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Noël 2021

Célébration de Noël : Messe de Minuit

Fr Timothée Lagabrielle op

Lc 2. 1-14

La Parole prend de la consistance

Imaginons que nous sommes à Bethléem, dans la grotte de la Nativité – ce n’est pas trop dur à imaginer ce soir, non ? – Nous nous penchons sur la crèche et nous voici devant l’Enfant Jésus. Il est tout petit et c’est émouvant de le voir, comme pour tout nouveau-né. Et puis, il ouvre les yeux et alors nous nous tournons vers la Vierge Marie en demandant : « Est-ce que je peux le prendre ? ». Dans un sourire, la Vierge Marie dit quelque chose comme : « Bien sûr, c’est bien pour toi que je l’ai mis au monde ! Prends-le ! ». Alors, nous sommes là tout ébahis, peut-être partagé entre la fierté de l’avoir dans nos bras et la crainte de lui faire du mal. Et puis, immanquablement, au bout d’un peu de temps (plus ou moins selon l’heure de la dernière tétée) il se met à pleurer. « Ah ! Il est temps de le rendre à sa maman ! »
N’est-ce ce pas ainsi que ça se passe avec un « vrai » bébé ? À intervalle plus ou moins régulier, il nous rappelle sa présence (comme si on pouvait l’oublier…), il réclame notre attention, il nous demande de s’occuper de lui. C’est ce qui se passe avec tous les bébés et Jésus a sans doute voulu que ça se passe ainsi pour lui quand il était enfant. Il aurait pu faire autrement : après tout, il est le Fils de Dieu, consubstantiel au Père, il n’était pas obligé de passer par toutes les limites de la vie humaine. Mais il a voulu cela. Et, je pense que s’il l’a voulu pour son enfance, c’est parce que, d’une certaine façon, il continue de le vouloir aujourd’hui encore.
Oui, aujourd’hui encore, Jésus souhaite que, régulièrement, nous nous occupions de lui. Ici à Chalais, il y a même quelque chose qui ressemble aux cris de l’Enfant Jésus (il y a cela aussi dans mon couvent et dans un peu tous les couvents) : c’est la cloche qui, à intervalles réguliers, est comme sa voix qui nous dit : « Rappelle-toi que j’existe ! Rappelle-toi que je suis présent ! Prête-moi attention ! Occupe-toi de moi ! ». Et alors, comme quand un bébé commence à pleurer, on arrête ce qu’on était en train de faire pour prendre soin de lui.
Chez vous, il n’y a peut-être pas une cloche qui sonne pour la prière plusieurs fois par jour mais, même sans cloche, vous pouvez prendre du temps avec Dieu chaque jour (et même plusieurs fois par jour !) Vous pouvez vous dire : « L’Enfant Jésus me réclame ! » et, laissant tout, aller le voir.
Bien-sûr, il y a une grande différence entre cette attention que Jésus réclame et celle qu’un bébé demande par ses pleurs : le bébé a besoin de nous, sans nous il ne peut pas vivre ; alors que nous, nous n’avons pas vraiment besoin de ce bébé (même si on est content qu’il soit là, même s’il nous apporte bien quelque chose – au moins une certaine joie, une ouverture vers l’avenir – et même si certains vont toujours trouver à dire qu’on a besoin de lui, par exemple pour payer notre retraite plus tard ! Mais, malgré tout, c’est surtout lui qui a besoin de nous). Avec Jésus, les choses sont renversées : dans notre vie courante, Jésus ne réclame pas notre attention parce qu’il aurait besoin qu’on lui fournisse quelque chose de vital pour lui ; s’il réclame notre attention, c’est parce que c’est nous qui avons besoin de lui ! Quand on s’occupe de lui, quand on lui donne notre attention, on s’occupe aussi de nous ! Et même, notre vie prend tout son sens dans le service que nous lui rendons.
Mais, pris par le quotidien, nous pouvons oublier cela. Et c’est vrai que ce besoin que nous avons de Dieu n’est pas toujours évident à voir. Nous pouvons passer à côté de ces vérités. Nous pouvons manquer d’attention envers Dieu et avoir l’impression que notre vie n’en n’est pas moins bonne. Nous sommes des êtres de chairs qui avons besoin de voir et de sentir les choses. Ne l’avez-vous pas déjà remarqué dans votre vie de prière ? Poser des actes (par exemple, vénérer le santon de l’Enfant Jésus de la crèche pendant le temps de Noël, prier devant une icône, avoir un texte à méditer quand on va prier, etc.) tout cela nous aide à prier.
C’est pour cela que Dieu cherche à ne pas être trop évanescent ; c’est pour cela que Dieu cherche à rendre sa présence concrète. C’est pour être le plus concret possible qu’il s’est fait homme. Il veut que nous puissions ressentir des choses, avoir une présence palpable, physique, visible.
C’est exactement ce qu’il a fait à Noël. Ce petit enfant dans la crèche qui réclame notre attention, c’est Dieu fait homme, Dieu qui se fait palpable. En lui devient visible tout ce qu’est le Dieu invisible.
Et cette présence de Dieu dans la crèche n’est qu’un début. Il va grandir, devenir un homme et répandre sa parole et ses œuvres. Pour être avec nous « tous les jours jusqu’à la fin du monde », il nous laisse l’Évangile et toute la Sainte Écriture, il institue l’Église avec ses sacrements et son enseignement, il nous partage toute la vie chrétienne de ceux qui nous ont précédé et dont nous pouvons profiter. Tout cela rend Dieu concret, proche de nous… pourvu seulement que nous nous penchions sur ces trésors comme on peut se pencher sur la crèche et demander à Marie : « Est-ce que je peux le prendre ? » et Marie répond : « Bien-sûr, c’est bien pour toi que Dieu l’a donné au monde ! Prends-le ! »