Close

20ème Dimanche du TO A

Fr Maxime Allard op

Mt 15, 21-28

La liturgie de la parole nous offre trois figures de la foi, trois manières d’être dit « croyant ». Mais ces trois expériences des dons miséricordieux de Dieu, ne sont pas habituelles à bien des gens. Elles viennent peut-être mettre à mal notre manière de nous dire croyants, de penser ce qu’est la foi, d’envisager comment elle devrait être vécue, reconnue, partagée, proclamée. Et pourtant, ces manières étranges d’être reconnu croyant sont essentielles pour que nous soyons en vérité le Corps du Christ, l’Église de Dieu.
La première figure provient de la proclamation d’Isaïe. Sans prévenir, des étrangers sont reconnus par Dieu comme faisant partie de son peuple, comme bénéficiaire de sa bénédiction, comme « chez eux » dans le Temple ! Cela a dû résonner étrangement aux oreilles de bien des pieux et bienpensants auditeurs du prophète. « Quoi, des étrangers, aux mœurs étranges, différentes, avec une langue mal sonnante, des accents déplacés ! Quoi, les laisser pénétrer dans le Temple ? Faire résonner les louanges dans ces langues barbares ? Le prophète délire… Non, il ne délire pas. Il croit qu’il s’agit d’une question de justice. Relisez, cette semaine, le début de la première lecture.
Sans cette proclamation d’Isaïe, sans la lente ouverture de l’Église de Dieu aux non-Juifs qu’on découvre dans les Actes des Apôtres, vous et moi ne serions pas ici, ce matin, à écouter dans notre langue l’Évangile de Dieu. Mais ne nous racontons pas d’histoire. Vous et moi, parfois, nous peinons à reconnaître dans la foi vécue par de nos frères et sœurs étrangers à la langue ou aux mœurs de la « douce France », la foi dont nous disons vivre. Quelle place leur faisons-nous dans nos assemblées, dans la vie de notre Église ? Des étrangers qui prient…
La seconde figure provient de la proclamation de l’Évangile. La Cananéenne est croyante. Sa foi est déclarée grande ! Pourtant, elle n’est pas d’Israël, pas même une brebis perdue de la maison d’Israël. Elle vit dans un territoire traditionnellement ennemi d’Israël. Les Juifs ne considéraient guère ces étrangers avec ménagement. Pourtant, cette femme à l’enfant tourmenté par un démon crie sa foi par tous les pores de son être. Elle la crie, pour commencer. Au point où Jésus ne daigne pas lui répondre et que les disciples sont irrités par ces cris. Elle crie en disant sa demande. C’est vif, passionné. Ça ne semble pas très articulé… c’est d’autant plus troublant, dérangeant. Pourtant devant les jeux métaphoriques de Jésus qui tente d’esquiver sa demande, on découvre cette femme tourmentée par le mal de sa fille capable de rétorquer, de répliquer, de jouer, elle aussi, aux jeux de la rhétorique ! Elle dit. Et elle dit bien. Au point d’être entendue et sa foi reconnue.
Savons-nous entendre la foi dans les cris de nos frères et sœurs qui semblent peiner à bien articuler leurs douleurs et leurs demandes ? Savons-nous le faire ou sommes-nous trop policés, trop bien élevés pour nous adresser au Seigneur de la sorte ? Quelle place ont les cris de la foi dans la vie de nos Églises ? Une étrangère qui crie….
La dernière figure est peut-être plus étrange encore. Plus éloignée de nos modes de penser la foi… Des gens qui croyaient jadis, naguère encore, refusent désormais de croire. D’autres croient à leur place. On se dit, nous nous disons : « ils n’avaient qu’à croire, qu’à continuer de croire aux dons irrévocables de Dieu ! Tant pis pour eux ! » L’étrange jeu de la miséricorde de Dieu déjoue nos attentes. Certes, les Juifs d’alors ont refusé de croire Jésus, de le croire Messie ; certes des gens refusent encore de croire aujourd’hui. Dieu nous attend là, précisément là : nous pouvons rendre grâce de ce que désormais nous sommes admis à croire alors que nous semblions, jusqu’à la proclamation d’Isaïe, étrangers aux promesses faites à Abraham. Mais, il nous est demandé, parce que nous croyons, de les exciter à croire. Nous partageons le ministère de Paul : on ne peut se satisfaire d’un refus. L’annonce de l’Évangile doit leur parvenir de telle sorte que croire leur redevienne une possibilité désirable, excitante, irrésistible. Mais savons-nous encore rendre la foi excitante, étrange, intrigante pour surprendre autrui ? Des croyants excitants…
Dernier tour d’écrou. Ces figures dispersées dans la Parole de Dieu du jour et au fil de l’histoire du salut, elles ne concernent pas seulement les autres, les étranges, les criards et les criardes, ceux et celles qui tiennent la place de qui aura refusé de croire. Car avouons-le, certains jours nous sommes étrangers, étrangères ; on se retrouve dans l’Église, au cœur de l’écoute de la Parole et du partage du pain et de la coupe, et nous nous sentons étrangers. Certains autres jours, les mots habituels de la foi ne nous semblent plus capable d’habiller nos douleurs, nos demandes de justice, de pardon ou de vie. Certains jours, enfin, n’y a-t-il pas en nous quelque chose du refus de croire, de l’attente qu’un frère ou une sœur nous excite à croire de nouveau ?
Le corps du Christ est composé d’hommes et de femmes de tous ces horizons. Étrange corps. Mais c’est lui dont nous recevons la garde lorsque nous communions au Pain et à la Coupe. C’est ce corps en croissance que l’Esprit du Christ rassemble… malgré nos lenteurs à nous y retrouver ou à laisser autrui s’y retrouver. C’est ce corps que nous formons lorsque nous balbutions nos professions de foi.