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1er Dimanche de Carême A

P Michel Mounier

Matt 4. 1-11

Qui d’entre nous n’a pas entendu des expressions comme : « il n’y a qu’à » ou « il faut qu’on » ou d’autres semblables. C’est vrai dans la vie politique et sociale : « il n’y a qu’à fermer les frontières » ; « il faut renvoyer les immigrés, ça fera autant de chômeurs en moins. » D’un bout à l’autre de l’échiquier politique et social que de raccourcis, de courts-circuits. Comme tout paraît simple et facile ! Mais cela est vrai aussi dans les relations interpersonnelles : « arrête de te plaindre, il y a bien plus malheureux que toi », « tu serais moins dépressif si tu t’écoutais moins, bouge-toi » ; « s’il avait mieux travaillé à l’école ou s’il avait moins bu, moins fumé, il n’en serait pas là ».
Oui, comme tout paraît simple.
Ces procédés, ces courts-circuits sont tout simplement démoniaques car inhumains. Etre un homme, une femme, ce n’est pas si simple. C’est ce que l’Ecriture met en scène pour nous aujourd’hui.
Dans la Bible cela commence tout au début. C’était trop beau, trop bon.
Le premier raccourci, le premier court-circuit, c’est la parole du serpent à Eve : « Pas du tout, vous ne mourrez pas! Mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Comme c’est efficace ! Ils mangèrent donc et virent qu’ils n’étaient que des humains. Mensonge ! Et les voilà au désert, hors du jardin.
Au désert rodent doutes et peurs. Israël en fit l’expérience, qui se mit à murmurer et se fabriqua un dieu à sa mesure. Il y a tant de déserts. Désert de la grande précarité, de la dépression, de l’insécurité affective. Plus rien n’est stable, la vie vacille, les forces manquent. La solitude est trop aride, l’insécurité physique ou psychique trop grande. N’y aurait-il pas une solution simple : « il y a qu’à » ; « il faut qu’on ». Et les marchands du temple et d’illusions rodent. Charlatans de toute sorte. « Etourdis-toi dans la consommation » ; « je connais un remède miracle ». Fascination diabolique.
C’est là qu’est conduit Jésus au désert. Immédiatement après avoir entendu lors de son baptême par Jean : « celui-ci est mon Fils bien aimé, en lui j’ai mis tout mon amour ». Il est conduit là car il est Adam, notre frère. Confronté à ses limites : la faim, le temps, la mort. Un homme, non un surhomme.
Le voici confronté aux trois paroles court-circuit de Satan : « si tu es le fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain. » « Si tu es le fils de Dieu, jette toi en bas. » « Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » C’est si simple, qu’est-ce que cela coûte ? Et tout est réglé.
Comme nous, pour espérer vivre, aimer, il lui faut consentir aux interdépendances. Il lui faut renoncer à la toute-puissance : « il n’y a qu’à », « il faut qu’on ». Là, et précisément là, surgit la Bonne Nouvelle. C’est parce que Jésus reste un homme comme nous que Satan, vaincu, s’écarte. C’est donc possible. Le fils demeure fils, d’Adam, d’Abraham, de Dieu. Satan et avec lui, les charlatans, les prédateurs, les pervers, Satan n’a pas le dernier mot. Un avenir vraiment humain, et donc divin nous est ouvert. Nous ne nous trompons pas en misant sur la banalité du bien, la générosité du cœur, la simplicité de vie, la soif de comprendre, loin de tous les simplismes et courts-circuits. Homme, vraiment homme.
Oh certes, le chemin est souvent difficile, escarpé. C’est aussi un chemin de passion, aux deux sens du mot. C’est un chemin de vie, pas de facilité. Au fil d’une vie, nous rencontrons, je l’espère, joie, espoir, bonheur. Nous rencontrons aussi maladie, malheur, déception, désespoir, peut être, passion. Puisse alors l’Esprit mettre sur nos lèvres les paroles de Jésus : « tu ne mettras pas Dieu à l’épreuve ». C’est-à-dire, tu ne lui demanderas pas de preuves, tu marcheras dans la confiance.
Marcher à la suite de Jésus nous conduira un jour ou l’autre à cette confiance au-delà de la foi, à cette espérance contre toute espérance. Marcel Perrier disait que quand l’espérance est en miettes, il reste des miettes d’espérance. Dans nos galères, rappelons-nous que Jésus nous a précédés au désert, à Gethsémani, sur la croix et qu’il est avec nous sur la route.