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6ème dimanche du Temps Ordinaire C

P Michel Mounier

Lc 6, 17.20-26

Je crois que c’est Gandhi qui disait qu’il donnerait tout ce qu’il a écrit pour les béatitudes. Qu’elles sont belles effet les béatitudes au point que nous pouvons en avoir une lecture un peu romantique, désincarnée. Nous les entendons mais est ce que nous les écoutons ? Qui a vraiment le désir d’être pauvre, d’avoir faim, de pleurer et de subir la persécution ? Quand à la promesse d’une récompense grande dans le ciel, n’est elle pas une incitation à la passivité ? Est-elle autre chose que l’opium du peuple ? Peut-être aussi ne sommes-nous pas très à l’aise devant ces paroles rudes : malheureux vous les riches. On a souvent traduit malheur à vous. Mais non, Jésus ne maudit personne. Il se contente de constater. Malheureux êtes vous car vous vous trompez parce que Dieu se donne à ceux qui n’ont rien. Il compense, il récompense. Ceux qui possèdent n’en ont pas besoin, ils ont ce qu’ils désirent et du coup sont fermés, en tout cas courent le grand risque de se fermer à Celui qui vient, et aux pauvres auxquels le Christ s’identifie. C’est vrai, Matthieu dans sa version parle des pauvres de cœur. Oui c’est possible d’être vraiment pauvres de cœur, cela existe, heureusement mais comme c’est difficile car il peut être commode de se fabriquer un cœur de pauvre pour jouir tranquillement de ses richesses. Luc, l’évangéliste des femmes et des pauvres nous ramène au concret.
Il reste que les paroles de Jésus peuvent être entendues comme une provocation. Lisons-les alors à la lumière de ce que nous a dit le prophète Jérémy. Lui qui a connu des situations dramatiques avec le siège et la chute de Jérusalem, avec sa marginalisation dans son propre peuple, il oppose celui qui met sa confiance en l’homme, sa puissance militaire, sa richesse, et celui qui met sa confiance en Dieu.
Pourtant ces paroles demeurent scandaleuses tant que nous ne les replaçons pas dans la bouche du Christ. Lui qui de riche qu’il était s’est fait pauvre, lui qui de condition divine n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu, lui qui a eu faim, lui qui a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem, lui qui a été haï sans raison jusqu’à la mise à mort. Alors oui, lui a le droit de nous tenir ce langage paradoxal, car il n’y a pas de distance entre ce qu’il dit, ce qu’il fait et qui il est. Lui et ceux qui l’ont suivi jusque-là : Martin Luther King et la non violence active du Christ, Oscar Romero et la justice du Christ pour les pauvres, François d’Assise et l’amour de dame pauvreté. Eux et tous les autres, saint connus et inconnus. Des riches, si peu que ce soit, ne peuvent prêcher aux pauvres le bonheur d’être pauvre. Ce serait indécent. A l’approche de sa mort, Jésus peut dire bienheureux car il l’est, certain, au cœur de la passion, de l’amour de son Père, déjà dans la résurrection. C’est déjà de la droite du Père qu’il nous fait entendre les béatitudes.
Pourtant ne prenons pas les béatitudes comme des valeurs, comme un programme même s’il nous est bon de les entendre en période de campagne présidentielle où des personnes et des groupes sont stigmatisés pour être ceci ou cela. Elles sont un portrait, le portrait de Jésus, et une révélation sur Dieu. Qui est-Il Dieu ? Si les pauvres et les persécutés peuvent être dits bienheureux, c’est parce que Dieu ne supporte pas qu’il y ait des laissés pour compte, des victimes de notre violence ou de notre organisation sociale. Pour autant, il n’a pas supprimé la pauvreté et les persécutions, cela se saurait, mais il est venu les habiter en son Fils. Pour Dieu il n’y a pas de déchet humain. Le sommet de notre détresse, c’est la mort. Or voilà que le Christ vient de la subir et de la vaincre, pour nous. Il n’y aura plus de mort, ni de deuil, ni de gémissement, ni de douleur. Frères et sœurs, si Dieu est comme cela, ennemi du malheur, comment ne pas l’imiter, nous qui sommes a son image et ressemblance ?
Les béatitudes nous invitent à porter secours, joie et bonheur, dans la limites de nos moyens, mais autant que nous le pouvons, aux pauvres, à ceux qui ont faim, à ceux qui pleurent, à ceux qui crèvent de solitude. Comment oser les dire en vérité heureux, sinon en faisant l’expérience d’être nous-mêmes aimés, non pas malgré nos pauvretés mais en leur cœur même, dans nos fragilités et nos limites. Heureuses, heureux sommes-nous.