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Vendredi Saint 2019

Méditation du Frère Michel Lacheneau op

DIEU L’A RESSUSCITE CE JÉSUS QUE VOUS AVEZ CRUCIFIE

La mort de Jésus ne peut être isolée de la vie qui la précède et l’éclaire, comme de la résurrection qui lui donne son sens.

Mort sans être ressuscité, Jésus n’aurait été que l’un des nombreux prophètes martyrs comme tant de causes en comptent dans le monde. Mort et résurrection forment les deux volets de la nouveauté chrétienne, du mystère pascal

Il faut d’abord souligner que Jésus n’est pas mort, il a été condamné à mort. Ce n’est pas un prophète mort de vieillesse que Dieu a ressuscité, mais c’est quelqu’un dont l’exécution avait été décidée par les plus hautes autorités religieuses et qui a été mis à mort comme un criminel. Mais qu’est-ce qui a conduit à cette condamnation ?

Jésus meurt pour le témoignage qu’il rend à Dieu

Jésus dans sa prédication, mais plus encore dans son comportement quotidien révèle un nouveau visage de Dieu. En prêchant que Dieu est là pour tous ceux qui se convertissent et espèrent, et spécialement pour tous ceux qui se croient exclus de sa miséricorde, le Christ entre inévitablement en conflit avec l’ordre religieux établi. En effet, pour les autorités religieuses (grands prêtres), et pour l’élite religieuse (pharisiens), à cause de la sainteté de Dieu qui hait le péché, il faut se séparer des pécheurs. Cette séparation se fonde sur la Loi de Moïse et son interprétation. Les notions de séparation du pur et de l’impur (santé-maladie, péché-sainteté) jouent un rôle considérable dans la vie quotidienne. Il est interdit de se faire inviter à la table des païens et des pécheurs publics. Les rabbins affichent le plus grand mépris pour le petit peuple qui est pécheur puisqu’il est incapable d’observer la loi et ses nombreux commandements. Rappelez-vous la réponse des pharisiens aux gardes qu’ils avaient envoyés pour arrêter Jésus : « Auriez-vous été abusés vous aussi ? Parmi les notables ou parmi les pharisiens en est-il un seul qui ait cru en lui ? Il y a tout juste cette masse qui ne connaît pas la loi, des gens maudits » (Jn 7, 48-49) C’est donc au nom d’une certaine image de Dieu que l’on rejette l’autre. Tout le comportement de Jésus va dans le sens opposé.
Jésus est perçu comme un glouton et un buveur qui fait la fête avec les pécheurs (Mt 11, 19 ; Lc 7, 32), qui accueille tous ceux que la société exclut : malades, lépreux, prostituées, usuriers notoires. Jésus va vers eux, mange avec eux, manifestant qu’il se fait leur allié. En mangeant avec les pécheurs, Jésus remet en question tout l’équilibre religieux. Il ose prendre la place de Dieu qui pardonne et comme Dieu va à la recherche de ce qui est perdu. Ses opposants perçoivent bien le sens profond de telles fréquentations.

Son attitude bouleverse les êtres qu’il rencontre, elle les met debout et ouvre devant eux une vie nouvelle. Pensez à Zachée (Lc 19, 1-10), exclu à cause de son métier et de ses malversations. Jésus n’a mis aucune condition pour venir chez lui, il partage la table avec lui, alors que dans le judaïsme, la table est le premier lieu d’exclusion (Mc 2, 13-17). Il accueille la syrophénicienne (Mc 7, 24-30), parle avec la Samaritaine, gens exclus de par leur naissance. Certes, Jésus n’a pas envisagé de mission systématique chez les païens, mais quand il rencontre la foi chez certains d’entre eux, il les aide sans leur demander autre chose. Il réintègre dans la société ceux qui sont exclus au nom de la Loi, comme les lépreux (Mc 1, 40-45 ; Lc 17, 11-19) et ne s’embarrasse pas des interdits. Jésus, tout en prétendant que Dieu hait le péché, prétend en même temps que Dieu aime les pécheurs et les appelle au salut par le moyen de la conversion (Lc 15, 4-7). L’exigence majeure pour lui est la repentance, alors il affirme le pardon immédiat de Dieu (Mc 2, 5). Ce pardon de Dieu, Jésus l’exprime à travers tous ses gestes de bonté. Il témoigne d’un visage de Dieu qui est amour.

