
17ème Dimanche du To C
Fr Maxime Allard op
Lc 11. 1-13
Demander et redemander… la vie
Abraham – encore lui – demande, redemande, demande encore. De fois en fois, il insiste et demande que le Seigneur ne se fâche pas devant l’insistante demande. Je dis « demande » mais Abraham demande à être écouté lorsqu’il ose marchander avec le Seigneur, lorsqu’il ne craint pas de rappeler Dieu à l’ordre, à ses promesses, à sa justice bienveillante et miséricordieuse.
Abraham ose demander. Vous et moi, à chaque eucharistie, nous osons demander. Nous osons dire : « Notre Père ». Et, plusieurs d’entre nous, insistons, plusieurs fois par jour, en reprenant cette prière inspirée par la réponse de Jésus à la demande des disciples, demande que nous avons entendue formulée dans la proclamation évangélique du jour.
Nous ne rabâchons pas des formules apprises par coeur. En tous les cas, nous ne le devrions pas. Nous ne le faisons pas parce qu’on nous commande de le faire. En tous les cas, ce serait manquer le but de la prière de demande. Car dans la demande d’Abraham comme dans la nôtre, il y va de la vie d’innocents, de la vie de pécheurs, de nos vies, de la vie de personnes que nous aimons ou bien ou mal ou pas du tout… Autrement dit, ce que l’oraison du Seigneur Jésus comme l’insistance d’Abraham mettent de l’avant, dans ce souci pour la vie, c’est le danger de la mort qui rôde, la tentation d’abuser d’autrui, les menaces d’injustices qui deviennent des actes et des systèmes délétères qui scandalisent et font tomber nos frères et nos sœurs en humanité, les font tomber jusque dans la mort.
En effet, sans pain ou sans ses équivalents fonctionnels, riz, manioc, foufou, etc., pas de vie. Pas de vie digne de ce nom. Sans nourriture au quotidien pas de vie qui puisse se déployer, offrir l’occasion de déployer ses talents. Sans nourriture, nos frères et sœurs meurent. Du pain, il y en a. Il y en a en abondance. Seulement, il est mal réparti. Des choix privent des humains du pain quotidien. Le péché n’est jamais loin : personnel ou structurel, peu importe. Le pain manque au quotidien.
Sans pardon pas de vie, non plus… Là où le pardon et la réconciliation miséricordieuse font défaut, chacun risque fort de s’enfermer dans ses blessures, dans des rancoeurs, des ressentiments, de l’amertume. Les uns deviennent coupés des autres, isolés… ou – et ce n’est pas incompatible – en guerre les uns contre les autres. Ce n’est guère là la manière évangélique d’être proches les uns des autres. Le pardon se demande et s’offre… encore faut-il l’accueillir pour en vivre.
Nous conviendrons aussi, aisément, que nous préférerions ne pas avoir à traverser d’épreuves ou de tentations. Mais, dans la foi, nous sommes réalistes, des épreuves et des tentations, il y en a et il y en aura. Et de toutes sortes. Dans ce cas, on comprend l’importance de demander d’être soutenu, de ne pas y succomber. Et, lorsque nous sommes écrasés ou tombés ou terrassés, nous osons espérer que la miséricorde nous relève, nous relance, nous réoriente… Nous osons demander et espérer que la miséricorde contribue à nous désempêtrer des rets dans lesquels nous somme pris, de délier des hommes et des femmes, connus ou inconnus, pris dans les filets, qui manquent de pain et de pardon…
Mais avant tout, avant d’exprimer nos besoins, nos désirs, nos craintes, tant Abraham que Jésus nous aident à mettre en mots le désir de Dieu, son désir de sainteté, sa volonté d’un royaume de justice et de paix, d’amour et de vérité. Comme s’il s’agissait pour nous de couler, de fondre nos désirs et nos demandes dans les options et volontés de Dieu, de les y mettre en perspective. Pas seulement de les choisir comme finalité, comme but pour notre vie mais aussi comme origine de notre désir d’une vie plus pleine, d’une vie réconciliée, d’une vie de ressuscité avec le Christ. Car, si nous y réfléchissons, tant le Père que son Fils, Jésus Christ, la Bible nous l’apprend, ont nourri des personnes et des peuples. Le Père et son Fils ont offert le pardon. Ensemble, ils ont soutenu, relevé, ressuscité des humains fait à leur image. Leur Esprit nous le fait espérer : nous demandons que vienne le Royaume de Dieu.
Ainsi, le Père entend, reçoit, accueille notre prière, celle de chacun de nous, celle de notre assemblée eucharistique comme il a entendu la prière de son Fils en croix et l’a ressuscité. Le pain reçu et partagé est signe de l’accueil de la vie qu’il offre en réponse à nos demandes insistantes. Il le fait pour que nous puissions correspondre à son accueil. Le pardon offert, reçu et accueilli permet un soutien et un surcroît de vie, des relèvements répétés, au quotidien. Cette miséricorde divine répond aux offenses faites et reçues. Elle rend possible d’accueillir la vie de Dieu, sa présence parmi nous, sa présence en nos frères et sœurs. Autant d’occasions de rendre grâce à Dieu et de fondre cette action de grâce dans le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ Jésus que nous accueillons et qui nous recueille lorsque nous communions à son Corps et à son Sang.