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Noël 2020 B

Fr Denis Bissuel op

Messe de la nuit : Lc 2. 1-14

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi. Et une parole s’est faite entendre au creux de nos hivers, dans les veilles de nos nuits : N’ayez pas peur, voici que je vous annonce une Bonne Nouvelle, c’est une grande joie. Frères et sœurs, une lumière dans la nuit, une parole de réconfort, voilà ce que nous avons besoin de voir et d’entendre et qui nous est offert en cette nuit de Noël. C’est une Bonne Nouvelle pour tous et pour chacun, qui n’est pas réservée à quelques privilégiés, aux prétendus sages ou aux intelligents.
Cette Bonne Nouvelle la voici : aujourd’hui Dieu vient habiter parmi nous pour toujours parce qu’il nous aime et que l’amitié ne peut s’accommoder de barrières ou de grandes distances. Aujourd’hui, cette nuit, Dieu se fait l’un de nous. Il se donne à nous comme sa Parole ; le Verbe se concentre, prend corps, chair humaine sous les traits étonnants et pourtant familiers d’un petit enfant. Oui, clame le prophète, un enfant nous est né, un fils nous est donné, pour que nous devenions des frères. Et la terre et le ciel enfin réconciliés unissent leur voix pour proclamer sa gloire et sa louange, car il est le Messie de Dieu, fils d’Abraham, fils de David, et Fils de l’Homme. Notre foi est liée à cette réalité concrète de l’Incarnation.
Vous pouvez le reconnaître à ce signe : un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Amour de Dieu, humour de Dieu. La gloire est pour le moins ténue et surprenante. Un enfant fragile et dormant dans du foin, mais où est donc le Messie proclamé ? Un homme défiguré suspendu à la croix, où est le Fils de Dieu ? Où est-il donc ce roi des juifs qui vient de naître ? Es-tu vraiment celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? On aurait préféré pour nous défendre et nous sauver un Messie plus digne, plus musclé, plus triomphant, plus convaincant, et plus efficace !
Le Fils bien-aimé naît dans la mangeoire car il n’y a pas de place ailleurs. Le fils de l’Homme n’a pas où reposer la tête. Il vient au monde sur la paille, il finira sur le bois de la croix. La folie de la croix est folie de la crèche.
Déjà les commentaires vont bon train et l’emportent largement sur l’événement lui-même. Des témoins s’interrogent, bergers de la contrée, veilleurs de la nuit, saisis par tout ce qu’ils ont vu et entendu, ils frissonnent, prophétisent, annoncent la nouvelle. Un vieillard, Syméon, s’extasie devant l’enfant. Ses parents s’émerveillent de ce qu’on dit déjà de lui. La Parole se répand, elle est livrée à tous et à tout vent, aux doutes et aux sarcasmes, ballotée comme Moïse dans son frêle panier sur les courants du Nil.
La rumeur grandit, joyeuse et menaçante. L’enfant trouble et inquiète. Le roi Hérode s’agite, veut mettre la main dessus, mais joué par les mages, ces étrangers païens, il se livre à un massacre en tuant dans Bethléem tous les enfants de moins de deux ans. Le monde a peur du nouveau-né, sa tête est déjà mise à prix.
Et toi, Marie sa mère, qui médites toutes ces choses, une épée te transpercera le cœur. Le Messie ton enfant sera serviteur et souffrant. Sa route sera jonchée d’épines. On le dira agitateur, blasphémateur. On le croira possédé ou fou. Bientôt les autorités politiques et religieuses, empereurs et pontifes, le livreront. Mais lui passe au milieu d’eux et poursuit son chemin, ouvrant les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, relevant les accablés et proclamant l’amour et le pardon de Dieu. Entrant dans notre histoire, il manifeste en paroles et en actes que Dieu est avec lui, il donne corps à la promesse des prophètes d’Israël, il est l’Emmanuel, Dieu avec nous.
Allons donc nous aussi, à Bethléem, approchons de la crèche où tout est simple et pauvre, à notre portée, déposons nos fardeaux et lâchons prise devant celui qui est sans grandeur ni éclat. Là se trouve la vraie nourriture, Parole de vie, Pain vivant offert en abondance. Il repose, enfant, dans une mangeoire étroite, lui qui nous appelle à marcher avec lui vers les larges espaces du Royaume. Il ne trouve pas de place dans les hôtels, lui qui se prépare une place dans le cœur de chacun. Il s’est laissé enserrer dans les langes et les bandelettes, lui qui vient délier nos mains et nos pieds pour nous mettre debout, en route, libres et confiants. Eveille-toi, toi qui dors, Le jour est déjà avancé, le jour est arrivé.
Et l’écho rebondit jusqu’au soir de la croix et au matin de Pâques dans le jour commençant. Quand la Parole surgira du trou vide et béant du tombeau, annoncée par quelques femmes comme bonne et joyeuse nouvelle du premier-né d’entre les morts, alors notre nuit de Noël prendra tout son sens.
Fêter Noël, c’est se laisser habiter par la joie quand bien même notre inquiétude peut grandir devant les risques et les périls qui nous menacent aujourd’hui et menacent notre maison commune. Fêter Noël, c’est accueillir la Parole et s’en nourrir, la porter, la ruminer, pour l’enfanter à notre tour dans l’amitié, l’amour offert et partagé ; c’est œuvrer pour la justice et la paix, pour une terre plus humaine et fraternelle, véritable demeure de Dieu. Fêter Noël, c’est témoigner que l’espérance prend corps, que le Royaume est déjà là comme un germe fragile dont il faut prendre soin, c’est proclamer dans la nuit de nos errances et de nos doutes le nom de cet enfant : Emmanuel, Dieu avec nous ! Amen !

