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1er Dimanche de Carême A

Fr Cyrille-Marie Richard op

Mt 4, 1-11

Un évangile pour le début du carême. Jésus est 40 jours au désert, comme il nous est
proposé de nous préparer à Pâques durant 40 jours, un carême.
Si on modèle notre carême sur ces 40 jours de Jésus au désert, alors notre carême se
dessine assez clairement :
– 40 jours d’ascèse ;
– 40 jours de combat, contre le diable, contre les tentations qu’il nous envoie ;
– 40 jours de jeûne ;
– 40 jours de solitude ;
– Et encore, Marc ajoute la présence des bêtes sauvages, que Matthieu nous épargne.
– 40 jours de prière.
Cela fait un programme de carême qui ne va pas être facile.
On s’imagine comme Jésus, même si on sait qu’on fera moins bien.
D’abord, il faut se trouver un désert. Pour lui, c’était plus facile : quel que soit l’endroit où
vus habitez en Israël, vous n’êtes jamais très loin du désert. Pour nous, c’est plus difficile :
où aller ? Ai-j d’ailleurs 40 jours de vacances pour pouvoir m’extraire du monde ?
Si on continue dans la volonté de copier l’expérience de Jésus, au désert ou en ville, on a
donc un programme : durant 40 jours, résister aux attaques du démon. Et là, on sent bien
qu’on fera moins que Jésus. On va peut-être résister à quelques tentations faciles : quand
le diable va venir avec ses gros sabots, on va le reconnaître. Mais quand il viendra plus
subtilement ? Est-ce qu’on ne ressemblera pas plu à Adam et Eve qu’à Jésus ?
Et puis, le combat est quasiment perdu d’avance : il est trop inégal car, visiblement, il se
joue sur le terrain biblique. Le diable va nous sortir un verset de la Bible ; Jésus savait très
bien répliquer en sortant un autre verset.
Ps 91,11 ! Oui mais Dt 8,3 !
Qui sait jouer à ce jeu-là ? Malheureusement, comme nous connaissons moins bien notre
Bible que Jésus, nous risquons de ne pas savoir trouver le contre-verset idéal.
Décidément, pour nous, ce carême s’annonce très mal.
Toutefois, il me semble que les 40 jours de Jésus au désert ne sont pas avant tout pour
nous donner un programme, mais pour porter à son accomplissement un évènement plus
ancien.
Une expérience semblable en de nombreux points a déjà été vécue : le désert… 40 jours…
Je veux parler des 40 ans des hébreux dans le désert.
Certains ne sont peut-être pas très familiers de l’histoire sainte. Chacun sait au moins que
les hébreux sont sortis de l’esclavage en Égypte, en traversant la Mer Rouge, pour aller en
terre promise. Mais, alors que la terre promise est accessible en deux semaines de marche,
ils ont mis 40 ans à errer dans le désert du Sinaï avant d’arriver en Canaan.
Ce temps de 40 ans au désert, Pour Israël, est absolument fondamental. C’est là qu’Israël
a reçu la Loi, s’est constitué en peuple et a commencé le culte au Seigneur. Trois livres
(l’Exode, le Lévitique et les Nombres) racontent cette marche ; un 4ème livre la résume et en
donne un bilan et une interprétation : le Deutéronome. Justement, les trois citations
bibliques que donner Jésus sont issues de ce Deutéronome, ce livre qui donne le sens de
la marche au désert.
Le diable commence ses tentations en disant à Jésus : « si tu es fils de Dieu… »
Les 40 ans au désert ont été l’enfance d’Israël, le moment où Dieu a éduqué son peuple,
l’a fait grandir et lui a donné ce que des parents doivent donner de plus important à un
enfant pour le faire grandir : leur amour.
Dieu a donné tout son amour à son peuple durant ces 40 années :
– Il l’a nourri,
– Il l’a guidé,
– Il l’a guéri et protégé (des serpents, des peuples ennemis…)
– Il lui a donné sa Loi, pour qu’il sache comment vivre
– Il lui a donné sa présence, avec cette colonne de nuée qui suivait le peuple, avec ces
rencontres dans la tente du Rendez-vous…
Avant de vive une longue vie dans le pays où Dieu les a menés, Israël a donc été éduqué
par Dieu. Pourtant, ensuite, Israël a été plus ou moins fidèle, avec des moments où il s’est
détourné de Dieu, des moments où il est revenu à lui… bref, son éducation avait plus ou
moins réussi.
De même, Jésus, avant de se lancer dans sa vie publique, son annonce de la Bonne
Nouvelle en Galilée et en Judée, fait une expérience de 40 jours au désert, comme un
programme se sa vie future.
Et on voit, dans ce récit, que cette vie de Jésus est fondée sur des citations du
Deutéronome :
– L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu
– Tu ne mettras pas le Seigneur ton Dieu à l’épreuve
– C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras.
Cette dernière citation est la plus forte, elle est définitive, le Diable s’avoue vaincu. C’est la
citation qui accomplit les deux autres, qui donne tout le sens à la vie de Jésus : aimer Dieu.
Ces trois citations viennent, dans l’Ancien Testament, juste après ce texte fondamental, la
prière d’Israël :
Écoute Israël ; le Seigneur ton Dieu est l’unique ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Voilà quel était le but de cette éducation : développer dans son peuple l’amour du Seigneur.
Non pas lui apprendre à jeûner, ou lui apprendre à errer. Mais lui apprendre à aimer.
L’évangile d’aujourd’hui nous présente Jésus, l’homme qui aimer Dieu parfaitement. Il est
celui qui triomphe de toutes les tentations auxquelles Israël n’a pas toujours su résister,
simplement parce qu’il est celui qui aime Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de
toute sa force.
Ces tentations, donc ?
Le jeûne, et le diable qui propose du pain. Israël s’est révolté contre Dieu parce qu’ils avaient
faim. L’amour de Dieu aurait dû les inciter à la confiance envers quelqu’un que l’on aime et
qui nous aime, et qui, s’il manque de la nourriture, fera tomber la manne, et même des
cailles.
Le pouvoir sur les nations ? Et si cette tentation nous était proposée ? Pouvoir sur les
nations… nous pouvons comprendre : pouvoir sur notre prochain. Matthieu termine son
évangile par cette parole de Jésus au apôtres : « De toutes les nations, faites de disciples. »
Là encore, l’amour de Dieu nous conduit à vouloir le faire connaître à notre prochain, afin
qu’il devienne disciple du Seigneur, et non disciple de nous-même.
Quant à la troisième tentation : le Diable pourrait sauver Jésus de la chute, en le gardant en
vie. C’est un pouvoir assez petit : prolonger un peu une vie… Dieu donne la vie éternelle,
une vie plus grande, plus belle, plus vraie, une vie avec Dieu. Jésus résiste à la tentation
parce que son amour du Père le conduit, plutôt que de choisir une prolongation de sa vie,
à vouloir une vie au-delà de la mort, éternellement, auprès du Père tant aimé.
Voilà ce que nous sommes appelés à vivre durant ce carême : au moyen du jeûne, de la
solitude, du désert… qui sont des moyens, replonger dans la tendresse aimante, choyante,
paternelle, de Dieu, avec le Christ. Retrouver l’esprit d’enfance spirituelle, la confiance, la
proximité avec Dieu. Nous ne ferons pas aussi bien que Jésus. Alors faisons-le avec lui.