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2ème Dimanche de l'Avent B

Fr Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond op

Mc 1. 1-8

À quoi reconnaît-on une prophétie ? Peut-être parce que ça ressemble à une provocation.

J’écoute, que dira le Seigneur Dieu : ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Le prophète Isaïe est chargé de dire au peuple que son temps de service est accompli, on pourrait traduire encore : dis-lui que sa guerre est finie …

Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Il l’a dit, c’était avant-hier, il y a plus de mille ans, et il le dit encore. Provocation : à l’évidence, l’humanité n’a pas encore entendu ce que Dieu promet.

La paix, c’est une promesse, c’est aussi un désir. Alors, oui, il y a toutes ces miss France, ou autres, dont on se moque, ou bien des enfants dont on sourit, lorsqu’elles et ils disent souhaiter la paix dans le monde. Tu crois au Père Noël, elles sont un peu naïves – et on dit naïf parce qu’on est poli. Mais nous, nous sommes des adultes, on est lucides et raisonnables : on sait la paix que ça n’est pas possible.

Et en ces temps d’Ukraine et de Gaza, on a tendance à être lucides, à être très adultes, à être très très raisonnables. Quand on y pense, cette lucidité-là de l’adulte raisonnable, c’est tout de même beaucoup amer, presque cynique, franchement désespérant. Dire que les vœux et les désirs de paix sont au mieux touchants, au pire ridicules … c’est sans doute ce qu’il y a de plus triste sur la terre. Et la terre, pour citer un poète (G. Pfster), la terre est lasse de notre tristesse.

La paix, c’est une promesse provocante, et un désir, c’est aussi un effort, une tâche à accomplir, souvenons-nous des Béatitudes : heureux les pacifiques, heureux les faiseurs de paix. Le psaume nous rappelle que cette paix elle fait la paire avec la justice, qu’elle ne va pas non plus sans vérité ni sans amour. C’est ce que crie la voix dans le désert : préparez les chemins du Seigneur. La prédication de JB est efficace : c’est tout Jérusalem, c’est toute la Judée qui se confesse et lave dans le Jourdain. Jérusalem et les fils d’Israël sont les premiers, pas parce qu’ils sont plus grands pécheurs, mais parce qu’ils sont le peuple élu : après eux et grâce à eux, c’est tous les fils d’Adam qui peuvent entendre, et faire la vérité, et préparer les chemins du prince de la Paix, car Il vient.

Celui qui est la Paix est en train de venir, et Jean Baptiste nous dit qu’il a des sandales au pied.

Lorsque Jean se dit indigne, ou plutôt incapable de défaire la courroie des sandales de celui qui vient derrière lui, c’est parce que le messie est plus fort que lui, heureusement qu’il l’est ! Mais ce n’est pas dans sa bouche seulement ni d’abord aveu d’humilité. Car ces sandales qu’on garde ou qu’on enlève, elles ont une longue histoire dans la Bible.

Dans le livre de l’Exode comme dans le livre de Josué, Dieu ordonne à Moïse puis à Josué, de retirer ses sandales : enlève tes sandales car la terre où tu te trouves est sainte. Retirer ses sandales, c’est reconnaître que Dieu seul possède la terre. L’une des premières choses que nous avons à apprendre, c’est à nous déchausser, pour dire : la terre n’est pas à moi, et celui qui y réside, je ne le domine pas. Chercher la paix, c’est reconnaître que l’autre est une terre sacrée, je ne peux pas le fouler au pied. Dans le Deutéronome ou bien au livre de Ruth, la symbolique est comparable : l’homme qui retire sa sandale – ou à qui on retire sa sandale – c’est celui qui refuse ou qui renonce à épouser la femme qu’il devrait normalement épouser. Quand Jean Baptiste évoque des sandales, il signifie profondément que Jésus n’a pas à les enlever quand il vient sur la terre, puisque cette terre est la sienne, et qu’il en est l’Époux. Se baisser pour lui retirer ses sandales, ce serait lui dire qu’on ne veut pas de lui, que l’on a renoncé à l’alliance qu’il propose.

Mais il en est un qui va enlever ses sandales au Messie, et c’est le Messie lui-même. Il est pieds nus à sa naissance, il est pieds-nus à son baptême, il est pieds-nus au Golgotha. Personne n’est capable de retirer au Christ ses sandales, sauf le Seigneur lui-même. De Noël à la Croix, notre Seigneur a renoncé à tout pouvoir et toute domination. C’est ainsi qu’il propose sa paix, et qu’il la fait : dans les cœurs et les communautés qui l’accueillent. Chez celles et ceux qui reconnaissent que toutes les terres sont saintes, que toute homme, parce que c’est un homme, est une terre sacrée. Celles et ceux qui acceptent que Dieu ne vienne pas à eux en maître et en Seigneur mais qu’il soit ce va-nu-pieds. Les hommes et les femmes de bonne volonté qui consentent à ce que le Seigneur s’agenouille pour leur enlever leurs sandales, pour nous laver les pieds. Celles et ceux, qui vivent en paix avec les autres, ou qui, au moins, le veulent et s’y emploient. J’écoute, que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit c’est la paix … depuis mille ans et plus il le dit, et il y en a qui l’ont entendu, aujourd’hui encore qui entendent, demain encore qui entendront, malgré les bombes, les chars et les fusils, qui entendent vraiment ce que ça signifie et ce que cela exige : shalom aleikhem, salam aleikum, pax vobiscum, la paix soit avec vous. Depuis plus de mille ans, il y en a de ces naïfs, de tous ces va-nus-pieds. Peut-être pas les plus nombreux, peut-être pas les plus visibles, mais sûrement ce sont les plus précieux : ils sont l’honneur, ils sont l’enfance de notre humanité, qu’ils soient ou non chrétiens, ils forment ensemble le Corps du Fils de Dieu qui naît sur notre terre.