Messe du jour : Jn 1. 1-18

Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le messager de la Bonne Nouvelle qui annonce le salut. Réjouis-toi Jérusalem, clame le prophète, quitte ta robe de tristesse et de misère, car le seigneur vient te relever, te consoler, lève les yeux et regarde. Ces paroles insistantes, prophétiques, nous les avons lues et entendues tout au long de l’Avent. Elles sont Paroles de Dieu, elles traversent l’Ecriture de part en part comme une flèche qui nous indique la route à suivre, ce vers quoi nous devons lever les yeux.
Nous les avons écoutées, nous avons cheminé, et nous voilà ce matin de Noël rassemblés, pour célébrer dans la joie et l’allégresse la Parole qui devient événement, qui naît dans notre chair. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. Quel mystère !
Nous célébrons ce matin Noël, un événement, un avènement, la nativité de notre Sauveur. Comme les bergers plongés dans la nuit, nous avons entendu, nous voulons en savoir plus, nous voulons aller voir. Nous nous rassemblons et nous avançons, confiants et tremblants, nous tournons nos regards, émerveillés et intrigués, devant un tout petit enfant.
Il est là, offert à nous sur la paille parce qu’il n’y avait pas de place ailleurs quand arriva le jour où Marie devait enfanter. Le Fils bien-aimé, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs repose, emmailloté et couché dans une mangeoire, sous le regard attendri de Marie et pensif de Joseph, et entouré d’un paisible ruminant et d’un âne sympathique qui, selon la prophétie d’Isaïe, surent reconnaître en cet enfant leur patron et leur maître, contrairement au peuple qui avait plus de difficultés, comme nous…
Ce matin nous nous laissons conduire pour reconnaître à notre tour en cet enfant de Bethléem un signe de Dieu, plus encore une Parole à entendre, la Parole, le Verbe de Dieu qui se donne à voir, à contempler, et même à toucher de nos mains. Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, proclame Jean l’évangéliste. Nous n’en finirons pas de nous émerveiller et de nous interroger devant un si grand mystère. Nous sommes là, gens ordinaires et d’horizons divers, adultes ou enfants, sans régresser vers un infantilisme gâteux, nous nous inclinons devant l’enfant Jésus, et en nous inclinant nous adorons le Verbe fait chair, l’incarnation même de la Parole de Dieu.
Dieu parle, Il a parlé depuis les origines, Il s’est révélé aux temps anciens en parlant aux patriarches, Il a parlé par les prophètes, Isaïe et bien d’autres, sous des formes fragmentaires et variées, mais aujourd’hui, en ces jours où nous sommes, Dieu nous parle par son Fils.
Aujourd’hui Dieu nous dit son dernier mot ; en son Fils bien-aimé, Dieu se révèle pleinement à nous, Il nous donne sa Parole, ultime, salvatrice et unique, proclamée une fois pour toutes, définitive : son Fils, en qui Il a mis tout mon amour, reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite de son être. En lui le salut annoncé est arrivé, les promesses sont accomplies, Amour et Vérité se rencontrent.
Loin des flots incessants des propos verbeux et des logorrhées qui nous engloutissent, la Parole, le Verbe de Dieu vient à nous, source d’eau vive, lumière pour la route. Écoutons-le, contemplons-le, adorons notre Sauveur.
En entrant dans notre monde, le Fils parle et répond, faisant siennes les paroles du psalmiste : Tu ne voulais ni sacrifice ni victime, tu m’as façonné un corps, alors j’ai dit : voici je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté. Il est venu dans le monde pour faire la volonté du Père, révéler son amour pour les hommes, rendre témoignage à la Vérité.
Nous aimerions parfois que les évangiles soient plus explicites voire plus concrets pour nos intelligences embrumées. Nous n’aurons rien de plus explicite ni de plus concret que cet enfant qui repose dans la crèche.
Pour comprendre un peu plus il nous faut suivre et accompagner Jésus jusqu’au bout de sa vie, de la crèche à la croix, avec des yeux et un cœur neufs, ruminant sa parole, contemplant son mystère. Car il est la réponse de Dieu à nos demandes, à nos questions et à nos cris. Dieu ne s’impose pas, il s’offre à nous, patiemment. Nous devons l’écouter et l’adorer, patiemment Il restera toujours pour nous quelque chose de caché dans cette révélation d’un si grand mystère enveloppé de silence aux siècles éternels. L’essentiel ne peut être dit. La Vérité ne se délivre que comme signe, signe d’humilité. C’est ainsi qu’elle nous rend libre.
Nous pouvons nous lever, répondre à son appel ou rester sourds. Les siens ne l’ont pas accueilli, mais ceux qui ont cru en lui ont reçu grâce après grâce, ceux qui l’ont reçu, eux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu.
En ce jour de grâce, réjouissons-nous, célébrons dans la joie l’avènement de notre salut : le Sauveur du monde, en naissant aujourd’hui, nous a fait naître à la vie divine.