C’est donc parce qu’il a pris le parti du petit peuple, de ces pauvres exclus par une certaine interprétation de la Loi que Jésus est condamné comme blasphémateur. Jésus est venu nous libérer, son fardeau est léger. Le sabbat est fait pour l’homme, non l’homme pour le sabbat. Pareils propos remplissent de fureur, Pharisiens et Hérodiens qui cherchent à le perdre (Mc 2, 23- 3, 6). En effet, Jésus a bien la prétention de retrouver la véritable intention de Dieu par delà les traditions pharisaïques qui l’obscurcissent, par delà la Loi de Moïse elle-même qui fut donnée en raison de la dureté du cœur. Jésus ne méprise pas la loi, mais il a la prétention de donner le sens profond de la Loi. Ses auditeurs sont frappés par son autorité, il parle « comme un homme qui a autorité ». Cela a un sens précis. Cela veut dire qu’il ne se réfère pas à quelqu’un d’autre. Il parle de sa propre autorité. Il ne s’appuie sur aucune tradition, quand il interprète la loi de Moïse (Mc 10, 1-11). Ce comportement est d’une prétention exorbitante. Ne va-t-il pas jusqu’à dire : « On vous a dit ; moi, je vous dis » (Mt 5, 21-22) Quel est cet homme qui se met au-dessus de la Loi ?

Voici donc le sens profond du procès fait à Jésus : quel est le vrai visage de Dieu, est-ce celui qui apparaît à la lecture de la Loi ou est-ce celui que prétend révéler Jésus ? Si Dieu lui rend justice c’est donc que son témoignage est vrai. C’est bien ainsi que sera interprétée la résurrection.

Jésus révèle aussi un nouveau visage de Dieu, car il manifeste vis-à-vis de Dieu un rapport d’intimité unique. Il a conscience d’être dans un rapport très spécial avec Celui qu’il appelle « son Père ». Il vit son existence quotidienne en présence de Dieu. Tout lui fait penser à Dieu, lui parle de Dieu. Rappelez-vous sa façon de parler en paraboles (la fleur des champs, le geste du semeur, la file des chômeurs, le geste de la ménagère…). Il passe par ailleurs de longues nuits en prière (Mc 1, 35 ; 6, 46 ; Lc 6, 12). C’est surtout dans sa façon d’appeler Dieu « Abba » qu’apparaît sa conscience filiale. Certes, ce mot n’était pas complètement inconnu des rabbins, mais chez Jésus, ce mot jaillit spontanément, sans explication (Mc 14, 36). Chez Luc, la dernière parole de Jésus mourant, « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46), rejoint la première parole prononcée dans le Temple, « C’est chez mon Père que je dois être) ( Lc 2, 49). Il est difficile d’entrer dans cette intimité de Jésus : « Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le fils, si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le fils, et celui à qui le fils veut bien le révéler (Mt 11, 27). Jésus, pour expliquer qui est Dieu pour lui, fait appel à l’expérience humaine d’une profonde entente entre un père et un fils qui se connaissent intimement. Quand Jésus se veut témoin d’un Dieu de miséricorde, c’est parce que lui-même a fait l’expérience de la tendresse de Dieu. Sa façon de prier a frappé ses disciples : « Apprends-nous à prier ». Les premières communautés ont gardé dans leur liturgie le mot « Abba » et Paul y verra le spécifique du chrétien « oui, vous êtes vraiment ses enfants ». La preuve, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, l’Esprit qui nous fait dire « Abba ! Père ! » (Ga 4, 6). Notre filiation adoptive nous fait participer à cette relation de Jésus et de son Père.

