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25ème Dimanche du To 2022

Fr Emmanuel Dumont op

Lc 16, 10-13

Mes sœurs, avez-vous conscience qu’en entrant au monastère vous êtes devenues, plus que jamais, des femmes politiques et même plus, vous avez fait preuve d’habileté.

En fait, c’est ce qu’on attend de tout baptisé. Chaque baptisé est prêtre, prophète et roi. Nous prions pour la paix, nous dénonçons l’injustice et nous coopérons au service du pauvre.

Paul et la prière pour les dirigeants

Prier, c’est parler à Dieu. Il ne s’agit pas tellement de l’informer de ce qui se passe dans le monde, il le sait déjà. Il s’agit plutôt de l’informer de notre préoccupation pour le monde, de lui montrer combien nous sommes impliqués dans le monde pour l’impliquer lui-même. La prière transforme le monde, nous le croyons et ça, c’est politique. Prier pour la paix, c’est politique. Prier pour que les décisions soient prises de manière inspirées et juste, c’est politique.

Amos et la parole libérée

Si le charisme de la prière est politique, combien plus l’est celui de la prophétie. Le prophète discerne ce que Dieu a à nous dire et il le dit. C’est ce que fait Amos.

Si le prophète Amos était parmi nous, il reprendrait sûrement les rapports de l’ACAT, ou d’Amnesty International pour condamner les tortures, les violences, les pratiques injustes qui ont lieu partout dans le monde. Il reprendrait les rapports de la Fondation Abbé Pierre et du Secours Catholique pour alerter sur le mal logement et la pauvreté, tout aussi injustes qui se développent parmi nous. Il nous demanderait de nous inquiéter pour les pays en guerre, les pays en dictature, pour ceux qui ne pourront pas se chauffer cet hiver…

Nous sommes assez malins pour choisir un bon employeur, un bon lieu pour nos vacances… Sommes-nous tout aussi habiles pour défendre ceux qui ont besoin de l’être ?

L’engagement politique

L’engagement politique est une forme élevée de charité nous disait Pie XI en 1927. Mais pour être un bon politicien, il faut avoir une intelligence pratique bien développée. C’est ce que saint Thomas écrivait quand il donnait des conseils au roi de Sicile : il faut développer sa vertu de prudence, c’est-à-dire son intelligence des situations, et sa capacité à saisir les opportunités.

Et mes sœurs, par l’accueil que vous assurez, vous contribuez à venir en aide à ceux qui en ont besoin, vous servez la cité, vous êtes un acteur politique. Vous avez discerné les meilleures opportunités à votre disposition pour construire le Royaume de Dieu et vous les mettez en œuvre. Vous avez été habiles, prudentes pour le Royaume.

La prudence du gérant

Or, c’est bien de l’habileté, de la prudence, de l’intelligence pratique, dont nous parle Jésus aujourd’hui dans sa parabole du gérant prudent ou du gérant inique.

L’évangile parle du gérant inique, comme il parle du juge inique (Luc 18). Vous savez, ce juge « inique », qui n’a peur ni de Dieu ni des hommes qui ne voulait pas rendre justice à une pauvre veuve. La parabole raconte comment la veuve a le juge à l’usure, en le priant jour et nuit. Dans cette parabole, le juge inique est comparé à Dieu. Si on peut avoir un juge inique à l’usure, on peut aussi toucher Dieu en le priant avec insistance.

Je vous raconte à nouveau la parabole. Il était une fois un gérant, c’est-à-dire, un esclave à qui son maitre avait confié la gestion de la latifundia. Voilà qu’une rumeur s’est répandue : il parait que le gérant travaille mal, qu’il perd de l’argent, même peut-être qu’il est sans justice. La rumeur monte aux oreilles du patron et le gérant sent bien qu’il va se faire renvoyer. Mais voilà, comme esclave, s’il perd son job, il perd tout.

A l’époque, une des missions du gérant agricole, c’est de prêter ou de louer les biens de la propriété, un peu comme un concessionnaire. D’ailleurs c’est comme ça qu’il se rémunère, en prenant un taux d’intérêt sur ce qu’il prête. Ça vous rappelle peut être la parabole des talents. Par exemple, Flavius Josèphe nous raconte que Hérode Agrippa, quand il fut ruiné emprunta au courtier Marsyas 20 000 drachmes. C’est ce qu’il écrit sur le reçu, mais il ne toucha que 17 500 drachmes, les 2500 restant à rendre, c’est le taux d’intérêt et la commission du courtier. Pour les pauvres, et en particulier pour des denrées de première nécessité, les intérêts étaient souvent exorbitants, on pouvait payer le double de ce qu’on avait emprunté. C’est pour ça que dans les années 1970, Mohammed Yunus a inventé le micro crédit, pour prêter à des taux d’intérêts convenables aux plus pauvres et court-circuiter les pratiques injustes des usuriers qui existent encore dans certains pays.

Alors notre gérant prudent, qu’est-ce qu’il fait quand il apprend qu’il va se faire virer : il rend sa commission personnelle à ses clients. Il leur fait cadeau du taux d’intérêt et de la commission qu’il percevait pour lui-même, comme ça se faisait à l’époque. Voilà un beau geste commercial, pour mieux vendre ses qualités de gestionnaire. Et d’ailleurs, c’est ce que reconnaît le maître qui admire sa prudence ou son habileté.

Pour être habile, il faut voir grand

Luc ajoute trois petites idées de prédication à cette parabole.

Le gérant a réussi à bien gérer sa situation personnelle, son patron l’a reconnu, et il va probablement lui faire confiance et le réembaucher. Nous aussi, apprenons à bien gérer les petites responsabilités, on sera reconnu et on nous en confiera de plus grandes, on sera au service d’un plus grand nombre.

Le gérant a pris des commissions trop grosses et c’est quand il y a renoncé qu’il a commencé a vraiment servir son maître. On ne peut servir deux maitres, Dieu et l’argent. Il faut mieux parfois s’oublier et faire confiance à Dieu. C’est d’ailleurs comme cela que Jésus utilise ce petit proverbe, en Matthieu, en comparant le vêtement des lys des champs au nôtre : apprenons à faire confiance.

Le gérant n’a pas vu que son intérêt, dépendait de toute la propriété du maître. Notre intérêt dépend de tout le dessein de Dieu pour nous. Luc évoque à un autre endroit un gestionnaire prudent ou avisé (Lc 12), c’est quand il parle de l’intendant qui attend patiemment le retour du maître. Un peu comme les vierges sages, avisées ou prudentes, qui en Matthieu attendent l’arrivée de l’époux avec des lampes pleines d’huiles. Pour Jésus, l’homme prudent ne perd pas de vue le retour de Dieu et les fins dernières.

Soyons habiles comme Elon Musk ou Jeff Besos, mais sans oublier le Seigneur. Quand nous mettons notre habileté au service des pauvres, c’est pour Lui que nous le faisons. Seul lui connait notre intérêt.