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Annonciation 2021

Fr Charles Desjobert op

Is 7, 10-14 ; 8, 10 – Ps 39 – He 10, 4-10 – Lc 1, 26-38

Une perle dans la neige

Autour de nous, la neige fond. Alors que je marche sur le chemin, au matin d’un printemps, je perçois un éclat dans la neige. Une couleur ; trop claire pour être celle d’une jonquille, trop tôt pour celle d’une rose ; un perce-neige sûrement, qui reflèterait le ciel.

Je me baisse et entre les cristaux fondus, c’est une perle que je découvre. Et c’est son nacre précieux qui m’avait d’abord fait miroiter la couleur, là où il n’y avait que la pureté de son vêtement blanc.

Une perle, comme celle d’un collier qui donne à voir la beauté d’une femme, mais une perle non sertie, d’une simple et humble blancheur, lumineuse et sans far.

Je la ramasse.

Elle est couverte de neige encore, mais comme je la contemple de plus près, que je la frotte un peu, je découvre des mots gravés sur cette perle. Deux petits mots sur son dessus, mais que je peine à déchiffrer, et une plus longue formule sur le pourtour.

Ceinturant cette petite sphère, je lis : « Servante du Seigneur ». Dans l’éclat de sa fragilité, cette perle portait ce beau nom, humble et glorieux : « Servante du Seigneur ».

Je m’évadais alors, quittant Chalais, la perle et son décor de neige, et repensais à mes cours de liturgie, dans la brume parisienne. Je me souvenais que ce mot « servante » n’avait pas toujours été aimé. Dans les années soixante, le mot de « servante » avait été même tellement problématique qu’on l’avait tout simplement retiré de la prière de la messe, de la prière eucharistique. En latin en effet, à l’autel, le prêtre disait : « Souviens-toi, Seigneur, famulorum famularumque tuarum » c’est à dire « Souviens-toi Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes ». « Serviteurs » passait, mais « servantes » ! Cela n’était-il pas révoltant, ne renvoyait-il pas aux humbles domestiques des familles bourgeoises, aux bonnes et femmes de ménages ? On avait donc retiré, par égard pour les femmes, ce mot de « servante » et gardé seulement le masculin « serviteur », qui semblait plus neutre. Et c’est ce que l’on trouve encore au missel aujourd’hui dans le canon romain : « Souviens-toi Seigneur de tes serviteurs, et de tous ceux qui sont ici réunis… ». Plus de « servantes ».

Les années passent, et on décide de réviser la traduction en français du missel. Et on trouve que décidément, les prières de l’Église ne mentionnent pas suffisamment les femmes… N’est-ce pas ? Et l’on n’a pas tort. Alors on reprend le latin, on se remet à l’ouvrage, et l’on ajoute « frères et sœurs » là où l’on ne disait que « frères ». Mais, oh, stupeur ! Depuis plus de 1 600 ans, la prière latine disait déjà « tes serviteurs et tes servantes « ! Alors, pour de nouvelles raisons, on décidait de traduire à nouveau en français, ce beau mot de « servante » : « Servante du Seigneur ». Nous l’entendrons bientôt, dès que la nouvelle traduction paraîtra. D’ici là, vous me permettrez, exceptionnellement aujourd’hui, d’employer la formule « inclusive », qui nous attendait depuis 1 600 ans tout de même, mais que l’on n’avait jamais osé prononcer à l’autel en français : « serviteurs et servantes ».

« Servante de Dieu », la première marche vers la sainteté, et la plus difficile à descendre, sur le beau chemin de l’humilité.

C’est le froid, au bout de mes doigts, qui me rappelle que j’ai encore la perle en main. Elle a perdu sa couleur nacrée et, en prenant une teinte plus brune, me laisse distinguer maintenant les mots couronnant la belle formule, ces deux petits mots que l’éclat premier m’avait empêché de décoder : « Me voici » !

Ils surgirent devant moi, avec la force d’une apparition, comme les paroles d’un ange. Ce n’était pas d’abord le « me voici » d’une femme, de la servante dont nous parlions à l’instant et qu’on aurait sonnée ! Non, c’était,… c’est le « me voici » de Dieu, éclatant ! Le « me voici » libre de l’Ange du Seigneur soudain présent. Lui, Dieu le premier, dans une parole qui traverse l’univers de part en part, de levant au couchant du soleil, qui dit, par ces deux mots gravés sur la perle : « Me voici ». Il dit, « Je suis là » avec l’évidence de la présence. C’est le « voici », l’« ἰδού » grec, l’évidence d’un présent. Dieu est là maintenant, le voici.

Et c’est donc de ce « me voici » de Dieu, que vient le « voici, je viens » du psalmiste (Ps 39) que nous chantions tout à l’heure. Le « Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté » dont parle la lettre aux Hébreux (Hb 10). Et je comprends alors que le « je suis » du Christ, son « ἐγώ εἰμι » était aussi ce « me voici ».

Je relis toute la phrase inscrite sur la perle : « Me voici – Servante du Seigneur ». C’est la réponse de Marie à l’ange. Le « Fiat » libre, en Marie, de toute l’humanité à Dieu. Oui, Marie, au moment où elle disait « Me voici, servante du Seigneur », disait aussi « Je suis servante du Seigneur » ; disait aussi, « parce que tu es là mon Dieu, moi, je suis ». Réponse libre d’une femme, réponse qui engendrait l’Église.

La neige avait totalement fondue sur la perle désormais aussi brune que la terre, je distinguais maintenant deux trous qui la perçaient de part en part. Non, à l’évidence, ce n’était pas la perle nacrée d’un collier précieux que j’avais en main, c’était la perle de bois vigilante d’un chapelet. C’était le premier grain d’un rosaire qui commençait à peine au début du printemps ; le premier mystère que je tenais en mains.

Ce « me voici » amoureux de Dieu rencontrait ce « me voici » amoureux de la Servante du Seigneur dans ce premier mystère, et toute l’humanité du Christ, vrai homme et vrai Dieu, allait en découler.

Les dix-neuf autres mystères s’apprêtent à suivre.