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Fête de la Sainte Famille 2021

Frère Timothée Lagabrielle op

Lc 2, 41-52

Si on regarde l’évangile d’aujourd’hui « vite-fait », on peut se dire qu’il nous raconte une fugue de Jésus. Peut-être même un bout de crise d’ado d’un Jésus de douze ans qui fuit l’autorité parentale. Et on pourrait se dire qu’en cette fête de la Sainte Famille, c’est un évangile pour la consolation des parents d’ados : « Vous voyez, même Jésus a été un peu comme cela, c’est normal que ça vous arrive avec vos enfants ! ». Mais ça, c’est si on regarde « vite-fait », parce qu’il me semble qu’au contraire cette page d’évangile nous montre la fidélité et l’obéissance de Jésus. D’ailleurs, c’est ce qui est dit pour conclure cet épisode : Jésus rentre avec Joseph et Marie et « il leur était soumis ».
Expliquons-nous un peu. Il nous faut repartir du principe, c’est-à-dire de la Sainte Trinité. Il y a une différence entre ce qui se passe dans la Trinité et ce dont nous avons l’expérience, c’est que la Trinité est marquée par l’unité et la coïncidence quand nous sommes marqués par la diversité et les divergences. Nous sommes habitués à ce qu’il y ait « du jeu » entre les choses, nous sommes habitués à ce qu’il y ait des désaccords. Ce n’est pas seulement entre nous qu’il y a des divergences, mais c’est même en nous-mêmes. Ainsi, ce n’est pas parce que je me dis qu’une chose serait bonne à faire que je vais prendre la résolution de la faire (« Il faudrait… mais pfff, je n’ai pas envie ! »). Et ce n’est pas parce que j’ai pris une résolution que je vais m’y tenir. Qui peut affirmer qu’il n’a jamais dit : « Je ne vais pas me resservir de ce bon gâteau » avant d’en prendre une nouvelle part ; ou : « Je termine mon chapitre et je pose le livre » et y rester accroché (À vous d’ajouter vos propres exemples !) En tout cas, les paroles que je me dis à moi-même ou les paroles que je dis à voix haute ne sont pas toujours fidèles. Elles peuvent ne pas être suivies d’effet ou bien être fausses parce que je me suis trompé ou parce que je mens.
Tout cela n’existe pas en Dieu, tout cela n’a pas sa place dans la Sainte Trinité. La Parole de Dieu est fidèle. Le Verbe de Dieu est fidèle. « Dieu parle et cela est » ; le Verbe de Dieu est la vérité. Il y a une pleine coïncidence. Le Verbe du Père dit entièrement et fidèlement ce qu’est le Père. Il est tout ce qu’est le Père (sauf d’être père !) et leurs volontés coïncident. Et cette coïncidence ne s’arrête pas quand le Verbe s’incarne. Il n’est pas étonnant que le Verbe incarné soit fidèle et obéissant puisque le Verbe l’est !
Dans l’Évangile, Jésus parle de cette fidélité au Père, de cette obéissance, par exemple : « Je ne cherche pas ma volonté, dit-il, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. » (Jn 5, 30) C’est ce qu’on voit à Gethsémani : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (Mt 26, 42). C’est aussi ce que l’auteur de l’Épître aux Hébreux met dans la bouche du Verbe : « En entrant dans le monde, le Christ dit : “Voici, je viens, […] pour faire, ô Dieu, ta volonté.” » (He 10, 5.7)
Jésus est fidèle d’abord au Père. C’est normal puisque c’est le Père qui est le principe de tout et à qui tout se rapporte. C’est bien le sens de ses paroles quand Joseph et Marie le retrouvent dans le Temple (« Il me faut être chez mon Père »). Cette obéissance au Père entraîne ensuite son obéissance à Joseph et à Marie puisque le dessein du Père est qu’il naisse dans cette famille, qu’il soit le fils de ces parents-là. Le fait que Jésus puisse échapper à la vigilance de ses parents pendant une journée sans que ses parents ne s’en soucient est d’ailleurs sans doute le signe de son obéissance à Joseph et Marie : s’ils pensent qu’il est dans la caravane des pèlerins, c’est parce qu’il est toujours obéissant, il n’y a pas besoin de se demander sans cesse où il est et de s’inquiéter quand on ne le voit pas, en se demandant : « Quelle bêtise est-il en train de préparer ? »
Le Verbe incarné est un beau modèle pour nous ! Dieu nous a donné la parole à nous aussi. Cette parole est un lieu majeur de notre ressemblance avec Dieu. Par la parole nous ressemblons à Dieu car la parole est puissante, elle peut faire de grandes choses. La contrepartie, c’est qu’elle demande d’être utilisée avec justesse et fidélité.
Je voudrais prendre un exemple, parmi tant d’autres possible : c’est l’engagement que nous prenons par la profession religieuse ou dans le mariage, par exemple. Notre parole y est décisive, elle crée quelque chose ; en cela nous ressemblons bien à Dieu. Pour continuer à vivre cette ressemblance, il s’agit ensuite d’être fidèle à cette parole que nous avons dite. Quand nous sommes tentés de nous défaire de nos engagements, nous pouvons nous souvenir de cette parole prononcée et être fidèle à ce que nous avons promis. La fidélité n’est pas qu’une question d’engagement envers d’autres (par exemple envers son conjoint ou sa communauté, ou même envers Dieu), c’est aussi un engagement avec soi-même.
Si nous sommes vraiment des disciples du Verbe, des frères et sœurs de Jésus la Parole incarnée, notre parole va ressembler à la sienne, c’est-à-dire qu’elle va dire ce qui est, être fidèle à la réalité et aussi que nous allons faire ce que nous disons.