Close

32ème Dimanche du To A

Fr Paul Clarke op

Mt 25,1-13

Qu’est-ce qui empêche les cinq jeunes filles insouciantes d’entrer dans la salle des noces ? Le seigneur qui ne leur ouvre pas ? Oui, certainement. « Je ne vous connais pas » dit-il. Leur manque d’huile, également. Mais la raison plus profonde, qui explique pourquoi ces jeunes filles insouciantes sont devenues anonymes devant l’époux se trouve ailleurs. Ces jeunes filles ne peuvent pas entrer puisqu’elles ne sont pas libres de le faire. Elles sont empêchées, stoppées par elles-mêmes, par quelque-chose en elles, ou plutôt par une absence de quelque chose en elles, un manque crucial, de sorte qu’elles sont rendues inaptes à entrer dans la salle. Leur manque de sagesse entraîne un manque de liberté. 

Écoutons à nouveau la prière du commencement de la liturgie : « Dieu de puissance et de miséricorde, éloigne de nous, dans ta bonté, tout ce qui nous arrête, afin que, sans aucune entrave, ni d’esprit ni de corps, nous accomplissions d’un cœur libre ce qui vient de toi. » Un cœur libre : qui ne voudrait pas une telle chose ? Mais nous sentons tout de suite, malgré toutes les libertés dont nous profitons dans notre société, la distance qui nous sépare de cette liberté intérieure. 

Si la liberté du cœur exige une sagesse d’esprit, il me semble qu’il y a trois points, ou trois étapes du chemin de la sagesse.

Le premier point : le cœur humain dépend d’une vision de la réalité dans son ensemble.

Il y a aujourd’hui une préférence de parler du cœur plutôt que de l’intellect. Envisager la religion en termes d’intellect peut sembler trop froid, abstrait, détaché, mécanique. Ainsi la religion comme une affaire du cœur peut paraître plus juste. Le cœur comme centre de la personne humaine, le siège des décisions qui font de nous les personnes que nous sommes, et aussi comme le site mystérieux de rencontre avec le Seigneur. Mais on n’approche le cœur qu’à travers l’intellect. Effectivement, s’approcher du cœur sans l’intellect relève de la manipulation, même si l’intention est bonne. Si je parle directement à vos désirs, vos sentiments, sans référence au fait que vous pensez, que vous pouvez évaluer ce que je dis, alors je ne tiendrais pas compte du fait que vous êtes une créature qui désire savoir, qui a un appétit de vérité. 

Sagesse – en quoi consiste-t-elle ? En parlant de l’éducation universitaire, et reprenant une distinction classique, Saint John Henry Newman a dit qu’il y a deux façons de savoir : la connaissance des choses singulières pour ce qu’elles sont, et puis il y a la sagesse qui voit toutes les choses dans leurs relations, comme un tout, richement tissé ensemble. La sagesse, alors, est la vertu de voir toutes les choses ensemble, c’est-à-dire dans leurs relations ordonnées — ordonnées à la lumière de ce qui est le plus élevé, et non de ce qui est le plus pressant ou le plus urgent, de ce qui est le plus douloureux ou le plus effrayant, ou de ce qui est le plus attirant, le plus séduisant. Et le plus sage est le saint, qui regarde et qui aime toutes choses à la lumière du Très-Haut. Cette sorte de vision permet d’avoir un cœur ouvert à ce qui est bon en vérité. 

Deuxième point : le Seigneur dessine une association nette entre être sage et être prêt.

Celui qui est sage sera forcément prêt. Voilà ce qu’on peut appeler la temporalité de la sagesse. Or il n’est pas évident comment penser clairement, agir efficacement dans le flux du temps, le va-et-vient constant, l’urgence et l’attente, la sensation que je n’ai jamais assez de temps, que je ne suis jamais prêt… Dans les Ecritures, il y a deux sortes de temps : chronos et kairos. Chronos, c’est le temps linéaire, une chose après l’autre, le temps de la nature et le temps de l’horloge. Kairos, c’est le temps et l’instant décisif, le temps dans lequel agit le Seigneur, le temps dans lequel le Seigneur nous interpelle, le temps décisif de notre réponse. Kairos, c’est le temps de Dieu. Nous vivons dans les deux temps à la fois. Le temps de l’horloge, du calendrier, et le temps d’action divine, ce temps “verticale.”

Alors, dans l’Évangile nous trouvons ce double sens de temps. “Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.” “Tardait” ici traduit chronizontos, l’écoulement linéaire du temps de l’attente. Or les sages et les insouciantes vivent toutes deux le temps de chronos et s’endorment. Mais seul un groupe est dominé par lui, au point qu’elles ne comprennent pas que le moment de l’arrivée de l’époux, ce kairos, viendrait au milieu du temps ordinaire de chronos. C’est un trait distinctif de la sagesse qui nous rend libre de voir dans l’ordinaire la venue du Seigneur.

Troisième et dernier point : le dimanche est le jour du Seigneur, et aussi, me semble-t-il, le jour de sagesse.

Ce jour met de l’ordre dans le temps de la semaine, l’ordre du temps vertical dans lequel toute notre vie est mise en relation avec Dieu. Selon la définition célèbre de st. Augustin, la paix est tranquillitas ordinis, la tranquillité de l’ordre. L’ordre demande que chaque chose soit à sa place. Le repos, le loisir du dimanche n’est pas un espace vide à remplir avec n’importe quoi. Il y a un but : la participation à la vie de Dieu, dans l’action de grâce, action qui a pour effet de mettre de l’ordre dans le reste de notre vie. Le Seigneur nous donne ce jour de la Résurrection comme jour de récréation, dans lequel nous trouvons, à partir de ce kairos liturgique, au milieu du chronos, un temps consacré à la rencontre avec l’époux, afin que dans la vie quotidienne, nous puissions être libres de cœur, toujours prêts à poursuivre le chemin de la sagesse qui nous mènera jusqu’au banquet des noces de l’Agneau.