Jésus va accepter la volonté de Dieu et y sera fidèle jusqu’au bout. En effet, à un moment donné, Jésus se rend compte que la mort violente fait partie des possibilités réelles de sa vie. Les Évangiles nous livrent 3 prophéties sur ses souffrances, mais il s’agit probablement de paroles interprétées à la lumière de la passion et de la résurrection. Jésus se sent de plus en plus isolé, contesté. Il se rend compte que c’est par la souffrance qu’on entrera dans le Royaume (Lc 12, 50), mais vivant dans l’intimité du Père, il garde confiance et espère en Lui au milieu des plus grandes difficultés par lesquelles il pourra passer. L’important, c’est de faire la volonté du Père. Au passage, rappelons-nous que dans la vie de Jésus, les épreuves ne sont pas venues seulement de ses ennemis. C’est parfois un de ses proches qui lui suggère un chemin qui l’éloignerait de son Père. Il ne cède pas aux instigations des foules, des chefs religieux, de ses disciples ou de sa parenté. Sa voie est autre, elle déroute. La fidélité à la parole du Père semble mener Jésus à l’impasse (Lc 13, 33). Après le dernier repas, Jésus entre dans la nuit, c’est le temps de l’épreuve, de la solitude, du silence de Dieu. La dernière tentation à Gethsémani, révèle son angoisse, son incertitude, mais aussi sa résolution fondamentale de faire toujours la volonté de Dieu (Mc 14, 36). Jésus apparaît ici pleinement homme dans le déchirement intérieur qu’il ressent entre acceptation et refus, dans la décision qu’il doit prendre dans l’épreuve et l’obscurité, dans le sentiment de faiblesse et de solitude où il en appelle à la présence réconfortante de ses amis, dans sa prière où il remet tout en cause. Angoissé d’entrer dans la mort, Jésus s’appuie seulement sur sa foi. Son acceptation n’a été possible que dans la prière. Jésus « avec des cris et des larmes supplia Celui qui pouvait le sauver de la mort » (Hb 5, 7). Le dernier cri du haut de la croix est un cri de désespoir et en même temps de confiance ( le psaume 21 exprime ce double mouvement). Il suppose que Dieu, même en cet instant, ne va pas le laisser mourir. Quand Dieu se tait, il se tourne toujours vers Lui. Jésus, sur la croix, a la certitude que Dieu veut qu’il Lui soit fidèle jusqu’à la mort. Jean l’exprimera en disant : « Jésus ayant aimé les siens, les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). Le Christ accepte la mort injuste qui lui est infligée par la haine des hommes, comme la dernière volonté du Père : « tout est achevé » (Jn 19, 30). Il accepte sa fin tragique.

En le laissant mettre à mort par des chefs religieux, Dieu semble leur donner raison. Sa mort, c’est finalement la condamnation par les autorités religieuses, civiles et par Dieu lui-même, des idées qu’il a défendues, de la façon dont il s’est comporté. « Il est maudit celui qui pend sur le bois » (Dt 21, 23). La mort de Jésus sera pour les premiers chrétiens un scandale, surtout cette mort ignominieuse réservée aux esclaves et aux rebelles. « Le plus barbare et le plus terrible des châtiments », disait Cicéron.

La résurrection éclaire sa vie et sa mort.

Aux yeux de ses contemporains et de ses disciples, sa mort sur la croix fait de Jésus un abandonné de Dieu « devenu lui-même malédiction pour nous puisqu’il est écrit : « maudit quiconque est pendu au bois » (Gal 3, 13). Les apôtres déconcertés s’enfuient et retournent en Galilée : déçus « nous espérions que c’était lui qui délivrerait Israël », leur foi s’écroule. Chez eux, se réalisa la parole du Christ : « Vous allez tous vous scandaliser à cause de moi » (Mc 14, 27)

Mais au matin de Pâques, Dieu a répondu au cri du crucifié. Dieu révèle qu’il n’a pas abandonné Jésus. Il était à son coté, au coté de celui qui selon la Loi était maudit. Pierre dira : « Cet homme, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité » (Ac 2, 26.36 ; 3, 14-15). La résurrection apparaît comme le « oui » de Dieu à tout ce qu’a été la vie de Jésus. En ressuscitant Jésus des morts, Dieu nous révèle son vrai visage : Dieu est bien tel que l’avait affirmé Jésus par son comportement quotidien et ses paroles. Dieu a donc réhabilité Jésus aux yeux des hommes, il n’est pas un malfaiteur, un faux prophète, ou un faux messie : « la pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre angulaire » (Mc 12, 10)

A partir de ce moment-là, la communauté a commencé à se demander : pourquoi le Christ devait-il mourir si Dieu l’a ensuite ressuscité ? Quel sens pouvait donc avoir sa mort ? Comment le messie annoncé par les Écritures a-t-il pu subir la mort et cette mort horrible ?

