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28ème Dimanche du To B

Fr Michel Demaison op

Mc 10, 17-27

Aujourd’hui Jésus mous malmène, il ne nous laisse pas tranquilles. Il faudrait plutôt dire : le récit de Marc nous perturbe, car les textes que nous écoutons sont le résultat de plusieurs décennies de traditions orales et écrites, ils ont été composés par plusieurs auteurs qui ont organisé à leur façon les sources dont ils disposaient. Chacun n’avait pas son téléphone à la main pour enregistrer et filmer Jésus. Il n’empêche, nous croyons que cette Ecriture nous livre bien la parole vivante de Dieu. Alors on s’aperçoit qu’elle n’est pas un recueil de belles histoires qui font rêver, mais une parole tranchante : « Tout est nu devant elle, aux yeux de Celui à qui nous aurons à rendre des comptes. » (He 4, 13) Pas de solutions à bon marché, pas de formules magiques, mais un message qui demande à être lu et relu, remâché, réinterprété sans cesse au fil du temps et en fonction des situations changeantes, à la lumière de l’Esprit Saint qui l’a inspiré.

Que nous dit la rencontre racontée aujourd’hui ? Comment nous éclaire-t-elle ?
Un homme se jette aux pieds de Jésus et l’interpelle sur ce qu’il doit faire pour avoir « en héritage » la vie éternelle. « Bon Maître ! » Jésus l’arrête : « Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » « Même moi, si tu me vois comme un maître, c’est-à-dire un spécialiste de la Loi de Moïse, je ne suis pas bon comme Dieu est bon. » Cet homme a tout bien fait, il a tout juste depuis sa jeunesse, et il peut s’estimer béni de Dieu puisqu’il a de grands biens. Jésus voit qu’il est sincère, plein de bonne volonté. Il pose sur lui un regard d’amour et l’invite à le suivre. Un courant de bonté devrait passer entre eux, mais il ne passe pas. Il y a quelque chose qui bloque, qui encombre : trop de biens, surtout trop d’attachement à ces biens. Cet homme sent qu’il est en train de rater l’occasion de sa vie, ce qui aurait pu lui ouvrir un chemin vers la vraie joie. Il lui manque quelque chose pour pouvoir répondre à l’appel : il lui manque de manquer, condition pour que le désir d’une autre vie puisse naître. Il a tout ce qu’il faut et il lui manque le seul nécessaire : répondre à l’amour de Jésus par son amour à lui. Il s’éloigne, sombre. Bonjour tristesse.
Au regard d’amour que le Christ porte sur chacun d’entre nous, comment répondons-nous ?

Pourquoi les disciples sont-ils déconcertés par la leçon que Jésus en tire ? Peut-être parce qu’ils considèrent, comme la tradition juive, que les richesses sont des signes de la bénédiction de Dieu. Et pourtant, eux-mêmes, n’est-ce pas ce qu’ils ont fait, tout quitter pour suivre Jésus ? Oui, mais ici s’indique la marque originale de l’Evangile : on peut tout quitter, pour de nombreux motifs, sans pour autant le faire pour s’attacher à suivre le Christ : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1Co 13, 3) Les disciples reviennent à la charge : mais alors, qui peut être sauvé ? Jésus pourrait répondre d’un mot : les pauvres. Il ne le fait pas parce que personne parmi les hommes, les pauvres pas davantage, ne peut se sauver lui-même. Non seulement c’est difficile, c’est impossible.
Le Royaume de Dieu, la vie éternelle, le salut – termes équivalents – ne sont pas la récompense de nos actions, ni de nos renoncements, ni de nos souffrances. Ce n’est pas un bien parmi d’autres qui viendrait compenser une perte, qu’on pourrait hériter ou mériter. La vie éternelle, qui commence ici-bas avec la foi et la charité, ne peut être qu’un pur don, immérité, gratuit, total, comme la vie tout court. Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu parce qu’il est l’Origine de tout, le créateur, le donateur, la source de toute vie, de tout bien, de la grâce et de la joie. Jésus l’avait dit d’entrée de jeu : Dieu seul est bon, le seul vraiment, pleinement, définitivement bon. C’est devenu difficile à croire de nos jours, pour mille raisons que vous connaissez aussi bien que moi. Mais le croire, c’est être certain qu’il ne refuse jamais de donner ce que nous lui demandons pour nous rapprocher de lui, pour entrer dans une communion plus intime avec lui.

Nous n’avons pas à être déconcertés, déstabilisés, encore moins culpabilisés, par les exigences fortes que pose Jésus dans ce passage d’évangile – bonne nouvelle – dès lors que nous restons confiants en la bonté du Père, mendiants de la grâce du Christ, désireux de vivre de l’amour qui les unit, l’Esprit Saint.
Tout est possible à Dieu quand le don de sa vie rencontre notre désir de vivre avec lui, pour lui.