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7ème Dimanche TO - A

Frère Nicolas Burle op

19 février 2017

Matthieu 5.38-48

Frères et sœurs,
Certains passages de l’évangile sont plus difficiles que d’autres à commenter. Comment vous parler aujourd’hui de ce que je ne vis pas moi-même ? Et pourtant le Seigneur nous le répète encore ce matin : « Moi je vous dis de ne pas riposter au méchant. Moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
L’évangile de ce jour a un grand mérite : il nous aide à prendre conscience que la vie chrétienne est impossible à vivre sans le Christ, sans la grâce du Christ. Sans être pour autant chrétien, il est possible d’affirmer que nous aimons notre prochain comme nous-même. Bien que cela dépende souvent du prochain. Mais enfin, qui enseigne aujourd’hui à ses enfants : « aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent » ? Qui ose aller jusque-là ? C’est-à-dire aller jusqu’à l’évangile. La vie chrétienne est impossible à vivre sans le Christ. Sans la grâce du Christ, nous aménageons l’évangile pour le rendre confortable, pour le ramener à notre mesure. L’évangile alors ressemble à du Canada Dry : « C’est doré comme l’alcool, ça sonne comme un nom d’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool ! »
Certes se défendre contre les ennemis nous apparaît sage et prudent. Mais « la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » Face au mal, il n’existe que trois attitudes mais une seule d’entre elles est chrétienne.
La première attitude, si humaine, est de renvoyer le mal vers celui qui nous a offensés. Et comme nous sommes pécheurs, nous le renvoyons toujours avec un surcroît de violence. Celui qui m’a insulté, je le gifle. Celui qui me gifle, je le frappe. Celui qui me frappe, je le poignarde. Celui qui me poignarde, je lui tire dessus. Celui qui me tire dessus, je le bombarde. Celui qui me bombarde, je le raye de la carte. Renvoyer le mal, c’est aboutir au meurtre.
La deuxième attitude consisterait alors à refuser de renvoyer le mal, à le prendre sur soi, en soi. Mais cette attitude n’est chrétienne qu’en apparence. Le mal finit alors par me dévorer de l’intérieur, à me remplir d’amertume, de colère et de haine contre moi. Garder le mal en soi, c’est aboutir au suicide.
Voici les deux attitudes d’ici-bas face au mal alors « si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne maintenant fou pour devenir sage. »
Seul le Christ nous donne la réponse juste à l’égard du mal. Seule la croix a le pouvoir de répondre efficacement au scandale du mal. « Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. » Le Christ en croix ne renvoie pas le mal sur ses persécuteurs. Le Christ en croix ne se laisse pas dévorer par le mal qui l’assaille. Il pardonne. Et le jour de la résurrection, il ne part pas à la recherche des coupables. Il leur a tout pardonné. L’histoire de saint Paul nous le rappelle : le persécuteur du Christ est appelé à devenir apôtre de l’Évangile. Le bourreau est pardonné par sa victime. Le bourreau est alors désarmé par sa victime. Le bourreau donnera un jour sa vie pour sa victime. Voilà la grâce de Dieu. Voilà la puissance de la croix. Voilà notre espérance : « le loup habitera avec l’agneau », la victime aura redonné la vie malgré ses blessures et le bourreau aura reçu la vie malgré la faute qu’il a commise.
« Moi je vous dis de ne pas riposter au méchant. » Cela peut nous paraître bien beau sur un plan individuel et inapplicable à l’échelle de notre société. Mais à quoi cela servirait-il de terroriser les terroristes si nous devenons nous-mêmes des terroristes ? Jésus n’est pas impuissant face au mal. Jésus n’est pas sans armes nous rappelle Charles Péguy :
« Les armes de Jésus, c’est cette raillerie
Jusqu’au pied de la croix, c’est cette moquerie
Jusqu’au pied de la mort et c’est la brusquerie
Du bourreau, de la troupe et du gouvernement,
C’est le froid du sépulcre et c’est l’enterrement,
Les armes de Jésus, c’est le désarmement. »
« Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » Les saints sont ceux qui rient quand on leur dit qu’il n’y a pas d’alternative, qu’il n’y a pas d’autres choix que le meurtre ou le suicide. Les saints sont ceux qui savent que le mal finit se dévorer lui-même et que la résurrection du Christ a ouvert pour toujours un passage dans l’impasse de la mort.
« Les armes de Jésus c’est la faim assouvie,
C’est le corps glorieux, ce n’est pas la survie,
C’est l’éternelle table abondamment servie. »