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30ème Dimanche du To A

Père Christophe Delaigue

Mt 22, 34-40

On connaît tout ça ! Et peut-être même que le risque c’est de ne plus trop mesurer l’enjeu véritable ou la force et la nouveauté, la radicalité du propos de Jésus !?

Qu’en dire, en plus, à des moniales, vous qui savez tout ça et qui essayez de le vivre ?! Nous tous aussi, d’ailleurs, j’espère !

Mais justement. Écoutons. Écoutons encore… Écoutons et entendons ce que Jésus veut nous dire aujourd’hui encore. Et méditons…

Ce que Jésus nous laisse en héritage, ce qu’il nous commande, ce qui vient tout récapituler de la Loi et de ce que Dieu veut tracer pour nous comme chemin, tout cela se dit en ce double commandement à aimer : aimer Dieu et aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Et vous la connaissez la question dans l’évangile de Luc qui rapporte ce même double appel : qui est mon prochain ? Réponse de Jésus, avec la parabole du Samaritain (Lc 10,25-37) : celui ou celle de qui tu voudras bien te faire proche, c’est-à-dire celui ou celle qui est là au bord du chemin et qu’il te faut voir pour l’aimer concrètement.

Ici, chez Matthieu, un petit détail doit nous arrêter. Un détail qui n’en est pas un puisque c’est presqu’une « bombe » tellement c’est important ou radical ou nouveau en ce que ça vient nous dire. Ce détail c’est ce mot, ce « c’est semblable ». Aimer Dieu et aimer son prochain c’est semblable…

Est-ce que nous entendons pour de vrai ? C’est-sem-blable ! C’est la même chose. Pas l’un sans l’autre !

J’ai repensé à St Jean, dans sa 1ère lettre, qui nous dit : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet celui qui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas » (1Jn 4,20). Pour le dire autrement – et pour insister ! – : « Si tu dis que tu aimes Dieu, alors que tu n’aimes pas ton frère ou ta sœur qui est là, alors tu es un menteur ou une menteuse ! »

Aimer Dieu ça peut paraître facile : je lui donne du temps, j’essaye de le prier, j’écoute sa Parole, ça me fait du bien ; parfait, j’aime Dieu… quoi que… Mais aimer son prochain, est-ce si évident ? Aimer son prochain qui est celui qui est là, quoi qu’il ait fait dans sa vie, quel qu’il soit, quelle que soit son histoire, quel que soit le mal qui a pu faire, quel que soit aussi le moment où il vient me déranger et peut-être même m’agacer parfois avec ses demandes ou ses besoins… Aimer, aimer l’autre qui est là…

Moi, ça m’appelle une question très précise et en même temps très large, qui va peut-être vous paraître un peu bête ou étonnant de se la poser. Mais pour de vrai, c’est quoi aimer ? Pour le dire un tout petit peu autrement : qu’est-ce qu’aimer – aimer de cet amour dont parle Jésus – ; et alors : comment aimer ?

Si j’en crois Jésus dans l’évangile de Jean, en Jn 15 (v.12) : nous sommes appelés à nous aimer les uns les autres comme lui, Jésus, nous a aimés. Tout simplement. Faudra voir ensuite ce que ça veut dire concrètement ! Mais c’est ça l’appel : nous aimer comme lui nous a aimés. Et c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres, avait-il dit un peu avant dans le même évangile, c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que nous sommes ses disciples (cf. Jn 13,35).

Aimer comme lui, le Christ, nous a aimés. Aimer comme Dieu nous aime, lui qui a envoyé son propre Fils, son Unique, pour nous révéler son amour, son amour sauveur.

Dieu, on l’a entendu dans la 1ère lecture, est celui qui écoute et qui entend le cri du pauvre et du malheureux. Dieu entend notre prière, Dieu entend les cris du monde et la détresse de toutes les victimes de toute violence et de tout mal.

Et Dieu veut là révéler son salut, Dieu voudrait nous faire entrer en sa dynamique de salut, nous faire entrer dans ses promesses de résurrection qui sont de croire qu’avec lui, le Christ, et dans le don de soi par amour, la vie est et sera plus forte que tout mal et que toute mort, quoi qu’il arrive et malgré les apparences premières, croire qu’au cœur de toute épreuve la vie peut être re-suscitée par la puissance de Dieu. Une puissance discrète qui veut souffler en nos vies, être notre force et faire de nous des témoins de ce salut, témoins en paroles mais surtout en actes.

Car aimer c’est concret et ça appelle notre agir.

