6ème Dimanche du To A

P Michel Mounier

Mt 5, 17-37

« Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. »

Jésus reprend la Loi de Moïse qui concerne les relations humaines, sociales, religieuses les plus universelles. Il les interprète de manière nouvelle, différente de celle des scribes et des pharisiens. Il n’est pas venu abolir mais accomplir. Ce qu’il révèle, c’est le sens profond de la Loi que les scribes ont travesti par leur légalisme et leur fausse manière de comprendre la justice de Dieu. La radicalité de son propos indique l’importance qu’il lui donne, ses convictions profondes. Comme les prophètes, il emploie des formules chocs qui ne sont pas forcément à prendre au pied de la lettre. Ainsi quand il dira : « Si ta main droite entraine ta chute, coupe-la. » Heureusement, l’Église n’a jamais prescrit l’automutilation.

Moïse transmettait la Loi de Dieu, Jésus, Lui, parle de sa propre autorité. En sa personne, Dieu lui-même s’exprime pour faire comprendre le sens de la justice. Jésus rappelle que les commandements de Dieu, formulés en termes négatifs, sont à comprendre et à vivre non comme des interdits mais comme des chemins de perfection dans l’amour, dans la suite des Béatitudes. Heureux ! Déjà il nous avait été dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. Ces paroles seront présentes à ton cœur. » Paul le dira fortement : il ne s’agit pas de vivre dans la logique des règles et de gagner ainsi son salut. Il s’agit de vivre sous le signe de l’amour et de la grâce. Ce que Jésus dit du meurtre et de la violence peut nous servir de clé de lecture. L’interdit de tuer n’est pas le minimum pour être en règle avec les tribunaux. C’est une orientation vers le maximum d’amour, tel qu’il existe en Dieu, tel qu’il est vécu par Jésus, tel qu’il existe en germe en nous, créés à l’image de Dieu. Si j’aime quelqu’un, je ne regarde pas le mal que je ne lui ai pas fait, mais mon attention bienveillante, les milles et un petits gestes, ma miséricorde sans limite.

Sur la montagne, nous n’entendons pas la conférence d’un moraliste, mais l’engagement de Jésus et de toute son existence. Il a passé en faisant le bien, faisant vivre les autres, sans limites, jusqu’au don de sa vie.

Il y a mille façons de tuer autrui qu’aucun tribunal ne jugera jamais. L’aimer est une autre affaire. Car la parole, le regard peuvent tuer. Et l’enfer commence lorsque je me laisse dominer par la parole non seulement de calomnies mais de médisance, par le jugement peut-être exact mais sans pitié.

Les assassins de Jésus pensaient avoir agi en fidélité à la Torah de Moïse en le faisant tuer au nom de Dieu. Jésus a condamné à jamais ce principe en déclarant que sa vie, nul ne la prend, c’est lui qui la donne. Ben Sira le Sage nous a dit : «  « La vie et la mort sont proposés aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée, selon leur choix. » « Choisis la vie », nous dit le Deutéronome.

Choisir la vie, c’est choisir d’aimer, parce que nous sommes aimés gratuitement, par grâce. Cet amour, disciples du Christ, nous en vivons et avons la mission d’en témoigner. Mais heureusement, nous n’en avons pas le monopole. Car l’Esprit travaille le cœur des hommes. Je termine en vous partageant ce texte d’un poète agnostique, Julos Beaucarne. En rentrant de son spectacle avec sa femme, celle-ci est assassinée. De retour de l’hôpital où elle est morte, Julos écrit cette nuit-là :

“Ma Loulou est partie pour le pays de l’envers du décor, un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa peau douce. C’est la société qui est malade, il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre par l’amour et la persuasion. C’est l’histoire de mon petit amour à moi arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage, ni vous ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et nos deux chéris qui lui ressemblent.

Sans vous commander, je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir. Il faut reboiser l’âme humaine. Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires, vous retrouverez ma bien-aimée, il n’est de vrai que l’amitié et l’amour. Je suis maintenant au fond des paniers des tristesses. On doit manger, dit-on, un sac de charbon pour aller au paradis. Ah, comme j’aimerais qu’il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles. En attendant, à vous autres mes amis d’ici-bas, face à ce qui m’arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu’un histrion, qu’un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd’hui. “