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Solennité de l'Immaculée Conception 2025

Fr Jean Michel Poffet op

Lc 1, 26-38

Dans le monde bouleversé qui est le nôtre, la fête de l’Immaculée jette une douce lumière, une lumière pleine d’espérance. C’est ce que je voudrais redécouvrir avec vous brièvement. La fête de ce jour est la fête de la Grâce, c’est-à-dire de la gratuité de l’amour de Dieu pour Marie mais aussi pour nous et pour le monde.

Vous savez que le Pape Pie IX a proclamé le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, le 8 déc. 1854. Alors : est-ce que ce n’est que depuis le XIXe siècle que l’Église croirait à la puissance de la grâce en Marie ? Oh non ! Je vais reprendre les mots de Newman, le grand théologien anglican devenu catholique et même cardinal au XIXe siècle: « nous ne le croyons pas parce que le Pape l’a défini, mais le Pape l’a défini parce que l’Église le croyait depuis longtemps », sans que cela soit aussi clairement précisé et proclamé.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre louange n’est pas l’exaltation de Marie comme une femme exceptionnelle et qui, en raison de ses qualités, de sa profondeur, de sa vie spirituelle aurait été appelée à ce service inouï de donner naissance à Jésus, le Messie attendu par Israël. Ce serait faire de Marie une sorte de déesse. Mais c’est la grâce de Dieu qui fait de l’humble Marie de Nazareth la toute pure Mère de Dieu. Marie est ce qu’elle est par la grâce de Dieu, cette même grâce qui travaille en nos cœurs pour nous purifier, faire de nous des saintes et des saints, nous aidant à répondre aux appels de Dieu et de nos frères.

Commençons par contempler le récit de l’Annonciation où tout est dit mais de manière si sobre qu’on pourrait ne pas y prêter attention. Marie est saluée par l’Ange en ces termes : « Je te salue, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ». Nous connaissons bien ces mots, ils sont le début de la prière du « Je vous salue Marie » qui nous est si familière. Pour désigner Marie, l’évangéliste saint Luc crée un mot, tout exprès : « comblée de grâce ». En fait par la subtilité de la langue grecque, saint Luc exprime le sens profond de l’être de Marie en ce moment. Elle a été touchée par la grâce et c’est devenu chez elle un état : elle est comblée de grâce et cet état perdure. Pour elle ? Non, pas seulement. Elle l’est pour donner naissance à Jésus et pour permettre au salut d’advenir en notre pauvre monde. Vous voyez la portée de ce mystère et de cette fête.

A ces mots de l’ange, Marie est bouleversée et elle se demandait ce que pouvait bien signifier cette salutation… C’est exactement ce qu’a fait l’Église depuis plus de 2000 ans. Elle s’interroge, cherche à comprendre. Qu’est ce que cela veut dire ? qu’est-ce que cela implique pour Marie et pour l’Église ? Marie perçoit que cet envahissement de la grâce prélude pour elle à quelque chose de grand, de très grand : donner naissance au Messie, alors qu’elle est fiancée à Joseph sans déjà partager sa vie. L’ange lui répond : « l’Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». L’initiative et la conduite d’un tel événement ne peut venir que d’en Haut, de Dieu lui-même. Et Marie, humblement devant son Dieu dit son « fiat » : qu’il me soit fait selon ta Parole.

Pour donner naissance à Jésus, Marie est préservée de toute trace du péché originel par Dieu lui-même. D’où la première lecture de cette fête : la scène bien connue du Paradis qui se rejoue sous nos yeux tous les jours. Les journaux et la télé ne parlent que de ça : le serpent s’arrange par toutes sortes de mensonges, de fake news, de rumeurs, de promesses de perlimpinpin pour que nous nous détournions de Dieu, que nous fassions main basse sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal. On aurait dû devenir magnifiques, comme des dieux, mais nous voilà paumés, tout nus, désorientés, pris dans des mensonges, le déni de réalité, la peur et la violence : notre monde…

Avec comme autre conséquence : la fuite de toute responsabilité. « Ce n’est pas moi » dit Adam, « c’est ma femme… » c’est l’autre (cette histoire commence quand on est tout petit : c’est pas moi, c’est l’autre et continue quand on est plus grand : c’est pas notre faute, c’est la faute des autres : Trump, Poutine, Macron, l’Église, mon patron, les millionnaires, les médias, la gauche ou la droite etc. C’est pas notre faute…).

Pour que ce cirque cesse, Dieu va s’approcher de nous en son Fils Jésus. Il annonce dès la Genèse que la descendance de la femme meurtrira la tête du serpent : c’est ce qu’on appelle le Protévangile : un bout d’Ancien Testament qui a déjà un goût d’évangile… La traduction grecque de la Bible au 2e siècle avant notre ère, alors que la situation en Israël était désespérée, interprète « la descendance » de la femme et précise : « Quelqu’un » au masculin, un fils de ce lignage, sous-entendu le Messie. Mais la traduction latine de saint Jérôme interprète par un pronom féminin : « elle-même t’écrasera la tête », autrement dit quelqu’un, une femme issue de ce lignage. L’opposition entre la femme et le serpent, entre l’humanité et le Prince du Mensonge prendra fin.

Et pour cela, Dieu a bien voulu préserver Marie de toute trace du péché originel, de toute déviance même minimale pour que ce OUI qu’elle était appelée à dire et à vivre vienne bien de Lui et pas d’elle seule, pour que le salut vienne bien de Dieu et de Dieu d’abord et ensuite par Jésus, par Marie, par la mort et la résurrection du Christ jusqu’à nous.

Les photocopie du vieil Adam et de la vieille Eve, ça suffit. On connaît, on a donné, est-ce qu’on peut espérer quelque chose d’autre ? Précisément les Juifs de langue grecque, quand ils ont traduit, au chap. 7 du prophète Isaïe, la promesse de l’Emmanuel ont remplacé l’expression : « la jeune femme enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel, Dieu-avec-nous » par « la Vierge enfantera un fils ». Donc le salut ne pouvait venir que d’en Haut. Et nous y voilà.

Comme Jésus chasse le vieil Adam et redonne une chance à une humanité réconciliée avec Dieu, Marie chasse la vieille Eve, et donne une chance à la femme et au genre humain d’être à nouveau dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans l’obéissance, dans la joie et l’action de grâce au lieu du mensonge et de la fuite, de l’irresponsabilité et de la violence.

L’ampleur de ce dessein de Dieu est bien exprimé par saint Paul : de toute éternité Dieu nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Eh bien cela se vérifie d’abord en Marie, première dans l’alliance nouvelle, elle qui va enfanter le Messie. Et ce triomphe du oui en elle sur le non du péché, lui vient déjà de la mort et de la résurrection de son Fils. Il y a en elle une anticipation du salut pour que ce salut soit humainement vrai, enraciné en elle pour Jésus, pour nous, pour le monde.

Je vous le disais, cette fête est l’expression magnifique du triomphe de la grâce, de la miséricorde de Dieu. Ce monde blessé et bouleversé est aimé, sauvé, mais pour cela il nous faut un peu de cette écoute de Marie portée par la grâce, de cette obéissance pour que soit accueilli en nous le mystère pascal, le triomphe du bien sur le mal, de l’obéissance sur l’éternelle désobéissance. Vous connaissez les mots de Bernanos : Marie est plus jeune que le péché. Rendons grâce à notre Dieu et confions nos pauvres vies à l’intercession de Marie auprès de son Fils, auprès de notre Dieu. En Marie nous découvrons un grand silence, une présence, une obéissance »