Mais pour agir il faut entendre et donc écouter. Comme Dieu. Entendre et écouter pour répondre. A notre mesure, notre petite mesure souvent, mais toute notre mesure. Et en demandant à Dieu sa force, sa présence, son Esprit Saint.

Ce sera, pour une part, tout l’enjeu de notre vie de prière, tout l’enjeu de l’écoute de sa Parole, tout l’enjeu de notre vie sacramentelle aussi : nous rendre présents à Dieu, l’aimer ainsi très concrètement, et nous ouvrir à ce qu’il permettra par nous.

Parce que le Christ ressuscité nous a envoyés en mission à sa suite et il compte aujourd’hui encore sur nous, que nous soyons chacun et ensemble ses mains qui vont prendre soin et qui vont panser les plaies ; que nous soyons aussi sa voix qui va réconforter et consoler, encourager aussi et aider à mettre en mots ; et que nous soyons également ses pieds qui vont s’approcher de l’autre qui est là et faire un bout de route avec lui pour le relancer sur le chemin de ce qu’il a à vivre…

C’est très concret l’Évangile. Nous le savons, évidemment, mais il est bon, je le crois, de l’entendre et de le réentendre.

Et en vous partageant ces mots, je repense à l’évangile du lavement des pieds, en Jn 13, qui dit comment le Christ nous a aimés ; ça dit le mouvement même de son incarnation, Dieu qui s’est abaissé à hauteur de notre humanité fatiguée, pour prendre soin, apaiser et permettre de se relever. Dieu qui s’est fait proche de nous en notre humanité, et qui a révélé son amour, son amour sauveur, sa miséricorde.

Et Jésus le dira, voilà ce qui est attendu de nous : être « miséricordieux comme [le] Père est miséricordieux » (cf. Lc 6,36) … Or qu’est-ce que la miséricorde ? J’aime et je cite souvent cette définition qu’en donnait le pape François dans le texte d’annonce de l’Année de la Miséricorde : la miséricorde c’est « l’amour de Dieu qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance ».

L’amour qui console et qui appelle à consoler, l’amour qui pardonne et qui appelle à pardonner, l’amour qui ouvre et veut ouvrir pour nous et donc pour tous des chemins d’espérance.

Et cela appellera ce que dit encore le pape François de ce qu’il appelle « le style de Dieu : tendresse, proximité et compassion ».

La miséricorde c’est l’amour qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance. Pour ce faire il nous faut vivre du style même de Dieu : tendresse, proximité et compassion.

Voilà. Tout est dit je crois. Mais tout reste à faire, tout reste à vivre, humblement mais résolument, jour après jour. A nous d’incarner cet appel à aimer, l’incarner dans le réel des jours et de notre vie, dans la vie communautaire comme dans nos familles, dans nos paroisses aussi comme dans nos divers lieux d’engagement, et tout autant avec ce qui sera donné de tel ou tel qui va croiser notre chemin ou sonner à la porte, tel ou tel encore qui crie ses découragements ou sa désespérance ; tel ou tel, qu’il me soit proche ou plus étranger…

Aimer c’est donc écouter et c’est entendre. Aimer c’est donc prendre soin de l’autre qui est là, et c’est s’incliner devant « la terre sacrée qu’est l’autre » – comme dit le pape François dans La joie de l’Évangile.

Il s’agit et il s’agira, je le redis, d’aimer Dieu et d’aimer l’autre qui est là – comme soi-même, donc s’aimer soi-même aussi. Et nous y aider les uns les autres : nous soutenir, nous consoler, nous pardonner, nous permettre de nous relever. Nous aimer les uns les autres comme le Christ nous aime.

Tout est dit, tout reste à vivre. Que nous devenions ainsi ce que nous célébrons ce matin encore, que nous devenions ce que nous allons recevoir : le Corps du Christ, sacrement de sa présence, signe et moyen concret qu’il prend pour se rendre présent aujourd’hui encore et annoncer la Bonne nouvelle de son salut.

Puissions-nous ne jamais nous habituer à ces appels, puissions-nous apprendre tout-jours et encore à les vivre dans le concret de nos jours, puissions-nous grandir aussi dans le désir et la volonté de le vivre pour de vrai, malgré notre péché, malgré nos manquements à l’appel à aimer.

Voilà peut-être ce que nous pouvons demander dans cette eucharistie.  En demandant aussi la grâce d’entendre et de trouver comment répondre à notre mesure ; et déjà, notamment, en offrant tout cela dans le silence de la prière, maintenant. Amen.