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18ème Dimanche du TO B

Fr Lionel Gentrix op

Jn 6. 24-35

À la fin du 20e chapitre de l’Évangile de Jean, l’auteur se retourne sur son œuvre et donne une clé de lecture :
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Croyez en Jésus, et vous vivrez. Liez-vous à Jésus, et vous vivrez. Voilà le projet, ce que l’Évangéliste voulait dire… et qu’il a dit, en particulier, dans le passage que nous venons d’entendre au début du discours sur le Pain de Vie.
Ce que je veux retenir du début du discours, c’est qu’il se situe en premier lieu sur un autre registre que le registre sacramentel. Il n’est pas encore question de la chair et du sang. Nous sommes encore loin des formules qui déclencheront l’incompréhension d’un certain nombre. Nous en restons pour aujourd’hui sur des formules très épurées, très sobres. Jésus dit avec des mots très simples qu’il est, lui, en personne, celui qui donne la vie au monde. Il est, lui, source de vie éternelle pour ceux qui s’attachent à lui. La finale de l’Évangile d’aujourd’hui : Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Croire et vivre. Jésus se présente, simplement, comme celui qui répond à la soif de l’homme. « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu ».
Petit flash-back. La multiplication des pains. La foule veut faire de Jésus son roi. Ça n’intéresse pas du tout Jésus, qui prend la tangente. Je survole sur l’épisode de la marche sur les eaux et nous retrouvons Jésus à Capharnaüm, où la foule le rattrape. Et là, Jésus se livre à une petite explication de texte. Si vous croyez que je vais renouveler tous les jours le miracle des pains et des poissons, vous faites fausse route. Ce miracle-là est un signe qui vous a été donné. Un signe qui pointe vers autre chose. Mais vous le savez bien tout de même, que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi et surtout, de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. Et que, dans le fond, votre attente, votre désir, se situe ailleurs, sur un autre plan. Eh bien c’est là que je vous attends. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle.
Manifestement, le discours passe assez bien. Les auditeurs saisissent la perche. « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Voilà une question qui en rejoint bien d’autres dans l’Évangile. On trouve à plusieurs reprises Jésus face à des hommes et des femmes, des juifs soucieux de mieux comprendre la loi, soucieux de faire le bien, soucieux de trouver l’essentiel, le plus important dans le fouillis des commandements de la loi juive… et plus encore – c’est l’histoire du jeune homme riche – désireux « d’avoir la vie éternelle ». Les Écritures, dans ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament, pointent en de multiples passages vers un accomplissement de la loi qui doit se réaliser dans le cœur du croyant, une plénitude à venir. Pour dire les choses autrement, Jésus rencontre souvent des hommes et des femmes qui ont faim et soif, et pas seulement de pain. Et dans l’Évangile d’aujourd’hui, au moment où Jésus déplace le sujet, ses auditeurs le suivent facilement. OK ! Et donc : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Et à cet endroit Jésus opère un deuxième déplacement. D’abord on ne va pas parler « des œuvres de Dieu » au pluriel, mais de l’œuvre de Dieu au singulier. Et puis finalement, alors même que Jésus, il y a une seconde, invitait à « travailler » pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, et finalement, ce « travail » se réduit à peu de chose, à presque rien en fait. « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Eh bien, les choses se simplifient à vue d’œil ! Bon… Quoi que…
« L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ce n’est pas entièrement limpide. D’abord en ceci : l’œuvre de Dieu, est-ce que c’est l’œuvre que les croyants doivent accomplir pour Dieu, ou l’œuvre que Dieu veut accomplir pour les croyants ? Eh bien… les deux. Ce qui doit s’accomplir et qui porte la vie éternelle, c’est la foi. Et cette foi est à la fois don de Dieu et libre réponse de l’homme à l’invitation de Dieu.
« L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Je voudrais ici insister sur la dimension fondamentalement individuelle de ce qui se joue ici. On n’en est pas encore, au point où nous en sommes, à développer une théologie de l’eucharistie. Ça viendra, en son temps. Pour aujourd’hui faisons étape à cet endroit du rendez-vous avec Jésus.
En fait, à considérer l’évangile de ce jour tel qu’il se présente aujourd’hui, son correspondant le plus proche dans les synoptiques, ce serait sans doute la rencontre de Jésus et du jeune homme riche. Avec deux finales apparentées, d’ailleurs, parce les deux récits se terminent un peu dans la douleur : le jeune homme s’en va tout triste… certains disciples s’éloignent de Jésus à la fin de Jean 6… Et en l’un et l’autre évangile, un appel à la simplicité de la rencontre. « Va, vends tout ce que tu as… » ; « L’œuvre de Dieu », au singulier… Un appel à la simplicité et une pointe effilée : « suis-moi », dans les synoptiques ; « croyez en moi », chez Jean.
La manière avec laquelle nous répondrons à cet appel place chacun d’entre nous devant son propre mystère, devant la singularité absolue de chacune de nos histoires, parce que nul n’est identique à son frère. Nous écrivons chacun une histoire absolument singulière ; et parce que chacun d’entre nous est unique, nos rencontres le sont également. La manière avec laquelle nous ressentons ou nous exprimons notre soif d’éternité est aussi propre à chacun d’entre nous. Et puisque nul n’est identique à son frère, chaque rencontre que le Christ fait est singulière aussi. Singulière pour lui. Il ne dit peut-être pas exactement la même chose à chacun d’entre nous. L’Évangile d’aujourd’hui nous met au défi du face à face. Et chacun répondra à ce défi à sa manière. Les chemins de la foi nous conduisent au Royaume où tous ensemble nous aurons en partage la vie éternelle, mais, de ce Royaume, chacun aura une clé qui lui appartiendra en propre.
J’ai pris avec moi dans mon périple estival des devoirs de vacances. J’ai invité quelques 25 conférenciers au prochain Pèlerinage du Rosaire, et c’est à peine si 3 ou 4 d’entre eux n’ont pas publié récemment au moins un livre… Sans doute est-il de bon aloi que je lise au moins une partie de ces livres avant de rencontrer leurs auteurs et de me retrouver à table avec eux !
Au nombre de ces livres, je vous conseille le livre-témoignage d’Alexia Vidot, qu’on a beaucoup vue dans la presse ces temps-ci, une longue interview dans le Figaro, une autre dans le Point et dans toute la presse chrétienne. Alexia travaille à la rédaction du magazine La Vie ; elle y est responsable du cahier central des Essentiels de la Vie. Et dans le livre qu’elle a publié récemment, aux éditions Artège, Comme des cœurs brûlants, l’extraordinaire témoignage des convertis, elle livre le récit de sa propre conversion, un récit étonnant de simplicité et de profondeur, avant d’esquisser une galerie de portraits de convertis du XXe siècle. C’est un ouvrage étonnant, et qui fait du bien, je trouve. Qui nous rappelle qu’une célébration ecclésiale, eucharistique, comme celle que nous vivons ce matin, n’est possible que parce que convergent dans cette église des histoires, des biographies, des aventures et des rencontres avec le Seigneur Jésus, le pain de Vie.