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Solennité du Christ Roi A

Fr Cyrille Jalabert op

Comment le Christ règne-t-il ?

Matt 25. 31-46

Nous avons entendu hier soir, avec Sr Pascale-Dominique, où se trouve le Royaume de Dieu : dans les pauvres, dans les petits. Et comment le Christ exerce-t-il sa royauté sur le monde ? Les gouvernements humains font tous plus ou moins peser des obligations sur les peuples par des lois ou des impôts. Avec Jésus, c’est différent ; il a indiqué sa manière de gouverner : « Une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » (Jn 12, 32)
Il a été élevé. Sr Maya m’a indiqué hier, en préparant la messe d’aujourd’hui, dans un de ces raccourcis théologiques que nous offre parfois la liturgie : « C’est curieux, j’aurais cru que pour le Christ-Roi la chasuble serait rouge et non pas blanche.» De fait, Jésus siège sur son trône de gloire, celui sur lequel, vrai Dieu et vrai homme, il est assis, à la droite du Père. C’est le blanc. Mais il a aussi été élevé sur le trône de sa croix : c’est le rouge. De là où il a été élevé, il nous attire par sa puissance (par les signes et les prodiges qu’il a accomplis pendant sa vie terrestre et qu’il réalise encore aujourd’hui dans nos vies) et par sa miséricorde qu’il manifeste sur la croix. Au fronton des cathédrales, il est représenté sur son trône, dans sa gloire, entouré de ses anges, et il montre ses plaies et les instruments de sa Passion. Car notre roi de gloire est un roi de miséricorde dont la croix est le sceptre.
Dans cette page d’Évangile, il n’est pas fait mention de la foi, de la prière ou de l’amour pour Jésus, mais uniquement d’œuvres de justice et de miséricorde. Nous avons tendance à y voir la porte étroite, à trembler en nous demandant : « Ai-je fait assez de bien ? » Certains pensent même : « Finalement, la messe ce n’est pas si important, l’essentiel ce sont les œuvres de justice, les œuvres sociales. » En réalité, selon moi, cette évocation du jugement dernier nous indique que Jésus ouvre les portes de son Royaume à tous les hommes qui aiment le bien ; aux chrétiens, mais aussi à ceux qui aiment le bien sans savoir qui est le Christ, car Dieu est lui-même le Bien suprême.
Saint Bernard, dans son 20e sermon sur le Cantique des Cantiques, dit en substance que ceux qui sont attachés à l’humanité du Christ font bien, mais qu’un autre amour permet de s’unir au Verbe-justice. Dans un esprit platonicien, il est bien d’être attaché à l’humanité du Verbe, mais c’est mieux d’aimer le Verbe sans garder d’attaches charnelles : « Une telle ferveur à l’égard de la chair du Christ est un don de l’Esprit et même un grand don. Pourtant je qualifie cet amour de charnel, du moins par rapport à cet autre amour, qui ne nous fait plus goûter le Verbe chair autant que le Verbe sagesse, le Verbe justice, le Verbe vérité, sainteté, pitié, vertu et tout ce qui peut se dire de semblable. » J’ignore si saint Bernard pensait à la page d’Évangile qui nous est donnée aujourd’hui par l’Église, il ne l’évoque pas, mais ça correspond bien. Ce propos peut nous paraître incompréhensible, car nous n’envisageons pas de distinguer notre amour pour l’humanité du Christ de notre amour pour le Verbe éternel puisque c’est la même personne. Comprenons bien saint Bernard. Il ne s’agit pas d’être seulement attaché à Jésus et lui dire « Seigneur, Seigneur », mais aussi d’aimer la justice, la vérité et la miséricorde au point de faire spontanément « la volonté du Père ». Il serait vain d’opposer l’amour de la justice et l’attachement à Jésus, puisqu’il est la source de toute justice. Il convient de concilier les deux et ainsi de sentir l’universalité de l’appel du Seigneur : puisque la justice est une vertu humaine, elle peut attirer tous les hommes, même les non-chrétiens, même le bon larron : « Pour nous, c’est juste, nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal. » (Lc 23, 41) Puis il appelle sur lui la miséricorde : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras avec ton Royaume. » (Lc 23, 42)
Le Christ règne sur tout l’univers en nous attirant (vers lui qui est le bien) par tous les moyens auxquels nous nous montrons sensibles. Nous ne sommes pas contraints à vivre comme des marionnettes qu’il contrôlerait. Nous sommes attirés en tant qu’être libres.
Vous le savez, j’ai eu, à Damas, il y a 21 ans, un grave accident. Je circulais à vélo, j’ai été heurté par une voiture. Je gisais inconscient au bord de la route. J’ai été ramassé par un jeune homme de 19 ans. J’espère qu’au jour du jugement il pourra dire : “Mais quand t’ai-je vu gisant sur le bord de la route et suis-je venu à ton secours, moi qui ne te connaissais pas ? ” et que, pour ma joie, il s’entendra répondre : “Quand tu as fait cela à Cyrille, c’est à moi que tu l’as fait.” J’espère que nous nous retrouverons dans le Royaume où nous aura fait entrer le Christ.
Certains se demandent peut-être : s’il suffit d’être attiré par le bien, pourquoi prier ou aimer Jésus ? Le Christ nous donne les moyens de nous approprier son Royaume, par l’amour fraternel ou la justice et aussi par la prière, les sacrements et l’Église. N’opposons pas les deux, utilisons-les, au contraire. Recevoir la grâce par les sacrements nous rend plus sensibles, plus réceptifs à l’attrait du bien, plus adaptés et plus imaginatifs pour la justice et la charité. Nous à qui beaucoup de moyens sont donnés pour devenir membres actifs du Royaume de Dieu dès cette terre, ne méprisons pas ces moyens. Allons vers nos frères, vers nos sœurs et tournons-nous vers le Verbe Incarné, vers Jésus, Roi de l’univers qui attire à lui tous les hommes, afin de puiser auprès de lui la force nécessaire et la charité qu’il nous communique dans l’Eucharistie.