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28ème Dimanche du To

Fr Luc Devillers op

Lc 17, 11-19

Souviens-toi de Jésus-Christ !

« Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts ! » À quoi bon nous réunir dans une église un dimanche matin, si nous ne sommes pas poussés par le souvenir de Jésus ? À la suite de saint Paul et des autres apôtres, nous le confessons comme Messie crucifié et ressuscité des morts.
Se souvenir est un acte essentiel de la vie humaine. Il est probable que d’autres êtres vivants aient de la mémoire : on parle ainsi d’avoir une mémoire d’éléphant. Mais l’être humain a un rapport particulier avec sa mémoire. Celle-ci ne le rattache pas simplement à des moments-choc de son histoire personnelle, où il a traversé avec succès une épreuve ou reçu un cadeau inattendu : elle lui permet de se relier à l’histoire de tout un peuple, de toute une communauté, et de reconnaître avec elle qu’il a été visité par l’amour de Dieu.
Dans la tradition juive, dès l’époque biblique, le mémorial (ou ziqqarôn) est un acte essentiel du culte. Les croyants se rassemblent pour faire mémoire du salut que Dieu leur a apporté, en les délivrant des ennemis, du péché, de la mort. Les humains ne peuvent vivre sans mémoire, et un peuple sans mémoire est condamné à mourir. Les dictateurs le savent bien, et c’est pour cela qu’ils font tout pour éradiquer le souvenir de tel individu ou événement qui a marqué une société, un groupe social. Faire comme si cela n’avait jamais existé, comme si l’autre ne comptait pas, comme si la longue histoire de sa famille, de son métier, de sa croyance, n’avait aucune valeur. À la suite de nos frères aînés du peuple juif, faisons mémoire de ce qui compte le plus pour nous. Et le cœur de notre foi c’est bien : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts ! »
Forts de cet acte de mémoire, nous ne pouvons pas nous contenter de vivre au jour le jour, à la petite semaine, comme si nous étions condamnés à la répétition sans fin ni motivation supérieure. Faire mémoire nous permet de nous projeter dans l’avenir, de croire qu’un lien nouveau va nous rattacher à nos frères et sœurs en humanité, que tout n’est pas perdu, qu’un avenir est possible. Dire cela en ces temps troublés n’a rien d’une incantation magique ni d’un processus d’auto-suggestion, comme pour évacuer les graves motifs de crainte qui plombent notre présent et notre avenir. Par exemple : la planète survivra-t-elle dans dix ans ou vingt ans ? Certains sont là-dessus extrêmement pessimistes et alarmistes, et pensent que la partie est quasiment déjà perdue. Autre exemple : l’humanité pourra-t-elle un jour éradiquer le fléau de la guerre, de la violence faite aux petits, du trafic de drogue et d’êtres humains ; bref, de l’injustice sous toutes ses formes ? Sans l’aide de Dieu, cela paraît impossible.
Pour croire en l’avenir, il nous faut faire mémoire. De ce que Dieu a déjà accompli pour nous, en nous et autour de nous. Relire les Écritures à la lumière de la résurrection de Jésus, et apprendre peu à peu à lui rester fidèles. Saint Paul ajoute, à l’adresse de son disciple Timothée : « Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. » C’est sur la fidélité de Dieu que notre propre fidélité peut s’appuyer. Si Dieu n’existe pas, s’il ne prend pas soin de nous, s’il n’est pas fidèle à la parole qu’il nous a transmise par les prophètes et par son Fils Jésus, alors notre tentative de fidélité sera laborieuse, et peu fructueuse.
Mais notre présence ici ce matin nous invite à rebondir dans l’espérance, dans la confiance en ce Dieu qui nous aime et nous veut du bien. Aussi, à notre travail de mémoire, de mémorial, il nous faut associer une autre attitude, tout aussi essentielle d’après les Écritures : l’action de grâces. C’est d’ailleurs le sens précis du mot eucharistie, et c’est l’attitude que le Syrien Naaman et le Samaritain guéri par Jésus nous enseignent aujourd’hui : apprendre à rendre grâces, à dire « merci ! » pour tous les bienfaits reçus de Dieu. Amen.