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Jeudi Saint 2016

Frère Bernard Senelle op

24 mars 2016

Jean 13,1-15

C’est l’heure de la Pâque, l’heure d’aimer jusqu’au bout dans nos vies marquées par les épreuves de la violence, du terrorisme, des déchirements, des atrocités mais aussi par la beauté et la bonté du quotidien vécu avec joie sous le regard de celui qui est « dans le ciel la lumière sans déclin ». En faisant mémoire de la Cène du Seigneur, nous commençons à célébrer « la lumière qui ne peut être arrêtée par aucune obscurité. » (Homélie de Saint Maxime de Turin pour la Pâque). Nous ne serons jamais abandonnés dans les difficultés de l’existence à commencer par celle de la trahison.
Car le diable a déjà mis dans le cœur de Judas l’intention de livrer Jésus. Cette année encore, nous devons demander la conversion des cœurs des terroristes et des méchants, nous devrons en ce Samedi Saint faire silence pour demander la conversion des assassins, de ceux qui d’une manière ou d’une autre trahissent la confiance ou stigmatisent les autres. Nous sommes dans ce monde et, ce soir, Jésus pose un geste d’amour à l’intention de tous. L’antidote du désir de semer la mort, c’est le don gratuit. D’un côté, le diable, Judas, l’argent, la trahison et la mort, de l’autre, le courage, le service, Jésus et l’amour gratuit. « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, on n’entendra pas sa voix sur la place publique » Deux gestes marquent cette liturgie en mémoire de la Cène du Seigneur : la fraction du pain et la présentation de la coupe d’une part et le lavement des pieds d’autre part.
La fraction du pain célèbre la fracture d’un groupe, celui des disciples. C’est la dernière fois qu’ils sont rassemblés avant la Passion : Jésus, livré, trahi par un ami n’éprouve ni haine, ni amertume, ni désir de vengeance : il sert ses disciples et se donne à eux sous les espèces du pain pour la route. Le traître qui entraînera tous les autres est pris en compte, il aura les pieds lavé, il prendra la bouchée et, jusqu’au bout sera traité comme un ami, l’ami de la dernière heure. Le pain est rompu pour tous et la coupe du sang est présentée à chacun tout comme Jésus se présente devant chacun de ses disciples.
A la suite du Christ et des disciples, la coupe nous est présentée. Nous allons y boire. Boire à la coupe, c’est s’engager à partager la même destinée. A la suite de notre Seigneur et des apôtres, nous allons boire à la coupe du salut, au sang qui est l’âme de la vie. C’est le sang du Christ, c’est le sang de la violence et des victimes de toute l’humanité. Aussi dur que soit le chemin, nous croyons que nous parviendrons ensemble à la vie du Ressuscité, que nous redécouvrirons la beauté de nos vies bouleversées et blessées.
Quand la communion est brisée, quand la parole s’avère difficile voire impossible, quand celles ou ceux qui sont rassemblés au nom du Seigneur en arrivent à demeurer parallèles les uns aux autres, il ne reste plus qu’à se rappeler les mots de Dietrich Bonhoeffer : entre moi et le prochain se tient le Christ. Alors, on s’approche pour tenter de restaurer la confiance en le servant. Où est le Serviteur, Dieu est présent, où est l’esprit de service est la paix. Au lieu d’agresser, Jésus se met à genoux devant l’autre et lui lave les pieds. C’est le geste essentiel de ce Jeudi saint : la violence, la perversion, l’esprit de domination, la volonté de faire peur s’évanouissent dans l’humilité du Serviteur.
Jésus pose un acte de courage et livre son testament, le secret de sa vie : poser un regard bienveillant sur chacun, adopter une attitude intérieure qui respecte et valorise chaque personne. Chaque disciple est ainsi considéré avec bonté par Jésus qui nous demande de le faire aux autres. « … Que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Il s’adresse à tous ses disciples, y compris au traître, à celui dont il a dit : il vaudrait mieux qu’il ne soit pas né ». Il est là celui qui n’est pas pur, il symbolise aussi toutes nos trahisons et manifeste le désir de Jésus de sauver tous les hommes, d’immerger chacun dans un bain de purification, celui de la foi et de la confiance. Jésus se tient devant nous comme le serviteur de Dieu, comme celui qui porte notre fardeau et nous donne la pureté véritable : la capacité de nous approcher de Dieu.
La source des guerres et des conflits, c’est la soif de domination qui souvent découle de la paresse et du découragement, de la perte de sens. Quand je suis découragé, ma vie est vide, elle me semble dénuée de sens et je peux me sentir obligé de trouver une compensation dans une attitude fausse envers les autres.
Ce soir, Jésus réoriente ma vie vers les autres et vers Dieu, Il m’appelle à honorer mon frère, ma sœur à me tourner avec courage vers lui, à lui poser la question adressée un jour à l’aveugle Bartimée : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Invités à la table de l’attention, nous manifesterons l’unité, nous ferons entrer la paix dans ce monde sorti des mains de Dieu. Jésus prends nos pieds entre ses mains, sur la croix, il remettra dans les mains de son Père, son Esprit. Entrons dans sa Pâque.