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17ème Dimanche du To

Fr Maxime Allard op

Lc 11, 1-13

Apprends-nous à prier. Apprends-nous, à nous tes disciples, à prier ensemble, en communauté, en église. Pas chacun dans son coin. Pas besoin que tu nous aides pour la prière personnelle, ça sort, ça surgit de nos entrailles, de nos peurs et de nos espoirs, de nos amours et de nos haines… sans apprentissage même si l’adresse et les formulations peuvent parfois laisser à désirer : « Seigneur, sauve-nous nous enfonçons!… Que je vois… viens en aide à ma fille… »
Alors, apprends-nous à prier. Pas parce que nous pensons ou croyons que c’est nécessaire, utile ou qu’il le faudrait. On n’y avait pas vraiment pensé. Apprends-nous parce que Jean, lui, l’avait appris à ses disciples. Si Jean l’avait fait, ce devait être bien, utile, approprié. D’ailleurs, toi comme lui, vous annoncez le règne de Dieu; vous demandez que nous nous convertissions et que fassions la volonté de Dieu dont le nom doit être sanctifié… Alors quelles serait la prière qui nous ferait reconnaître comme tes disciples?
Comment résister à une telle demande ?! Jésus, sans se faire prier, accède alors à la prière de ses disciples, de ce disciple qui le priait au nom des autres, pour les autres… parce que d’autres – les disciples de Jean, eux avaient appris à le faire.
Jésus entend bien qu’il s’agit pour la communauté des disciples moins d’apprendre à louer ou à bénir Dieu qu’à s’adresser à Dieu, qu’à lui adresser des demandes, de demandes pour lesquelles, les disciples désirent des réponses, une réaction positive de la part de Dieu. Car, on ne prie pas pour le plaisir de prier… surtout pas en communauté!
Dans un premier temps, il leur offre, disons, pour faire vite, une formule, un formulaire. Il leur propose une séquence de demandes qui embrassent le ciel et la terre, le règne de Dieu tout autant que le besoin essentiel de se nourrir convenablement au quotidien, de ne pas être écrasés par le Mal et de ne pas y contribuer. Il articule ces demandes, ces requêtes, voire presque ces supplications un peu, comme autant de crochets pour y pendre le fouillis des demandes qui jaillissent intempestivement du cœur humain, de ses amours, de ses peurs et de ses espoirs… On pourrait dire que c’est un squelette de prière, un formulaire qui laisse des blancs, de la place pour inscrire les demandes autres, celles de la communauté ecclésiale, de la communauté humaine… et discrètement, pourquoi pas, des demandes personnelles à peine articulées, voire certainement pas énonçables en public.
À la demande de ses disciples, Jésus répond donc. Pourtant, subtilement, au cœur de cette prière, pourtant, il place un élément surprenant. Il injecte quelques mots inattendus dans la kyrielle des demandes. Il le fait pour que la communauté ecclésiale qui priera ne soit pas avant tout passivement quémandeuse mais bien active. Il lui fait dire, il l’invite à mettre sur ses lèvres une confession : «… car nous pardonnons déjà à qui nous offense ». Autrement dit, nous qui prions, nous qui demandons, nous sommes déjà entrés dans la logique de l’Évangile ; nous en avons déjà saisi le cœur et nous tentons au-delà des cris « Seigneur, Seigneur… » d’en vivre, de le rendre visible, vivifiant pour nous et pour autrui au quotidien. Ce n’est jamais tout à fait gagné… mais la communauté le proclame devant le Père. Jésus, au cœur de la prière de demande, fait surgir le signe de ce que la communauté priante est déjà engagée sur la voie du Royaume. Discrètement, il l’incite à se le redire, à en reprendre conscience, pour qu’elle soit stimulée à le vivre en vérité, à demander avec insistance l’instauration complétée du Royaume.
Apprends-nous à prier demandait le disciple au nom de tous. Jésus offre une formule. Mais là n’est pas l’essentiel. Les formulaires ne sont jamais l’essentiel… sauf pour certains administrateurs ! La proclamation évangélique d’aujourd’hui le montre bien. La formule n’est pas magique. Elle n’est pas à rabâcher superstitieusement. Ce qui compte c’est une posture, une manière de demander, une manière de se disposer : comme Abraham… afin de recevoir…
Plus encore, ce qui compte avant tout, c’est de croire adéquatement, c’est d’avoir des idées justes sur qui est ce « Père » à qui la prière est adressée… Car selon la manière dont vous concevez le « Père » vers qui vous vous tournez, comme assemblée, vous ne prierez pas de la même manière. Les images utilisées par Jésus sont fortes, un ami, un « père ». Il en joue de manière paradoxale. L’ami finira par répondre à la demande qui lui est adressée grâce au sans gêne du quémandeur. Vous avez, les pères, la tentation de mettre fin aux jours de votre enfant à coup de serpents ou de scorpions ? J’espère bien que non…
Puis, tout bascule. On croyait être bien équipés : nous avions reçu une formule simple, articulée sur quelques demandes qui rejoignaient existentiellement nos espérances les plus profondes ; on nous avait bien indiqué la posture à prendre (l’espérance confiante) ; on nous avait même donné la permission de ne pas nous gêner, de mettre « Dieu » en face de ses responsabilités quant au pardon et à la justice !
Puis, tout bascule. Car à la fin de la proclamation évangélique, vous l’avez bien entendu, étonnamment, il ne s’agit plus de la formule. Jésus réduit tout à une demande, à une demande essentielle, à une demande unique qui va véritablement faire tenir ensemble la communauté, nous faire tenir à elle : il s’agit de demander l’Esprit Saint. Au-delà du pain et du pardon, de la sécurité ou de la sérénité dans l’épreuve du mal, il y a la vie de l’Esprit à demander. Étrange demande, si nous y réfléchissons. Car, à vous comme à moi, l’Esprit Saint est déjà donné… depuis notre baptême et notre confirmation. Étrange suggestion de Jésus que de demander à nouveau, comme si nous n’en vivions pas, l’Esprit ! Car il est déjà là, à l’œuvre.
Étrange ? Peut-être par tant que cela. Peut-être, est-ce la manière évangélique de nous y rendre attentifs ? Peut-être que sans l’Esprit la communauté n’ânonnerait que des formules superstitieuses ? Sans l’Esprit pourrait-on tenir dans l’espérance du Royaume et la foi au Père et au Christ ?
D’ici à ce que votre méditation vous offre des pistes de réponses, inscrivons-nous, communauté de Dieu à Chalais, dans la grande prière eucharistique de l’Église, laissons-nous porter par la prière, inspirée par l’Esprit, qui nous fait rendre grâce pour la vie, la mort et la résurrection du Christ et pour l’impact que l’Évangile de Dieu a et aura dans nos vies, dans notre communauté et dans le monde.