légitimes, d’un certain nombre d’entre nous. Oui, ces béatifications arrivent très tôt, bien avant que le recul du temps les ait recouvertes du voile de l’histoire d’où on les exhumerait. Cette période, que beaucoup d’entre nous ont vécue, appartient encore au présent de l’Église et de l’Algérie. Que pèsent dix-neuf personnes tuées face aux dizaines et dizaines de milliers d’Algériens morts parfois en héros, dont une centaine d’imams ? Ne risque-t-on pas de donner l’impression de se mettre en avant et de se départir de la discrétion qui est la nôtre depuis l’indépendance du pays, pas d’abord par calcul ou nécessité, mais bien par choix évangélique ? Ces réserves ont été entendues et doivent guider la façon dont nous allons vivre ces béatifications. Paradoxalement, elles en soulignent aussi la valeur et le caractère singulier.
C’est vrai que la spécificité de ces béatifications est qu’elles s’inscrivent dans la continuité du témoignage des bienheureux, sans rupture de temps. C’est un même mouvement qui se poursuit, avec la même possible fécondité, et aussi les mêmes possibles risques. Les paroles de Pierre Claverie ne résonnent pas moins fort aujourd’hui qu’il y a vingt ans, elles n’apparaissent que plus prophétiques. L’engagement discret mais sans repentance aux côtés de personnes de religion différente pour dire une solidarité qui dépasse les bornes au point de se faire communion, des vies librement données qui disent un pardon plus fort que la haine, restent la réponse la plus pertinente à la folie meurtrière qui s’est aujourd’hui mondialisée des DAECH, EI,
et autre acronymes. Alors pourquoi attendre demain pour faire entendre une parole dont on a besoin aujourd’hui ?
Bien sûr que nos dix-neuf bienheureux ne peuvent pas faire oublier les milliers et milliers de victimes de ces années de braise, et spécialement celles qui étaient engagées dans la lutte contre le terrorisme et y ont donné leur vie. Gageons que la parole que suscitent ces béatifications permettra au contraire de rendre témoignage à cette foule de héros du quotidien qui ont, eux d’abord, risqué leur vie au nom de leur foi musulmane et qui ont enrayé le cycle de la violence et rétabli un climat de paix au prix d’une vraie résilience.
À ce jour, nous ne savons ni le lieu ni la date de la célébration des béatifications. Nous souhaitons qu’elle puisse avoir lieu en Algérie, à Oran, ville de la vie et de la mort de Monseigneur Pierre Claverie qui donne son nom au témoignage des dix-neuf et de l’Église de cette période. Mais que cette célébration ait lieu en Algérie ou ailleurs, la gageure sera de réussir à mettre en lumière la discrétion d’une présence d’Église en Algérie sans que la lumière dénature cette discrétion. C’est possible parce que la discrétion n’est pas d’abord une question d’ombre mais de respect. Cette mise en lumière ne devra pas éblouir mais rayonner paisiblement. Avec humilité.
+ fr. Jean-Paul Vesco op
Éditorial  du Lien n° 409 (Diocèse d’Oran) Janvier-février 2018

 

 

 

Merci à tous ceux et celles qui ont déjà envoyé leur participation à l’Association des Amis de Chalais
pour l’année 2017-2018.
Pour ceux qui ne l’ont pas fait, vous trouverez la fiche ici. Merci !