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18ème Dimanche du To

Fr Maxime Allard op

Lc 12, 13-21

J’ai failli me faire prendre au piège en entendant que « tout est vanité » : j’ai eu la tentation de ne pas préparer d’homélie. Je me suis ravisé. Je vous prie de m’excuser. Mais, tout ceci est vanité. Car pourquoi prendre tant de soin, se faire du souci, chercher des mots et des images ? Pourquoi perdre du sommeil pour prononcer une homélie qui sera oubliée avant la fin de l’Eucharistie ? Est-ce que nous ne nous faisons pas des illusions ? Nos paroles ne sont-elles pas comme la rosée, la brume qui disparaissent rapidement ? Le professeur, en moi, en fait régulièrement l’expérience… Et pourtant, vous le savez ou le pressentez, des paroles peuvent transformer une vie pour longtemps, pour le bien ou pour le mal ! Alors, je me lance. « Tout est peut-être vanité », mais le temps passé ensemble à partager la Parole et le pain permet peut-être d’espérer que tout ne soit pas tout à fait vain !
La Parole de Dieu proclamée aujourd’hui tresse ensemble trois fils : l’expérience de l’héritage, celle de l’engagement vain, celle de la mort. Je vais tenter de les tresser avec vous. Sans illusion quant à mes capacités. Mais je le fais en espérant qu’une bonne nouvelle puisse se lover au creux de mes paroles et de vos vies à cette occasion.
Il y a premièrement une querelle d’héritage dans laquelle on veut engager Jésus. Il s’y dérobe. La question de l’héritage surgissait aussi au détour de la lecture de Qohèleth et de la péricope évangélique. Nous le savons, qu’il y ait beaucoup ou peu de biens, l’expérience du partage peut être un moment difficile, contentieux, déchirant… certains invoqueront ici l’avidité comme moteur de ces querelles. Cependant, ce n’est pas la seule possibilité : le partage d’un héritage peut aussi être un temps de mémoires ravivées, de dispersion joyeuse, de partage désintéressé et vivifiant. Ces possibilités sont bien réelles tant pour les biens de ce monde que pour le partage de la foi et de la vie ecclésiale… Aussi, pour qu’il y ait héritage, il faut de la mort. Nous y reviendrons.
Il y a ensuite l’expérience de l’engagement à fond, de la planification, du calcul stratégique afin de nous assurer le nécessaire ou plus. Car tous et toutes nous n’avons pas toujours déjà hérité de fortunes pour vivre sans inquiétude ou sans travailler ! Nous nous engageons donc pour générer et gérer des biens qui nous permettront de vivre et, on peut l’espérer, d’avoir du repos et d’en jouir sans crainte et insécurité. Cependant, d’après Qohèleth et la péricope évangélique, deux types de situations peuvent survenir. Il est possible de tant et tellement s’engager que tout devient objet de calcul stratégique, que tout devient évalué à l’aune de l’utilité et de sa performance. On peut en oublier Dieu ou le réduire à un des éléments utiles de notre stratégie englobante. On peut en venir à oublier ceux et celles qui nous entourent. Mais, ici aussi, ce n’est pas la seule possibilité. On pourrait très bien penser à la satisfaction de nos besoins, de ceux des autres sans tout évaluer en fonction de l’argent ou de quel qu’autre principe de valeur utilitaire. Dieu même pourrait rester Dieu pour nous. Mais ce ne fut certes pas le cas de l’homme de la parabole.
Contre la tentation de l’enfermement, tant Qohèleth que la proclamation évangélique, rappellent la vanité et le caractère instable et incertain de ce genre de calcul. La fin de la vie est imprévisible. Nous n’avons par ailleurs pas la capacité de tout prévoir ni la puissance de tout réaliser ce que nous voulons. Pire, nous ne contrôlons pas ce que ceux et celles qui prendront notre suite, notre relève, feront des fruits de notre labeur, de ce en quoi nous nous sommes investis, de ce à quoi nous nous sommes peut-être trop identifiés. Le « vanité des vanités » peut bien résonner ici en nous dégageant des logiques que nous croyons signifiantes à court ou à long terme.
Le « vanité des vanités. Tout est vanité » est aussi le lieu du passage vers le troisième fil de notre tresse : la mort. Avec la mort comme horizon inéluctable, nos calculs stratégiques, nos processus de production, nos querelles d’héritage, ne perdent-ils pas de leur sens, de leur poids, de leur valeur? Tout va finir… Nous allons être « terminés » : « Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. » Certains angoissent. D’autres foncent tête baissée dans la production, la consommation sans plus y penser.
Pour vous et moi, baptisés, la mort n’est plus l’horizon. Au baptême, nous avons déjà été plongés dans la mort avec le Christ. Nous en sommes ressortis revivifiés dans la résurrection du Christ. La mort est derrière nous. Encore importe-t-il de le vivre et de le manifester en vérité… Dans notre situation, le « vanité des vanités. Tout est vanité » du Qohèleth retentit autrement. Le baptême nous indique une voie pour nous désempêtrer des maux et des biens de notre monde : la recherche du Royaume des cieux ! Ceci nous entraîne à lancer des actions de grâce vers le Créateur. Par nos gestes, d’une manière ou d’une autre, nous pouvons signaler ou reconnaître que la vie du Christ ressuscité est plus forte que les pièges mortifères qui peuvent être tendus sur nos routes.
Tout est vanité. Tout perd de sa consistance, de sa valeur, comparé au Christ qui vit en nous, qui nous invite à le laisser toujours vivre plus en nous. Ce n’est pas que « tout » doive être considéré comme mauvais, mais simplement fini, insuffisant, instable… Tout ce qui peut nous diviser, les barrières ethniques, raciales, sociales que nous mettons entre nous : tout cela peut être évacué, déjoué pour manifester que le Dieu veut que le Christ Jésus vive en chacun et chacune de nous et qu’il soit le lien entre tous et toutes.
Pour le dire comme Luc, il s’agit de vivre pleinement en vue de Dieu. Pour le dire comme l’auteur de l’Épître aux Colossiens, il s’agit de vivre de telle sorte que le Christ soit tout et en tous. Pour le dire autrement… Hum, comment le diriez-vous?
Peut-être la prière eucharistique et ce que nous vivons au cours de la messe pourront-ils vous inspirer des mots pour le dire… Peut-être l’assemblée diversifiée que nous formons est-elle déjà un signe, une lueur de la présence du Ressuscité…