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25 ème Dimanche du TO B

Fr Jean-Michel Maldamé op

Enfant de Dieu

Mc 9. 30-37

Une expression est souvent employée pour un enfant qui dit ce qu’il voit, comme il le voit, sans mensonge. On dit qu’il est un « saint Jean bouche d’or ». Si l’expression désignait à l’origine la qualité oratoire d’un discours, elle a pris un autre sens : est « saint Jean bouche d’or » celui qui dit ce qu’il voit, en toute simplicité et avec franchise. Cette expression a un sens subversif à l’égard des propos tenus par les adultes qui, diplomatiquement, voire hypocritement, falsifient leur propos sur ce qui se donne à voir. Pourtant dans l’expression il y a davantage.
L’expression ne se contente pas d’un constat, elle démasque le mensonge. Ainsi dans le conte, lorsqu’entouré de ses courtisans le roi se pavane en sa nudité, l’enfant s’étonne ; quand il dit à haute voix « le roi est nu », il ne fait pas que dire que le roi n’a pas mis sa redingote, mais que les courtisans sont des lâches et des hypocrites. Ce lieu commun me permet de comprendre le geste de Jésus rapporté par les évangiles.
Lorsqu’il appris que ses disciples cherchaient à savoir qui était le plus grand parmi eux, Jésus a pris un enfant et l’a placé au milieu d’eux (v. 30-31). Ce geste nous concerne.
Par ce geste, Jésus n’a pas fait une leçon théorique : c’est la vie qu’il a placé et qu’il place devant ses disciples. Jésus ne fait pas l’éloge des enfantillages, il montre un chemin de vérité dont la simplicité déjoue les pièges de l’ambition. Il le fait d’un geste – un geste, car la parole est souvent faussée. C’est à la candeur de cet enfant que se mesure la vérité qu’il enseigne.
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Ayant présenté l’enfant à ses disciples, Jésus fait ensuite une demande : accueillir les enfants. Cette demande est toujours actuelle. La manière dont une société traite les enfants témoigne de la qualité des choix qui président aux actions posées et à sa culture. Hélas, le spectacle du monde est sur ce point désolant, voire désespérant. Tous nous avons vu à la télévision des enfants trier sur les décharges des grandes villes. Il est des mines où des garçons de dix ans portent les pierres où l’on espère trouver de l’or. Il est des ateliers où des petites filles tissent les tapis qui seront vendus aux touristes. Il y a aussi les enfants pris en otage dans les écoles pour devenir ensuite des esclaves… Dans les camps de déportés à cause de la guerre, des enfants attendent en vain un peu de pain et de lait. Telle est la figure de notre monde soumis à la raison du plus fort. Ce monde est soumis à ce que les évangiles appellent « le prince du mensonge ».
Sa puissance de falsification a atteint même la parole de Jésus dite par Jésus apprenant les disciples se querellait pour savoir qui était le plus grand. Jésus leur a dit : « Si quelqu’un veut être le premier… qu’il soit le serviteur de tous ». Qui ne voit que cette parole emblématique de la vie en société a été et est toujours récupérée par les grands de ce monde ? L’histoire de nos révolutions, de nos conflits sociaux et de nos guerres le montre. C’est en se présentant comme serviteurs que les despotes accèdent au pouvoir. L’histoire de l’Église le confirme, hélas ! Face à tant de démagogie et de falsification, je relève que Jésus n’ajoute pas à demande un discours. Il pose un geste : il prend un petit enfant dans les bras et il demande à ses disciples de l’accueillir en son nom. L’accueillir et le reconnaître pour ce qu’il est : le nommer, lui parler, lui apprendre les gestes de la vie du corps, de l’esprit et de l’âme. Se laisser désarmer par lui et ainsi prendre le chemin de la vie qui n’est vie que dans le don de soi.
Telle est l’Église que fonde Jésus : un peuple où l’enfant est accueilli. Pas l’enfant roi, ni le prince dans ses caprices, mais la vie dans la clarté, la simplicité et la vérité. De cela Jésus donne l’exemple par la parole qu’il nous adresse et qu’il faut entendre en son entier.
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Quand Jésus présente l’enfant à ses disciples soucieux de prendre le pouvoir, il leur dit « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, c’est moi qu’il accueille » (v. 37). Jésus serait-il en train de faire ce qu’il reproche à ses disciples : se mettre au centre et prendre le pouvoir ? Non ! Pourquoi ? Parce que Jésus ajoute aussitôt : « Qui m’accueille accueille celui qui m’envoie » (v. 37). Ainsi Jésus ne se place pas au centre ; il place au centre un autre, le tout-autre, Dieu qu’il nous apprend à invoquer comme son Père et notre Père. Tout est dans cet effacement : Jésus n’établit pas un royaume dont il serait le roi, mais le Royaume de Dieu son Père. Il le dira à Pilate quand celui-ci aura sur lui pouvoir de vie et de mort.
Jésus refuse d’être roi. C’est de cela que Jésus parlait quand il était en chemin avec ses disciples : il leur parlait de sa mort et de sa résurrection (v. 30-31). Son désir est qu’advienne le Règne de son Père. Il le redira à Pilate au moment de son procès : Ainsi il ouvre un chemin de vérité. De ce chemin, Jésus nous donne la clef : l’accueil de l’enfant. Jésus ne fait en rien l’apologie des enfantillages. Il nous appelle à être dans la vérité qui n’est autre que la Vie de Celui que Jésus appelle son Père, Dieu au-delà de toute représentation, de toute prise. Dieu, l’infini de l’amour et de la bonté qui nous donne part à son Esprit, l’Esprit saint qui fait de nous des enfants de Dieu