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Douai, BM, 0118

5ème Dimanche de Carême A

Fr Joël-Marie Boudaroua op

Jn 11, 3-7.17.20-27.33b-45

« Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur », dit un verset du Psaume 103 ! Oui, quelle profusion de sens, de paroles, d’images, de symboles, dans ce chef d’œuvre de Dieu qu’est La Résurrection de Lazare ! On voudrait s’arrêter sur chaque détail, sur chaque mot, chaque personnage, mais on y passerait la journée. Alors prenons-le simplement pour ce qu’il est, cet évangile : une parole de résurrection.
Qu’est-ce que l’Évangile que nous prêchons, en effet, sinon un Évangile de la vie, qui donne la vie, qui rend la vie au moment même où on l’entend. Et ce 11e chapitre de St Jean rend la vie, je vais vous le montrer ou plutôt je vais laisser Fiodor Dostoïevski vous le montrer. Le grand romancier russe publie en 1866, Crime et châtiment ; c’est un roman sombre, lourd, pesant comme la pierre qui ferme le tombeau de Lazare mais c’est surtout, pour reprendre les mots de l’auteur lui-même, « l’histoire du renouvellement progressif d’un homme, l’histoire de sa régénération, de son passage progressif d’un monde à un autre, de son ascension à une nouvelle réalité qui lui était jusqu’alors totalement inconnue », autrement dit, c’est l’histoire d’une résurrection.
Cet homme, c’est Raskolnikov, un étudiant russe, nihiliste, comme il se doit, sans le sous, qui tire le diable par la queue, – c’est le cas de le dire -, puisqu’il va commettre un double crime, crime qu’il a prémédité et dont le châtiment tarde à venir car si on le soupçonne, on a pas de preuve et, surtout, on n’a pas d’aveu. Le châtiment de Raskolnikov, c’est d’être laissé à lui-même, à son remord, sa culpabilité, son désespoir. L’issue, c’est l’aveu mais l’aveu c’est le bagne et je crois que seul l’amour pourrait nous conduire à la fois à l’aveu et au bagne. Et c’est bien ce qui arrive à Raskolnikov quand il rencontre, dans la jeune Sonia, la compassion qui va l’amener à l’aveu et au bagne. Lorsqu’il se retrouve chez elle pour la première fois, ils ont cette conversation étrange pour des amoureux :
Alors, tu le pries beaucoup, Dieu, Sonia ? demanda-t-il
Sonia se taisait, il se tenait près d’elle et attendait une réponse.
Qu’est-ce que je ferai sans Dieu ? chuchota-t-elle d’une voix précipitée et énergique, après avoir soudain jeté sur lui un regard étincelant, et elle lui serra la main très fort.
C’est ça, elle en est là, se dit-il. Et qu’est-ce que Dieu fait pour toi ?
Il fait tout, chuchota-t-elle très vite, rabaissant les yeux.
La voilà l’issue ! La voilà, l’explication de l’issue ! trancha-t-il pour lui-même.
Et c’est après cette réplique intérieure qu’il lève les yeux, regarde autour de lui, et voit la Bible posée sur la commode. Et là oui, là sera l’issue car c’est à ce moment-là que se met en place la scène centrale du roman, celle de la lecture par Sonia de la Résurrection de Lazare. Une scène qui commence par ses mots :
– C’est où, sur Lazare ? Cherche ce passage et lis-le-moi !
Sonia ouvrit le livre et chercha l’endroit. Ses mains tremblaient. Deux fois, elle essaya de lire et ne put articuler la première syllabe. Puis elle lut : Un certain Lazare, de Béthanie, était malade…
La maladie de Lazare ne conduit pas à la mort comme nous l’avons lu dans l’Évangile. Ce qui conduit à la mort, c’est la maladie du désespoir. La seule maladie mortelle, vraiment mortelle, c’est le désespoir qui caractérise une vie morte avant même le trépas. L’Évangile est la parole qui guérit, qui fait renaître, qui nous fait sortir de nos prisons, « sortir de la geôle de la putréfaction », comme ose dire Eugen Drewermann. Mais cette parole qui fait sortir du tombeau passe aussi par des bouches humaines. Puissent tous les Raskolnikov trouver leur Sonia car c’est quand nous entendons quelqu’un nous dire : « Lazare, sors ; viens dehors ! » ou : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts ! » ou encore : « Lève-toi et marche ! », que tombent les bandelettes enlaçant notre cadavre et que nous sortons à la lumière en obéissant à l’appel de Dieu : alors la terre ne peut plus nous retenir en son sein et nous sommes libres.