En se rappelant les paroles de Jésus, en scrutant les Écritures, ils vont tenter de façons diverses de situer cet événement dans le plan de Dieu et d’en reconnaître le sens. Les premières communautés eurent du mal à intégrer la croix, considérée comme un échec définitif au cœur de l’annonce pascale.

Le Psaume 2 va permettre de présenter la croix comme la mort du juste que Dieu a réhabilité en le faisant entrer dans la gloire. Jésus est moins perçu comme celui qui est mort pour les péchés des hommes, que comme celui qui est mort par leurs péchés, par leur méchanceté. Ce psaume en effet présente la gloire que Dieu devait accorder au messie, mais après une victoire sur ses ennemis déchaînés contre lui. Dans Actes 4, 23-30, les rois des nations sont assimilés à Pilate et aux grands prêtres, et cela permet aux apôtres d’affirmer que si la première strophe du psaume s’est accomplie lors de la passion, les autres strophes le seront aussi.

Luc, particulièrement, montrera que le Christ a partagé le destin commun de tous les prophètes. Ils ont toujours été persécutés par leur peuple (Lc 20, 9-19). A l’époque de Jésus, le martyre était considéré comme une partie intégrante de la mission prophétique (Lc 6, 23 ; 11, 47-51 ; 13, 33-34). Jésus est donc présenté dans cette lignée et sa mort est la mort exemplaire d’un martyre. En présentant la mort de Jésus comme celle d’un martyre, Luc pouvait en faire un modèle pour le disciple. Il décrira la mort d’Etienne sur le même modèle que celle de Jésus (Ac 7, 59-60) et il invite le disciple à prendre sa croix à la suite de Jésus (Lc 9, 23 ; 14, 27 ; 23, 26).

La réflexion des communautés va aller plus loin. Elle va établir un lien entre la mort du Christ et sa Pâques. Affirmer que le Christ est mort pour nos péchés, c’est considérer que la croix est porteuse de salut. La communauté chrétienne pourra ainsi interpréter la passion du Seigneur à la lumière des chants du serviteur (Ac 3, 13-26 ; 4, 27-30 ; 8, 32-33).

Le Christ avait dit : « je suis au milieu de vous comme celui qui sert » ( Lc 22, 27). La communauté chrétienne a très vite interprété la mort du Christ comme la forme extrême du service ( Mc 10, 45). Cette interprétation a été possible car dans le judaïsme circulait l’idée que la mort des martyrs et des enfants pouvait prendre un caractère de substitution et de rédemption pour les péchés. Is 53 se réfère clairement au serviteur souffrant qui « a pris sur soi nos maladies et s’est chargé de nos souffrances », mais ce châtiment nous a sauvés et « c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris ». Dieu s’est donc tourné vers les pécheurs, vers ceux qui étaient perdus.

Marc (10, 35-40) montre que Jésus a envisagé ses souffrances et sa mort comme une coupe (un châtiment du au péché) (Ps 75, 9 ; Is 51, 17-22 ; Jr 25, 15 ; Ez 23, 31-34) et comme un baptême (action rituelle de purification du péché) vécu pour le peuple pécheur dont il est solidaire.

La mort de Jésus sera interprétée aussi à partir du rite du sacrifice pour le péché (Lv 16). Par son sang (sang du sacrifice d’expiation), le Christ nous communique le pardon de Dieu (Rm 3, 25). Cette idée est déjà contenue dans les paroles de la Cène où il est question du sang qui sera répandu pour nous (Mc 14, 24 ; Lc 22, 20 ; Mt 26, 28) pour la rémission des péchés.

La résurrection a projeté une lumière qui a éclairé le non-sens de la mort de Jésus. Elle a permis un approfondissement de la compréhension du salut. La mort du Christ est la mort du messie, c’est-à-dire de celui qui porte en lui l’espérance du salut de tous. L’annonce pascale revient toujours sur ce point : le ressuscité, c’est le crucifié. En le ressuscitant, Dieu authentifie son message. Sa mort est le sceau de sa vie. C’est toute l’existence de Jésus, ses options et son parti pris pour les petits, qui non seulement sont authentifiés par Dieu mais qui sont considérés comme le salut en acte. Dieu accorde le salut par la vie menée par Jésus. En lui, Il se réconcilie le monde (2 Cor 5, 19 ; Ep 2, 13-18).