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Solennité de l'Assomption 2020

Fr Maxime Allard op

Depuis le matin de Pâques, depuis la Résurrection du Christ Jésus, une espérance traverse et travaille l’Église… et le monde. Depuis notre baptême, de manière sourde parfois, criante d’autres jours, cette même espérance, résonne en nous et sert d’horizon à nos vies.
Cette espérance noue ensemble deux versants, deux aspects, deux fils. Le premier, l’injustice n’a pas nécessairement le dernier mot dans le monde ; des systèmes injustes ou oppresseurs peuvent être mis en question et ébranlés. De l’inouï peut surgir… Le second fil tient proprement à la résurrection et à la vie éternelle, autrement dit, il tourne autour de la communion avec Dieu et entre nous mais selon un régime inédit qui dépasse les bornes de l’imagination humaine.
L’espérance pascale, sur le premier versant, à l’orée de l’Évangile selon saint Luc, nous l’entendons résonner déjà. Cette espérance est mise sur les lèvres d’une jeune fille encore sous le choc, sous le charme d’une annonce inattendue de salut. Marie, une jeune dans un coin perdu, exulte et chante en réponse à la salutation d’Elisabeth : « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour. » Se lient, dans ce cantique, le salut apporté à la jeune Marie, certes, mais surtout, celui qui bouleverse le monde, ses manières de faire et ses attentes. Imaginez ce monde nouveau. Imaginez le moment révolutionnaire pour qu’il advienne. Et que cela ne soit pas le fruit d’exaltés anarchistes mais de Dieu, lui-même, fidèle à ses promesses ! Les puissants par leur pouvoir, leur argent ou leurs savoirs, tremblent aujourd’hui encore lorsqu’ils entendent ceci. Ce cantique, l’Église le met quotidiennement sur les lèvres et dans les oreilles de milliers de baptisés. L’espérance qu’il porte sert, en quelque sorte, de caisse de résonnance pour l’Évangile de Dieu tout entier qui sera proclamé par le fruit des entrailles de cette jeune Marie. De cette espérance, des milliers de personnes en ont vécu au fil des siècles et en vivent encore. Elle est scellée dans la résurrection du Christ, mis à mort injustement…
Le second fil de l’espérance pascale croise le premier. En effet, les injustices personnelles et systémiques sont fort liées à la peur de la mort, à la mort donnée, subie, à la mort espérée. Derrière tous les régimes oppresseurs, l’ennemi ultime, caché, c’est la mort. Car, par crainte de mourir, on fait mourir. Par peur de la mort, on escamote l’engagement pour la justice. Par angoisse de la mort, nous sommes parfois paralysés et incapables d’aimer. Or dans la résurrection du Christ, la mort n’a plus le dernier mot ! Le Dieu fidèle est un Dieu vivant, un Dieu des vivants, qui le lui ravit : la Parole de Dieu faite chair ne se laisse pas corrompre. Certes, la mort n’est pas évacuée encore – nous ne le savons que trop – mais elle ne règne plus sans partage. Le Christ ressuscité, patiemment, étend son règne dans l’attente de l’éclipse total de la mort par la Vie de Dieu. Les frères et les sœurs du Christ osent y participer, en vivre, en faire vivre.
Ici encore, l’Église se sert de la figure de Marie pour soutenir cet aspect fondamental de l’espérance évangélique. La jeune qui avait chanté dans un cantique l’espérance de l’espérance ; celle qui avait vécue la mort de son Fils au pied de la croix, celle-là même, l’Église, dans la fête de l’Assomption, la proclame déjà bénéficiaire de la vie offerte par la résurrection du Christ Jésus. L’Église l’offre en signe de cette espérance pour nous soutenir, pour que nous tissions l’un sur l’autre les deux fils de l’espérance évangélique : la demande de justice, le travail que cela implique et l’échec de la mort.
Depuis Pâques, depuis notre baptême, à chaque célébration du mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, Fils de Dieu et fils de Marie, l’espérance ecclésiale est proclamée. Laissons-nous porter par elle. Portons-la au monde jusqu’à ce que Dieu soit tout en tous.