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3ème Dimanche de Carême A

P Michel Mounier

Jn 4, 5-15.19b-26.39a.40-42

 

Quel magnifique récit d’Évangile que celui-ci. On pourrait en parler, ou le prier si longtemps !
Il commence par nous dire que Jésus est un homme comme nous, vraiment homme. Il est fatigué et s’assoit. Déjà, il a été tenté, comme tous les humains. Etre fils de Dieu ne fait pas de lui un sur-homme, un non-humain. Une femme s’avance, harassée de soleil, toute entière vouée à sa tâche : aller chercher de l’eau. Nous prenons conscience ces temps-ci combien c’est un bien essentiel. Jésus la voit s’approcher. A-t-elle soif ou vient-elle par devoir ? Etre fils de Dieu ne signifie pas non plus tout savoir. Mais être attentif à l’autre signifie poser les bonnes questions.
Commence alors entre Jésus et la femme un long échange. Et c’est comme si ce travail de la parole échangée creusait un autre puits. C’est ce que disaient les moines de Tibhirine avec leurs amis musulmans soufis. Qu’y a-t-il au fond du puits ? Un puits plus profond que celui de Jacob dont on disait qu’il atteignait une source inespérée.
Le 1er coup de pelle est donné par Jésus : « Donne-moi de l’eau ». Peut-être n’est-ce pas pour qu’elle l’abreuve mais pour qu’elle relève la tête et que leurs regards se rencontrent. La voilà qui creuse avec lui, le 1er pas est franchi : « Toi un juif, tu me demandes de l’eau à moi une samaritaine, une femme. » Double interdit. Première incision dans l’ordre de son quotidien, dans ce qui commande la vie d’une femme, les frontières d’un peuple, les codes et les références qui permettent à chacun de vivre en sécurité mais aussi le gardent prisonnier.
Tu viens chercher de l’eau, semble dire Jésus, mais moi, je vais te conduire à la source : « Si tu connaissais le don de Dieu », rit alors Jésus. Et voilà qu’en creusant profond, la surface des dogmes et des identités communautaires s’éloignent pour rejoindre la source commune. Deux millénaires après, l’Église catholique reconnaîtra les richesses des diverses traditions et religions. Le don de Dieu ignore la querelle qui sépare les juifs et les samaritains depuis le retour de l’exil, il y a quelques siècles. Le don de Dieu se moque de connaître les usages, il ignore délibérément qu’une femme isolée ne parle pas à un étranger.
Le don de Dieu interroge les profondeurs de nos vies. « Appelle ton mari », enjoint Jésus à la femme. Et voilà qu’elle descend encore en elle, au cœur de sa propre existence. « Je n’ai pas de mari, répond-elle sans mentir, sans non plus dévoiler la vérité. Alors Jésus creuse plus profond encore : « des maris, tu en as eu cinq et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu dis vrai. » Qu’y a-t-il derrière cet échange ? Cela nous est inconnu. Mais il fait jaillir chez la femme la source qui avait tari : celle de la vérité.
Souvenons-nous, faisons mémoire des paroles qui nous ont parfois libérées. Ces mots limpides posés sans jugement sur nos opacités. La parole rend libre, la vérité rend libre.
La femme dit alors à Jésus qu’il est un prophète. Etre fils de Dieu, ce n’est pas lire l’avenir dans les lignes d’une main. Etre fils de Dieu signifie lire la vérité au plus profond d’un être et remonter avec lui vers la source de son désir. Pourquoi est-elle venue cette femme qui repart au village en oubliant ce pourquoi elle est venue, sa cruche pleine. Un autre désir a jailli en elle. Va vers toi, a entendu un jour Abraham. Va vers ton désir profond. Puissions-nous entendre cette parole et prendre la route.