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Solennité du Corps et du Sang du Christ 2024

Fr Charles Desjobert op

Mc 14, 12-16.22-26

L’invraisemblable

Il y a quelque chose d’insolite dans le culte chrétien… de tout à fait invraisemblable même… mais à laquelle nous sommes tellement habitués que nous n’y prenons garde… c’est qu’il y ait, dans nos églises, un autel et que cet autel soit au centre. Franchement, quelle religion moderne a encore besoin de cet élément archaïque qu’est l’autel ? Le judaïsme n’en a plus depuis 2000 ans, l’islam n’en a jamais eu … et nous…

L’autel païen

Dans la plupart des religions antiques, certes, il y avait des autels. Qu’est-ce qu’un autel ? Étymologiquement : un lieu élevé – Altare, en « Altitude ». Le lieu où l’on offrait aux dieux des sacrifices d’animaux ou de végétaux pour s’assurer leurs faveurs, leurs protections, ou pour les remercier. Ce qui était offert devait avoir du prix – on n’abuse pas les dieux avec des objets sans valeur, de la pacotille. Il faut le meilleur, les prémices des récoltes et des troupeaux. Les premiers à le faire dans la Bible sont Caïn et Abel (Gn 4). Caïn offre le fruit de son travail de cultivateur, galette de blé et raisins fermentés sans doute, offrande végétale. Abel son frère, le fruit de son travail de pasteur : la chair et le sang de ses agneaux, offrande animale. Le végétal et l’animal…Pain, vin, Corps, Sang : tout est là déjà sur ce premier autel que forme la terre elle-même. Et l’agneau d’Abel, le sang d’Abel plaira davantage à Dieu que le pain de Caïn. Grand mystère.

L’autel de la première alliance

Ce n’est que plus tard, qu’un autel surgira de cette offrande primitive marquée du sang d’un frère, Abel, immolé par Caïn. Ce premier autel biblique, édifié par Moïse au pied du Sinaï (Ex 24) : large autel, entouré de douze stèles telles les douze tribus de Jacob. À cet autel, vous l’avez entendu, l’insistance se porte sur le sang.

         Moïse « prit la moitié du sang et la mit dans des bassins et l’autre moitié du sang, il la répandit sur l’autel » … puis Moïse prend le sang des bassins et « le répandit sur le peuple ». C’est l’unique fois dans la Bible où l’on parle de sang répandu sur le peuple. Ce faisant, Moïse relie de la façon la plus vivante possible, l’autel et le peuple. Tous deux, liés par le sang, ne forment qu’un seul corps : Dieu et son peuple, unis ! Moïse insiste sur cette union lors de la projection : « Ceci est le sang de l’Alliance… ».  Première alliance entre Dieu et les hommes conclue par le sang verset à part égale sur l’autel et le peuple.

         Le plus important n’est donc plus la nourriture que nous allons donner aux dieux ou à Dieu mais bien l’Alliance que Dieu conclue avec nous en nous reliant à lui par le sang.

Mais jusque-là, ce sang n’est que du sang de taureaux ou de boucs.

L’autel de la nouvelle alliance

Jésus va plus loin, incommensurablement au-delà. Il reprend les mots de Moïse mais il en fait « MON sang de l’alliance, « alliance nouvelle et éternelle ». Désormais, c’est le sang du Christ lui-même qui nous est donné. Voilà la force de la Nouvelle Alliance. Dieu lui-même se donne à nous.

         Vous percevez bien que dans le christianisme, l’autel est ainsi profondément différent de celui des religions anciennes. Il est vrai que l’autel demeure le lieu où nous apportons quelque chose à Dieu. À l’offertoire, chacun présente un peu de lui-même dans le pain et le vin. Mais plus encore, c’est Dieu qui s’offre à nous en nourriture. L’Autel devient la Table de la Communion. Ce n’est pas nous qui nourrissons Dieu – comment pourrions-nous le faire ? – mais c’est Dieu qui nous donne sa vie en abondance. Et alors nous pouvons à notre tour, par sa grâce, nous offrir totalement à Dieu.

L’autel chrétien, n’est donc plus d’abord le lieu où l’homme offre quelque chose à Dieu, mais là où Dieu s’offre à l’homme.

Fraction du Pain et Coupe de Vin

Ce qu’offre Dieu n’est pas un sang morbide, qui ne donne plus vie car il s’est échappé du corps. C’est Corps et Sang unis et vivifiants sous l’apparence végétale du Pain et du Vin. Un agneau immolé, un agneau de Dieu non sanglant, la vie d’Abel le juste… substantiellement le corps et le sang dans la douceur d’une communion au pain et au vin.

Et ces espèces eucharistiques sont bien à recevoir dans la dynamique qui leur permet d’être ferment de communion. On ne reçoit pas du pain ou une hostie seule, mais une fraction de pain : la galette a besoin d’être rompue pour être partagée : ce n’est pas du pain mais un pain rompu. La fraction du pain, voilà le sacrement. Et la patène, l’assiette qui supporte le pain n’a que peu d’importance.  Pour le vin, au contraire, la coupe est essentielle. On ne peut rompre un liquide. Pour être partagé, il a besoin de la coupe, du calice. L’élément de partage du vin, c’est la coupe. Comme les bassines de notre première lecture. Boire à la même coupe, voilà le sacrement. Le pain se donne dans la fraction, le vin dans la coupe.

L’autel dit si bien le sacrement

         Penser à l’autel, quand on évoque le Saint-Sacrement, cela nous évite de focaliser notre attention uniquement sur des objets isolés, les espèces eucharistiques, l’hostie, que l’on remettrait au placard une fois le rite terminé, mais bien d’envisager le sacrement dans une dynamique, celle de l’action de grâce (eucharistie) et de la communion. Le sacrement du Corps et du Sang du Christ n’est pas d’abord un acte d’adoration, mais bien celui d’une bénédiction, d’une fraction, d’une distribution, d’une consommation.

Dans nos églises, la table eucharistique nous rappelle que chacun de nous a été nourri du corps du Christ et appartient désormais à ce corps. Quand nous entrons dans une église, nous pouvons nous incliner devant l’autel car il représente Jésus-Christ mais aussi le corps que nous formons, l’Église, corps du Christ. Ainsi, en saluant l’autel, nous nous rappelons que nous sommes unis les uns aux autres par la communion.

L’autel n’est pas un décor mais lieu du Corps. Il n’est pas un meuble secondaire de nos églises. Il en est le cœur, la pierre d’angle et de faîte… symbole le plus efficace de la croix ! Il indique l’Eucharistie plus que le tabernacle car il nous révèle qu’il ne s’agit pas d’un objet mais d’une action, d’une communion. Manger le même pain rompu, boire à la même coupe de vin… Corps et Sang au même et unique Autel qu’est Jésus Christ.