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2ème Dimanche de Carême A

Fr Jean-Christophe de Nadaï op

Mt 17, 1-9

Cet évangile de la transfiguration, au 2e dimanche de carême, répond à celui des tentations au 1er. Le même corps, en quoi Jésus-Christ connut la faim au terme d’un jeûne de quarante jours au désert ; le même corps de Jésus, donc, est manifesté aujourd’hui comme le siège de sa divinité, et lui-même est ainsi déclaré comme la Lumière véritable qui éclaire tout homme en venant dans le monde, comme saint Jean le proclame au début de son évangile.
Si tu es le Fils de Dieu : tel était le défi du diable lancé à Jésus. Il l’engageait à user de sa puissance propre de Fils de Dieu, et à passer outre les limites imposées par son corps, qu’il ne sentait que trop à cette heure. Mais non. Jésus ne voulut pas lors déclarer son être de Fils Unique de Dieu contre sa condition de Fils de l’homme. Le Christ apprenait, tout Fils qu’il était, l’obéissance, comme il est dit dans la Lettre aux Hébreux. Il apprenait, à partir de son baptême, à devenir fils de Dieu à la manière des hommes et des chrétiens de l’Église qu’il allait bientôt établir en ses apôtres. Pour couvrir tous les péchés des humains, il voulait produire en homme, et dans la faiblesse humaine, un amour souverain pour Dieu et les humains, alors que Dieu paraîtrait l’avoir abandonné, et que les siens l’auraient abandonné en effet, et même, s’agissant de Judas, livré aux méchants.
Aujourd’hui, au sommet de la montagne du Thabor, se manifeste ce même éclat qui se déclara devant Moïse au mont de Sinaï. Et le même Moïse qui, au mont de Sinaï, avait dû voiler sa face devant tant de lumière, peut aujourd’hui contempler cette même lumière tempérée, pour ainsi dire, dans l’humanité de Jésus, commune avec la sienne. Le char et les chevaux de feu qui avaient emporté Élie de devant les yeux de son disciple Élisée terminent enfin leur course sur cette montagne, devant la splendeur de Dieu révélée dans un homme. En sorte que la Loi et les Prophètes, toute la sainte Écriture, donc, dans la personne de Moïse et d’Élie contemple à visage découvert le Fils de Dieu fait homme : toute l’Écriture, donc, confesse et publie n’avoir été révélée qu’en figure et annonce de Jésus-Christ.
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » La voix du Père se fait entendre, comme elle s’était fait entendre au baptême de Jésus, dans l’évangile immédiatement précédant celui des tentations. Elle se fait de nouveau entendre, oui, mais de manière combien différente ! Ici, au Thabor, au sommet d’une montagne, où le ciel de Dieu rejoint la terre des hommes dans la Personne du Fils Unique et Verbe fait chair. Là, au fond d’une vallée, celle du Jourdain où, écrit saint Luc, comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait. Jésus, certes, était là si peu glorifié, qu’il se confondait, sous les yeux de tous, avec le reste des pécheurs. La voix du Père, qui pour lors s’éleva en effet, n’eut pas, semble-t-il, d’autre auditeur que Jésus, à qui elle s’adressait : Tu es mon fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, selon la version de saint Luc. Or, cette parole est celle-là même que le prêtre prononçait sur le roi d’Israël au nom du Seigneur le jour de son couronnement, comme il recevait l’onction royale. On la trouve au livre des psaumes. Et cette parole elle-même est celle que tout père prononçait sur l’enfant qu’on lui présentait pour le reconnaître pour son enfant, en effet, qu’il fût de son sang ou bien adopté. C’est pourquoi rien ne déclarait, dans la parole que le Père fit entendre au Jourdain, que Jésus fût le Fils Unique et éternel. Il n’était pas manifesté comme Fils par nature, mais comme un homme choisi par Dieu en ce jour. Il se mettait bien plutôt lui-même ce jour-là au rang des pécheurs : nu, non drapé de lumière comme aujourd’hui, il parut ainsi dans une condition conforme à la nôtre, qui avons été baptisés dans sa mort et sa résurrection, pour recevoir l’onction royale au jour de notre confirmation.
Bien loin donc d’être révélé comme Dieu, Jésus, au fond de la vallée du Jourdain, priait Dieu. Il attendait que Dieu le relevât d’une parole, et cette parole se fit entendre à lui en effet. L’Esprit Saint se manifesta à lui sous l’aspect d’une colombe, et c’est ce même Esprit Saint qui le conduisit au désert, disent les évangiles : Jésus garde ensevelie sa divinité propre de Fils Unique, et se laisse conduire par la divinité de l’Esprit, qu’il répandra sur ses disciples au jour de sa glorification. Il se laisse conduire par celui qui, pourtant, procède éternellement de Lui conjointement au Père. Il vit, par avance, la destinée de tout chrétien, lui qui donne à tout chrétien la grâce de vivre de manière à honorer ce nom. Et c’est par la puissance de l’Esprit, non par la sienne propre, qu’il déclara devant Satan son amour de Dieu et de sa parole.
Nous n’avons donc pas à chercher d’excuses à nos infidélités en arguant que nous ne sommes pas Dieu, comme était Jésus, lui qui ne fit aucun usage pour soi de sa puissance divine. Mais que Jésus ait été révélé comme Dieu, ainsi que Pierre, Jacques et Jean en ont témoigné à l’Eglise au lendemain de la Pâque du Seigneur, selon ce que Jésus leur avait prescrit, cela fait de la montagne du Thabor notre horizon et notre phare sur la route où nous sommes guidés, non par la vue, mais par la foi et l’écoute de la parole de Jésus, qui est notre Chemin dans les ténèbres de ce monde. Pierre, Jacques et Jean ont vu l’éclat de cette gloire, mais nous lisons que cela devint alors pour eux un sujet de crainte. Pourtant la révélation dont ils furent témoins et dont ils témoignèrent auprès du reste des disciples nous est un gage que l’humanité est destinée pour être unie à Dieu, et que dans notre chair nous verrons l’homme Dieu dans sa gloire, si nous vivons les épreuves de ce temps en nous laissant guider, comme Jésus, par l’Esprit-Saint.