Close

31ème Dimanche du TO C

Fr Jacques-Benoît Rauscher op

« Zachée, descends !»

Lc 19. 1-10

Cet appel de Jésus a quelque chose de paradoxal. Généralement, quand on décrit sa relation à Dieu, une expérience spirituelle, on le fait plus volontiers en utilisant des mots et expressions appartenant au lexique de la hauteur et de l’élévation. D’ailleurs, la montagne porte vraisemblablement à la contemplation ! J’en veux pour preuve la présence de nos sœurs ici qui mettent leurs pas dans ceux de tant de consacrés d’hier et d’aujourd’hui qui ont cherché dans ces lieux élevés des places propices à la recherche de Dieu. J’en veux pour preuve aussi notre présence à tous ce matin. Nous sommes bien montés vers Chalais ! Mais, ce matin, nous sommes montés, et c’est paradoxal, pour nous entendre dire comme à Zachée : « descends ! ».
Comment comprendre cette invitation ? Pourquoi Jésus dit-il à Zachée, pourquoi Jésus nous dit-il ce matin de descendre ? Pour le comprendre, il faut peut-être déplacer la question, en se demandant : d’où faut-il descendre ? De quel arbre faut-il descendre ? Je crois que nous sommes, dans notre vie chrétienne, invités à descendre de trois types d’arbres que l’on peut déduire de ce passage de l’Evangile.

Partons tout d’abord du plus évident, du plus basique. Le nom de l’arbre où est perché Zachée nous est mentionné dans l’Evangile. L’arbre duquel Zachée est appelé à descendre est un sycomore. Le sycomore est un arbre à la fois très banal et très grand. Son bois n’est pas très bon, mais il pousse bien et partout. Pour signifier la solidité du don de Dieu, le prophète Isaïe décrit les temps nouveaux comme ceux où les sycomores seront remplacés par des cèdres. Et le prophète Amos pour souligner la pauvreté de sa condition avant le choix dont il bénéficie indique qu’il garde les bœufs et soigne les sycomores. Bref, le sycomore c’est l’arbre porteur de dualité : un arbre qui se présente grand, mais qui n’est pas très solide. De ce fait, on comprend l’attachement de Zachée à cet arbre. Cet arbre, c’est pour Zachée un lieu qui permet, à peu de frais, de se donner une impression d’altitude. Le sycomore de Zachée, c’est le lieu de la misère compensée. La misère de sa petite taille. La misère de son exclusion sociale malgré sa richesse économique. Ce sycomore « cache-misère » nous y montons tous à notre manière. En effet, il arrive que le monde des hommes nous fasse peur, que nous hésitions à nous montrer petits devant nos semblables. Alors, nous préférons grimper dans l’arbre, nous abstraire de la société des autres, les regarder de loin, peut-être les regarder de haut. Descendre de ce sycomore qui nous préserve des autres et de nous-mêmes, c’est d’abord revenir les pieds sur Terre. C’est admettre que nous sommes de la terre et que nous retournerons à la terre, c’est laisser tomber les masques de nos suffisances, c’est admettre que nous ne sommes pas bien différents des autres.

Mais on peut voir dans l’arbre de Zachée un autre arbre que le simple sycomore « cache-misère ». L’arbre de Zachée pourrait nous renvoyer à l’arbre de la Genèse, l’arbre du fruit défendu, l’arbre qui nous éloigne pas seulement des autres mais de Dieu. Dans le jardin d’Eden, Adam et Eve pouvaient entrer en relation directe avec Dieu, quand Dieu s’y promenait à la tombée du soir. Mais ils ont choisi de ne pas entrer en relation avec Lui, de se cacher à cause des fruits d’un arbre qui les a séduits. L’arbre duquel Zachée est appelé à descendre, c’est cet arbre aussi. L’arbre qui conduit l’homme à se contenter de voir Dieu passer ; l’arbre qui permet de se cacher quand Dieu passe et de ne pas entrer en relation avec Lui. Cet arbre-là, nous le connaissons tous bien. Souvent, nous aussi, nous nous contentons de regarder Dieu passer. Nous dissertons, plus ou moins doctement, sur nos convictions, sur la Parole de Dieu, sur la Tradition de l’Église… Nous admirons les pierres de nos sanctuaires, légués par les générations passées… Nous nous émerveillons devant la beauté de la musique qui porte notre prière… nous nous laissons bercer par le ronron de notre vie commune… Nous gérons ce qu’il y a à administrer pour l’organisation de nos communautés, de nos paroisses, de nos œuvres caritatives. Et tout cela est très beau. Dans toutes ces expériences esthétiques, intellectuelles, organisationnelles ou solidaires, nous pouvons effectivement voir Dieu passer. Mais, comme Zachée, il nous faut consentir à un pas supplémentaire. Jésus nous demande, nous demande à tous, de ne pas nous contenter de Le regarder passer ! Comme pour Zachée, il veut plus pour nous. Il nous redit : « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison ! ». Il nous faut descendre de l’arbre pour rencontrer Dieu, Le rencontrer LUI directement, dans notre maison.

« Zachée, descends ». L’arbre dont il nous faut descendre est le sycomore « cache misère » de notre quotidien. C’est aussi l’arbre de la Genèse, qui, de manière plus tragique nous conduit à ne plus entrer en relation avec Dieu, à nous cacher quand Il passe. Mais, plus fondamentalement encore, l’arbre dont il nous faut descendre, c’est l’arbre de la Croix. Il nous faut descendre de ce troisième arbre, de cet arbre sur lequel Dieu fait homme a été mis à mort. Le plus grand obstacle dans notre marche vers Dieu est souvent notre manque de confiance en l’homme, en nos semblables et surtout en nous-mêmes. L’arbre dont il nous faut descendre est celui sur lequel nous mettons à mort Dieu fait homme, l’humanité par laquelle Dieu nous rejoint. Souvent, nous ne pouvons supporter l’idée que Dieu nous rejoigne par ces autres hommes d’hier et d’aujourd’hui qui sont si humains, trop humains. Nous ne pouvons supporter l’idée que Dieu vienne habiter nos petites maisons si encombrée du poids de notre humanité. Alors nous montons sur des sycomores pour éviter les autres. Nous montons dans ces arbres de l’Eden pour nous cacher. Et finalement, nous mettons à mort sur le bois de ces arbres l’homme-Dieu, l’humanité par laquelle Dieu ne cesse de vouloir nous rejoindre.
Descendons de cet arbre de la Croix. Descendons, comme le Christ en est descendu, pour se tenir debout, ressuscité. Si nous consentons à descendre avec Lui, nous pourrons, comme Zachée non plus cacher notre petitesse par des arbres orgueilleux, mais nous tenir au milieu des autres « debout, bien droits », dans l’attitude même des resssucités, c’est-à-dire dans la joie d’être membre d’une humanité que Dieu a saisie.

Sœurs et frères, on nous dit des premiers dominicains qu’ils sont entrés dans l’ordre pour descendre les échelles de l’humilité. En ce dimanche, mettons nos pas dans ceux de Zachée et dans les leurs. Entendons le Christ nous dire : « descends », quitte tous ces arbres qui te coupent des autres, de la compagnie de Dieu et finalement qui ne te permettent pas de découvrir la beauté de ton humanité sauvée. Descends pour t’exposer, pour grandir dans cette sensibilité dangereuse qui est la condition de l’amour. Descends ! Une expérience que je nous souhaite à tous. A nous qui allons redescendre de Chalais. A vous, mes sœurs, qui resterez sur la montagne. Bonne descente à tous ! Bon chemin vers la sainteté !