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6ème Dimanche du To B

Fr Nicolas Tixier op

Mc 1. 40-45

Terrible que le sentiment d’être impur. C’est une question pour aujourd’hui où le monde se partage entre tests positifs, tests négatifs, cas contacts, et autres catégories que nous ne connaissions pas du tout il y a un an. Dans la bienheureuse et tranquille inconscience qui était la nôtre que ceux avec qui nous vivons peuvent être des menaces sanitaires. Nous sommes parfois amenés à nous isoler, à nous confiner, à nous retrancher. Cela blesse notre vocation humaine à la relation, car nous sommes faits pour la relation. Le virus nous fait toucher du doigt ce que l’exclusion du lépreux voulait dire. Cela nous permet d’ailleurs peut-être de comprendre un peu mieux l’aspect prophétique du baiser au lépreux !

Le retranchement c’est d’ailleurs une posture très humaine, depuis la cour de récréation nous le savons très bien, nous sommes prompts à mettre de côté celui ou celle qui n’est pas comme nous. On ne dira pas qu’il ou elle est impur(e), mais on trouvera un autre vocabulaire pour cela, et notre imagination humaine est grande pour dire à l’autre « tu n’es pas mon frère, tu n’es pas ma sœur ». Isole-toi. Ou c’est moi qui m’isole.

Le fait d’être chrétien change-t-il quelque chose ? Pas sûr… Nous restons des hommes… En prenant la route de Chalais, j’ai pris dans mon sac un petit livre d’un grand penseur local, le philosophe Emmanuel Mounier, né à Grenoble. Celui-ci vitupérait (c’est le moins qu’on puisse dire, il faut voir le souffle qui l’anime, et la force de ses phrases) en son temps contre un christianisme étroit, petit, racorni, rabougri, qui serait réduit à dire ce qui est pur et ce qui ne l’est pas : « d’où vient au christianisme moderne cette mauvaise humeur contre la vie qui défigure tant de vertus ? »

« Mauvaise humeur contre la vie », l’expression est forte et pourtant parlante, quand la bonne nouvelle de l’Évangile devrait au contraire nous inviter à vivre, radicalement. Pourtant n’est-il pas vrai que, au nom de la foi ou de la morale chrétienne, on a pu et on peut encore manifester de la mauvaise humeur contre nos frères, et les exclure, les retrancher, les tenir à distance ?…

Alors la guérison du lépreux est un événement d’une importance capitale. Car plus que la simple guérison du mal lui-même (un mal terrible), c’est à une réintégration que l’on assiste. Jésus invite l’homme lépreux à réintégrer la société des hommes. La guérison physique est aussi une guérison sociale. Jésus manifeste ainsi le sens de sa mission, envoyé par le Père pour « ramener à lui, le Père très aimant, tous ses enfants dispersés » comme on le dit dans la prière eucharistique (quelle expression superbe !)

Comment fait-il ? Je retiens ici deux images venues de deux représentations anciennes de Jésus.

A Brioude, en Auvergne, il y a une très belle statue qui représente le Christ. Elle date du 14e s. Elle était destinée à la chapelle de l’hôpital qui accueillait les lépreux de la ville. On l’appelle pour cela le Christ des lépreux. En fait non, on l’appelle même le Christ lépreux, car si l’on regarde bien cette statue, il semble que le Christ lui-même est frappé par la maladie. Selon une ancienne légende, un lépreux se serait allongé sur cette croix en priant pour être guéri et la maladie se serait transférée à l’image sculptée. Christ lépreux. Christ sauveur.

Une autre image du Christ est alsacienne celle-là, qui est celle du retable d’Issenheim à Colmar. Ce grand retable était destiné à orner l’église des moines antonins d’Issenheim qui soignaient ceux qui étaient frappés du mal des ardents. Le Christ est représenté là aussi frappé du même mal que ceux qui se tournent vers lui pour se confier à lui, pour lui confier leur désespoir, leur envie de guérir.

Le Christ représenté parmi les malades, jusqu’à le représenter lui-même comme malade, comme impur même, nous rappelle combien il nous a aimés en se faisant chair. Jusqu’où il s’est fait proche de nous. Descendu depuis le Ciel où il était avec le Père, pour nous rejoindre, nous qui sommes parfois malades, qui voyons tellement de malades autour de nous. Oui, il vient nous rejoindre, jusque dans les chambres d’hôpital, dans les services qui nous font le plus peur, ou que nous trouvons les plus honteux. Jusque auprès des lits de ceux qui ne peuvent plus se lever.

Même dans ce qu’il y a de malade en nous. Même dans ce qu’il y a d’impur en nous, de pécheur. Nos ténèbres intérieures. Il est même venu pour cela, d’abord. Pour nous en délivrer. Pour nous sauver. « Si tu le veux, tu peux me purifier, Seigneur ». « Je le veux, sois purifié ».

Alors ne craignons pas de nous approcher de lui, le Christ des lépreux et des impurs, avec toutes les lèpres qui sont les nôtres. Les lèpres du corps, les lèpres de l’âme. Ce qui nous ronge. Venons le cœur léger vers le Sauveur du monde, celui que nous allons recevoir à présent. Celui qui invite tous ses enfants à la table de son royaume, malgré notre impureté, malgré notre infidélité, malgré notre péché.

C’est ainsi que, laissant notre chair et toute notre vie s’acclimater à Dieu, nous deviendrons petit à petit ce que nous sommes appelés à être. Non pas des purs, fiers de ne plus être des impurs.

Mais des saints.