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20ème Dimanche du To 2022

Fr Damien Duprat op

Lc 12. 49-53

 

La parole de Jérémie lui attire de graves ennuis parce qu’il prophétise le malheur, il annonce au peuple d’Israël la catastrophe qui est imminente : l’exil à Babylone. Environ six siècles plus tard, Jésus, quant à lui, annonce qu’il y aura des divisions dans les familles. Et dans un certain sens c’est pire qu’avec Jérémie, car Jésus ne se contente pas de prédire qu’il y aura des divisions, mais il les provoque ! Oui, comme il le dit, c’est sa parole et son œuvre qui provoqueront des mésententes entre les gens, et cela au sein même des familles. Si Jésus n’avait rien dit, rien fait, un certain nombre de désaccords n’auraient semble-t-il pas lieu d’être ; les guerres de religions qui ensanglantent l’histoire de l’humanité en sont une cruelle illustration, et cela fournit un argument de poids contre l’existence même des religions.

Jésus serait-il donc contre la paix ? Est-il venu pour opposer les hommes entre eux, pour provoquer des conflits ? Ce feu qu’il est venu allumer serait-il le feu de la discorde ?
Pour bien comprendre ce que dit Jésus, gardons-nous d’isoler ce petit passage du reste de l’Écriture ; et cette règle vaut d’ailleurs de manière générale pour interpréter un texte biblique, quel qu’il soit. Or, l’Écriture Sainte nous fournit de nombreuses raisons de reconnaître en Jésus le prince de la Paix : ce titre est donné au Messie à venir par un autre prophète, Isaïe, dans un passage que nous lisons pour la fête de Noël (Is 9,5). À Noël justement, les anges apparus aux bergers n’ont-ils pas chanté : gloire à Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ? Jésus a prêché l’Évangile de la paix – l’expression est de St Paul (Ep 6,15) -, il a déclaré heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9). La veille de sa mort, dans le testament qu’il laisse à ses disciples, figure une clause que le prêtre rappelle à chaque Eucharistie : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14,27). Ces éléments, et bien d’autres encore, nous disent clairement que non, Jésus ne désire pas qu’il y ait des divisions entre les hommes, et encore moins au sein des familles.
Alors, que se passe-t-il ? Comment se fait-il que sa venue au sein de l’humanité provoque malgré tout de telles dissensions ?

L’Évangile du Christ est une bonne nouvelle, La Bonne Nouvelle par excellence, et pourtant il suscite de l’adversité, et même de la haine. Comme Jésus le dira également à ses amis au soir du Jeudi saint : « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi » (Jn 15,18). Dans la deuxième lecture, saint Paul évoquait la virulence de cette hostilité. La parole et l’œuvre du Christ bousculent, elles viennent déranger l’humanité, non pas dans ce qu’elle a de meilleur, mais plutôt dans ce qu’elle présente de moins bon. La vérité évangélique fait apparaître des choses cachées, elle apporte la lumière dans les ténèbres, et les ténèbres résistent. Et nous le savons bien : ce n’est pas seulement entre les hommes, ni même seulement au sein d’une même famille, que des divisions peuvent apparaître ; c’est d’abord en chaque être humain, en chacun de nous, que l’amour de Dieu rencontre parfois des obstacles, des barbelés, et parfois même des armes qui s’opposent à cet amour. Tout cela porte le nom de mal, de péché ; il s’agit d’une réalité multiforme, qui consiste au fond à renoncer à la communion avec notre Créateur et Père pour lui préférer des biens créés.

Il est vrai qu’il peut être parfois difficile de mettre en œuvre cette autre parole du Christ, qui figure un peu plus loin dans l’Évangile selon saint Luc : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Lc 14,26). En vérité, il nous faut chercher au maximum la paix avec tous ; mais Jésus nous dit que ce désir de paix ne doit pas aller jusqu’à nous compromettre avec le mal. Si par exemple l’un de nos amis ou de nos proches exprime une opinion indigne ou commet quelque chose de mal, nous pouvons être tentés, pour rester en bons termes avec cette personne, de réagir d’une façon complaisante. Pourtant, si nous faisons ainsi, nous offensons Dieu et aussi la personne en question, parce que celle-ci a en fait le droit d’entendre une parole qui l’éclaire et qui lui donne une chance de redresser son chemin. C’est vrai qu’il y a le risque que notre parole ne soit pas acceptée et provoque malgré nous une réaction négative de l’autre ; mais au moins, nous ne lui aurons causé aucun tort, et nous pouvons espérer et prier pour que notre intervention porte du fruit en son temps. N’oublions pas ceci : quand nous donnons un authentique témoignage évangélique, quelle que soit la réaction de l’autre, sa conscience nous approuve puisque la conscience de chacun est le sanctuaire où le Seigneur lui-même se fait entendre (cf. Concile Vatican II, Gaudium et spes n°16).

« Si tu veux la paix, prépare la guerre » : cet adage ancien trouve dans l’Évangile d’aujourd’hui une expression profondément spirituelle. Jésus désire la paix ; le feu de foi et de charité qu’il est venu allumer sur la terre a vraiment le pouvoir d’apporter la paix à l’humanité. Pourtant, cette paix ne s’établit qu’au terme du combat prodigieux que lui-même a mené contre les puissances de la mort, combat dont il est sorti victorieux. Il nous revient à chacun d’accueillir au plus intime de nos cœurs cette victoire, qui est d’abord la fin de la guerre que le vieil homme pécheur ou la vieille femme pécheresse mène en nous contre Dieu (cf. Col 3,9-10). Tel est aussi le seul chemin vers la paix authentique entre les hommes.