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30ème Dimanche du TO (année C)

P. Michel Mounier

Lc 18, 9-14

Il y a quelques années les membres de la curie n’avaient pas passé des fêtes de Noël très sereines. En leur présentant ses vœux le pape François avait détaillé les nombreux péchés dont ils les pensaient coupables. Nul doute qu’il était bien renseigné et qu’il voulait bien des changements. Le problème est que François leur a reproché en se comportant ainsi d’être pharisien. Il s’en
est rapidement excusé reconnaissant qu’il avait succombé à la tentation de bien des chrétiens et de bien des prédicateurs de caricaturer les pharisiens qui étaient des croyants convaincus et souvent admirables. Tentation grave car de la critique des pharisiens, on passe trop facilement à l’antijudaïsme et à l’antisémitisme avec lesquels le concile Vatican II a rompu mais il reste beaucoup à faire dans le peuple chrétien.

Venons-en à la parabole. Bien entendu, lorsque nous l’entendons nous sommes le publicain puisque c’est à lui que Jésus donne raison. Pourtant le cœur n’y est pas. Certes, nous critiquons le pharisien mais nous n’avons pas pour autant envie de nous frapper la poitrine et de nous reconnaître pécheurs. Pas de peccadilles mais vraiment pécheurs. C’est humain, pour nous supporter nous-mêmes nous justifions inconsciemment nos conduites. Bref, nous ne nous percevons pas comme nous sommes. Et par là, sans nous en douter, nous sommes du côté du pharisien. Certes nous n’allons sans doute pas jusqu’à nous comparer aux autres dans les termes du pharisien, mais chaque fois que nous jugeons, non les actes mais la personne, c’est ce que nous faisons.

Je le disais tout à l’heure, le pharisien est un juste authentique, et Jésus ne le mégote pas. Il jeûne et aide les autres, n’est pas attaché à l’argent. Et il rend grâce pour tout le bien qu’il y a en lui. Que demander de plus ? Là est pourtant l’essentiel. La parabole nous dit que toute la justice du monde ne suffit pas à nous rendre juste devant Dieu. La vraie justice consiste à ressembler à Dieu. Être parfait oui, mais à la manière de Dieu, lui qui fait lever son soleil aussi bien sur le mauvais que sur le bon. En enfonçant le publicain dans son mépris, le pharisien s’y enfonce lui-même. Car ce qui fait que Dieu est juste, c’est qu’il justifie ce publicain dont on ne nous dit même pas qu’il se convertit. Car cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est l’attitude de Dieu. Certes, il nous a créés à son image, mais ne le faisons pas à notre image. Le problème du pharisien est là. Il fait Dieu à son image. Or, Dieu n’est pas resté entre parfaits, dans la Trinité. Il a traversé le gouffre. En Christ, il se fait solidaire des pêcheurs. Il vient en partager le sort. Aussi le publicain, parce qu’il est pécheur, se trouve à proximité du Christ qui s’est déplacé jusqu’à lui. Alors qu’en s’éloignant dupublicain, le pharisien s’éloigne de Dieu. Il ne se trouve pas là où s’opère le salut.

Nous avons donc à notre tour, à nous faire solidaires des pécheurs. Là est la justice puisque nous sommes pécheurs. Il ne s’agit pas seulement d’une attitude psychologique. Oui, il faut y aller, vers ceux dont nous sommes loin culturellement , socialement. Dans l’Évangile les publicains sont souvent des personnes de conditions modestes. Les pauvres, les paumés, les petits. C’est difficile. C’est pourtant notre mission de disciples et d’Église. A titre d’exemple, il y a un mois les statistiques de l’éducation nationale montraient que si le séparatisme social s’atténuait entre les établissements publics, il atteignait des proportions très fortes entre ceux-ci et les établissements catholiques. Il en va de même du logement et des sociologues nous disent qu’avant de parler de ghettos de pauvres, il faut parler de ghettos de riches. Nous sommes pris dans cette tension : agir pour le mieux,  au risque de tomber dans la suffisance du pharisien ou déserter le combat pour le bien commun, la fraternité en actes. Inacceptable du point de vue de l’Évangile. Alors, oui il faut y aller, il reste tant et tant à faire. Que l’Esprit nous éclaire.