Close

20ème Dimanche du To A

Fr Damien Duprat op

Mt 15. 21-28

Que se passe-t-il ? Que fait Jésus ? Parfois dans l’Évangile nous le voyons accomplir des guérisons à tour de bras, pour ainsi dire, pendant des soirées entières ; et ici il se fait prier, supplier, en commençant par ne rien répondre à cette femme qui fait appel à lui ; et quand il daigne lui répondre, ce n’est pas piqué des vers, si vous me passez l’expression ! Comment cela se fait-il ?

Pour mieux comprendre, il peut être utile de réviser un peu ce que l’on appelle l’Histoire sainte. Environ dix-neuf siècles avant Jésus, Dieu a appelé Abraham à vivre dans la foi et il lui a promis une descendance innombrable, plus nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable au bord de la mer. Abraham a donné naissance à Isaac, qui a lui-même engendré Jacob, lequel eut douze fils, et selon les récits bibliques ces douze fils sont à l’origine des douze tribus d’Israël ; autrement dit, d’Abraham est né le peuple d’Israël, choisi par Dieu, héritier des promesses divines. C’est à ce peuple que Dieu s’est révélé de façon unique ; c’est à ce peuple qu’il a envoyé ses prophètes pour annoncer la venue d’un Messie sauveur. L’Incarnation du Christ a donc été une réponse à cette attente du peuple élu. C’est pourquoi nous le voyons annoncer la bonne nouvelle du Royaume à son peuple : dans ses prises de parole publiques, il s’adresse non pas aux païens mais à ses compatriotes rassemblés en foule autour de lui. Les premières consignes de mission qu’il donne à ses disciples sont de la même veine (Mt 10,5-6) : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël ».

Ainsi, Jésus n’est pas parti en mission auprès des païens : c’est cela qu’il rappelle dans l’Évangile d’aujourd’hui. Mais cela n’a pas empêché des païens de venir à lui ! Déjà, un peu plus haut dans l’Évangile de Matthieu, c’est un centurion romain qui est venu à sa rencontre pour le supplier de guérir son fils ; et qu’est-ce que Jésus a fait ? Il l’a guéri, bien sûr (Mt 8,5-13). Aujourd’hui, c’est une femme païenne qui s’adresse à lui. La première réponse de Jésus a de quoi nous choquer : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » C’est un langage codé : les enfants, c’est le peuple d’Israël ; les petits chiens, ce sont les autres, autrement dit les païens. Le pain qui nourrit les uns et les autres, ce sont les bienfaits de Dieu.

Il n’est pas sûr que l’interlocutrice de Jésus ait été heurtée par ces propos, comme nous pouvons l’être. Elle semble très bien comprendre la réponse de Jésus, et elle ne la conteste pas, au contraire. Elle a compris que le peuple juif est privilégié par le Seigneur, comme premier dépositaire de la Révélation divine. Elle sait que le rabbi qui est devant elle a déjà accompli de nombreux miracles ; elle admet aussi qu’il serait injuste de léser le peuple de Dieu en détournant de lui la bienveillance divine. Mais ce n’est pas cela qu’elle demande. Elle croit en la puissance de Jésus, une puissance telle qu’il peut donner à l’un sans rien enlever aux autres. Il a bien fait le déplacement jusqu’en terre païenne ; il n’y a pas de raison pour que son action prodigieuse soit arrêtée par une frontière géographique. Dans un débordement de sa bonté, il peut accomplir des miracles pour des non-juifs sans priver aucunement le peuple juif. Voilà la foi que Jésus admire et qui est suffisante pour qu’il lui accorde la guérison de sa fille.

Je vous propose de tirer deux leçons de cet Évangile. Premièrement, sur la puissance de la foi. Sans doute pourrions-nous tous raconter comment le Seigneur a exaucé telle ou telle prière audacieuse que nous lui avons adressée, peut-être au-delà même de ce que nous espérions. Continuons de mettre fermement notre confiance en lui ! La foi est aussi bien un acte personnel qu’une grâce donnée par Dieu ; elle est bien plus précieuse que l’or, comme dira saint Pierre (1 P 1,7) ; par la foi, nous pouvons bénéficier des bienfaits de Dieu, et par-dessus tout de la vie éternelle qu’il nous prépare.

Deuxièmement, cet Évangile nous donne aussi un exemple du développement progressif du projet de Dieu dans l’histoire, ce que les théologiens appellent l’économie du salut. Si Jésus a été envoyé par son Père au seul peuple d’Israël, et si Jésus a d’abord fait de même quand il a envoyé ses disciples sur les routes de la Terre sainte, il a ensuite changé de discours en leur disant : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28,19-20). Telles sont les consignes de mission qu’il a prononcées après sa résurrection, et aujourd’hui c’est à nous aussi qu’il lance cet appel. Ce sont d’ailleurs les derniers mots de l’Évangile de Matthieu, enfin presque, car Jésus a encore ajouté : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).