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Solennité de l'Assomption 2021

Fr Jacques-Benoît Rauscher op

1950…
Vous l’aurez deviné, cette date n’est pas celle de la construction de
l’église de Chalais. Encore moins celle de mon année de naissance.
Mais l’année 1950 est précisément l’année où a été proclamé le
dogme de l’assomption, le fait qu’à la fin de sa vie, la Vierge a été
élevée avec son âme et son corps vers Dieu.
Si je vous rappelle cette date, ce n’est pas pour faire briller quelques
éléments culturels, mais c’est parce qu’il y a là une conjonction
interpellante. Alors que l’humanité venait juste de sortir d’un conflit
terrible, le pire de son histoire en nombre de morts, le pape
définissait comme dogme l’assomption, un ancien élément de la
piété et de la théologie relative à Marie. Décalage un peu étrange
entre les préoccupations du monde et celles de l’Eglise, pourrait-on
penser…
Pourtant, il me plait à penser qu’un lien intime uni sortie de crise (ou
de guerre) et assomption. Et c’est sur cet aspect que je voudrais
méditer avec vous ce matin. Alors que nous avons traversé une grave
crise (pas tout à fait finie) qui nous a affectés tous d’une manière ou
d’une autre, alors qu’il nous arrive de devoir affronter des crises
personnelles, nous pouvons voir précisément l’assomption comme
une fête pour traverser les crises. Pas une baguette magique pour ne
pas rencontrer de crises. Mais un chemin pour traverser les crises en
ce qu’elles affectent nos relations à nous-mêmes, aux autres et à
Dieu.
A nous-mêmes tout d’abord. Connaître une crise, c’est souvent rien
de moins que douter radicalement de nos capacités humaines.
Douter de notre capacité à atteindre quelque chose d’élever. Une
crise nous rabat toujours au sol. Elle douche nos projets, nos
ambitions. Elle nous présente aussi le pire de ce dont nous sommes
capables. Comment croire en nous, après avoir touché le fond ? De
manière collective, comment croire en l’humanité après avoir vu à
quel point une puissance destructrice pouvait se saisir d’elle ? Devant
un tel découragement face aux capacités humaines, l’assomption
porte une première bonne nouvelle. L’homme, tout homme est
capable de connaître ce que Dieu lui révèle. Vous le savez,
l’assomption n’est pas un mystère décrit tel quel dans la Bible. Mais
il appartient depuis des siècles à la foi et à la pratique des fidèles de
l’Église. En ce sens, proclamer notre foi en l’assomption consiste à
dire notre confiance en l’homme qui croit. Tout croyant peut avoir
cette intuition des choses de Dieu qui l’amène à célébrer quelque
chose de profondément vrai. L’assomption nous le redit : l’homme
qui prie et réfléchit (sans être nécessairement un grand théologien
de métier) est capable de connaître quelque chose des mystères de
Dieu. Aucun homme ne doit penser penser qu’il est trop mauvais ou
trop petit pour s’approcher des mystères de Dieu. Même si les
crises lui montrent qu’il est capable du pire, l’assomption proclame
que l’homme peut s’élever très haut dans la connaissance des choses
de Dieu. C’est la première boussole dans la crise que l’assomption
nous propose de garder pour tenir le cap : ne désespérons pas de ce
dont l’humanité est capable, de ce dont NOUS sommes capables.
Mais traverser une crise ce n’est pas seulement rabaisser nos projets
personnels et douter de nos capacités très humaines. La crise
entraîne aussi une attitude de méfiance systématique à l’égard de
l’autre. Les graves difficultés quand elles se présentent déstabilisent
tellement les fondements et représentations qui nous habitent,
qu’elles peuvent nous conduire à aborder toute parole venue de
l’autre avec méfiance.
Quand on a souffert à cause d’autres personnes ou d’une autre
personne, on peut perdre une certaine bienveillance à l’égard de
l’ensemble de nos semblables. C’est alors le repli sur des cercles de
plus en plus restreint qui nous guette. Là encore, l’assomption vient
jeter sa lumière sur cette méfiance à l’égard des autres qui peut
naître en nous. L’assomption nous propose, en effet, d’entrer dans
une attitude de profonde bienveillance. De joie pour l’autre.
L’assomption nous remet devant la possibilité de nous réjouir de la
joie d’une autre. L’assomption est une invitation à retrouver la
possibilité de nous réjouir pour une autre, Marie, qui nous précède
sur le chemin. Il n’est pas anodin, à cet égard, que l’évangile retenu
pour cette fête soit la Visitation. Dans ce texte, Élisabeth, par sa
parole, déclenche le magnificat de Marie. Nous avons besoin les uns
des autres pour nous laisser aller à la joie. Pas une joie mièvre et
superficielle. Mais une joie qui s’extasie devant le fait que l’autre a
pleinement accompli ce qu’il est appelé à devenir. Devant la vie qui
bat en l’autre et qui, parce qu’elle bat en l’autre peut m’inonder moi
aussi.
Enfin l’assomption vient nous guérir de la méfiance non pas
seulement envers nous-mêmes et les autres, mais aussi envers Dieu.
Cette méfiance envers Dieu est encore une méfiance que les luttes
que nous menons peuvent venir creuser en nous. Dieu semble
parfois absent quand nous luttons face aux crises personnelles et
collectives. Devant cette apparente indifférence de Dieu, nous
pouvons nous habituer à le confiner dans des domaines de notre
existence où il est bien rangé, où il ne nous décevra pas, mais où il
semble fort peu vivant. L’assomption de Marie, regarder Marie
élevée corps et âme dans la gloire, est le contraire de cette attitude
méfiante à l’égard de Dieu. Elle consiste à s’en remettre à lui, dans
notre âme et notre corps, à accepter que tout, absolument tout ce
qui fait notre humanité et notre histoire soit dans les mains de Dieu.
S’il y a un soi-disant « lâcher prise » qui n’est pas chrétien parce qu’il
est déresponsabilisant, à l’inverse, une attitude qui consisterait à
penser que Dieu n’est pas un acteur de nos histoires personnelles et
collectives nie aussi un grand fondement de notre foi et assèche
notre relation à Lui. Notre âme comme notre corps, nos petites
comme nos grandes histoires intéressent Dieu.
Non, en 1950, l’Église n’était pas si décalée que cela en choisissant
cet après-guerre pour parler de Marie qui monte au Ciel. Car célébrer
l’assomption, ce n’est pas envier la belle Marie qui serait portée par
des anges joufflus dans le paradis. Ce n’est pas fuir notre monde ou
avoir les yeux rivés sur un avenir meilleur. Célébrer l’assomption,
c’est se départir de cette triple méfiance à l’égard de nous-mêmes,
des autres et de Dieu qui est un chemin de sclérose que les sombres
évènements impriment en nous. Célébrer l’assomption c’est, au
contraire, se rappeler la joie simple du don et de la bienveillance dont
notre vie chrétienne est porteuse et qu’elle doit toujours risquer.
Contre tous les dragons qui veulent dévorer en nous cette joie avant
sa naissance, prions le Seigneur de nous fortifier en cette eucharistie.
Osons demander au Seigneur de nous saisir, corps et âme, pour nous
redire que nous sommes nés pour cette joie qu’aucune crise, aucune
guerre et aucune mort ne pourront jamais nous ravir.