Close

30ème Dimanche du To B

Fr Maxime Allard op

Mc 10, 46b-52

J’ai été comme dans un rêve cette semaine en préparation de cette homélie.
Car le passage évangélique me semblait du déjà vu, du déjà entendu. Comme dans un rêve. Mais tout y semblait un peu déplacé, partiellement déformé, sans véritable lien de cause à effet vérifiable première vue… et pourtant quelque chose de similaire résonnait, m’a hanté… J’espère vous saisir dans mon rêve, dans ma hantise… dans ma contemplation du spectre. Car il y a bien quelque chose comme un revenant, un spectre, un fantôme. Vous allez vous dire : « le Père est fatigué. Il hallucine »… Non pas. Je suis lucide et hanté.
Cherchons donc le spectre. Vous relierez peut-être les choses autrement que moi! L’Esprit de Dieu qui fait rêver du Royaume sait s’adapter aux désirs, craintes, espoirs et blessures des enfants du Père….
Serait, ce l’aveugle lui-même, en personne ? Bar Timée y aurait alors eu divers traits d’autres aveugles évangéliques et de l’aveugle-né ? Car des aveugles, il en revient régulièrement dans les évangiles : ils y entrent aveugles puis après une discussion, un geste ou une parole, ils repartent en ayant recouvré la vue. Ce n’était pas cela.
Serait-ce l’appel de Jésus ? Car Jésus appelle régulièrement. Je serais Bar Timée, aveugle, demandant la pitié de Dieu. Vous seriez des Bar Timée… Non, mon rêve ne portait pas là-dessus. Ce ne fut pas mon fantôme.
Aurait-ce été Jéricho ? Car, après tout, à Jéricho on trouve aussi le sycomore de Zachée! Bar Timée aurait pu bénéficier des largesses de Zachée converti, hôte de Jésus. Non. Je n’ai pas rêvé cela non plus. Mais ce serait un beau rêve. Des riches qui au nom de l’Évangile et de la suite du Christ qui sortent des gens marginalisés de la misère et de la mendicité…
Peut-être est ce verbe « rabrouer » qui a résonné en moi. Car il ne revient pas si souvent ! La foule aurait été les disciples. L’aveugle aurait été un enfant. Car, dans le même chapitre de cet évangile les disciples rabrouent les enfants que Jésus, comme ici, appelle à lui par la suite. Les gens relayés en bordure de nos sociétés seraient alors les enfants du Royaume, ceux et celles dont le Christ serait proche. Ceci serait aussi un beau rêve. Mais ce ne fut pas le mien cette semaine…
Serait-ce l’étrange « rabbouni » ? Il ne revient que sur les lèvres de Marie Madeleine au matin de Pâques. L’aveugle Bartimé vivrait donc quelque chose comme une expérience pascale, une rencontre intime, personnelle, avec le Ressuscité ? Dans les rêves, vous le savez, l’ordre chronologique des faits est souvent bouleversé ! Intéressant. Mais mon rêve ne m’a pas entraîné dans cette direction…
Serait-ce l’écho et la résonnance entre la première lecture et son aveugle qui est ramené vers Jérusalem avec le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée et notre aveugle évangélique : ils finissent tous sur un chemin. Tous ont habituellement de la difficulté à marcher ou ne le devrait pas et pourtant ils sont sur le chemin de retour à la vie, qui correspond à la terre promise pour les anciens et à l’entrée dans la vie avec le Christ, pour notre ancien aveugle en Marc. Il s’agirait alors du rassemblement de la communauté. Pas de chance. Je n’y ai pas rêvé.
Je vous ai fait assez languir… J’ai aussi pris assez d’éléments de la proclamation pour vous faire rêver. Il n’en reste plus beaucoup. Et ce qui reste fait un retour, répète. Je vous le donne dans le mille. C’est la question de Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Elle est la reprise et l’écho au singulier de la même question par Jésus mais adressée à Jacques et à Jean, les fils de Zébédée, dimanche dernier : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Alors, Jésus, patiemment, leur a fait comprendre qu’il n’est pas la personne indiquée pour répondre à leur demande. Subtilement, il leur révèle une autre manière de penser et d’agir dans le Royaume. Ici, par contre, avec empressement, Jésus accède à la demande de l’aveugle : « Va, ta foi t’a sauvé. » Dans les deux cas, il y avait une demande intéressée, singulière, attachée à un désir personnel : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire »! Et l’aveugle de demander que Jésus se laisse émouvoir de pitié et lui rende la vue perdue : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! Aveugle, je me suis approché de toi. Que la vue retrouvée me rapproche encore plus de toi et me permette de te suivre sur le chemin… jusqu’en ta gloire » (on peut l’ajouter, pourquoi pas, c’est mon rêve après tout?)…
On croit rêver! Et d’un rêve qui fait pousser des cris de joies et nous remplit la bouche de rires ! Nous sommes, à notre tour, invités à creuser notre désir pour laisser jaillir notre réponse à la question évangélique de Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Pas celle qu’on attend de nous. Pas celle que nous devrions avoir parce que nous sommes bien catéchisés ou bien élevés ! Le « pour toi » de la question de Jésus est dirigé à Jean, Jacques, Marie, Caroline, Robert, Nicole, Joe… Il ne s’agit pas de s’abîmer ici dans des processus de discernement et dans des exercices y menant. Personne n’est invité à pratiquer avec prudence une délibération menant à un choix éclairé et consenti ! Qu’est-ce qui jaillit et vient sur les lèvres, travaille les profondeurs de vos entrailles ? Si le Christ Jésus avait posé cette question à Dominique, il lui aurait répondu : « Fais miséricorde! Que vont devenir les pécheurs si tu ne leur fais pas miséricorde »! Si la question avait été adressée à Jérémie, il aurait crié, dans la joie et la supplication tout à la fois : « Seigneur, sauve ton peuple ! » Et si le Père avait adressé cette question à son Fils, qu’aurait-il répondu : « Fais que je vive et qu’ils vivent en plénitude car je suis devenu homme, j’ai fait ta volonté, j’ai offert ma vie pour que mes frères et sœurs soient en communion entre eux et avec nous »… Il aura été exaucé au matin de Pâques… sinon nous ne serions pas rassemblés dans la joie et l’action de grâce. Alors, poursuivons notre chemin. Passons, d’un bond, de la table de la parole à celle du Corps et du Sang qui nous ouvre les yeux et le cœur au Royaume de Dieu.