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31ème Dimanche du TO B

Fr Jean-Michel Maldamé op

Marc 12,28b-34

Un temps de grâce

L’évangile de Marc nous parle en vérité. Il nous rapporte les heures heureuses et fécondes de Galilée quand les disciples se rassemblent autour de lui : Pierre, André, Jacques, Jean, Marie-Madeleine… qui ont participé à sa mission. Ils sont entrés avec lui à Jérusalem (Mc 10), Après cela, Marc montre comment Jésus s’est heurté à un mur, de l’indifférence à l’hostilité, jusqu’à la mise à mort. Jésus connaît l’échec. Ainsi l’homme riche qui après avoir été enthousiasmé et parti, car « il avait de grands biens » et ne voulait pas les abandonner pour venir à la suite de Jésus. Nous le comprenons bien et il n’est pas facile de nous reconnaître en cet anonyme. Mais aujourd’hui, ce n’est pas si simple. L’anonyme nous représente autrement, mais réellement.
L’homme qui s’adresse à Jésus est présenté comme « scribe ». Il exerce dans le Temple de Jérusalem une fonction d’enseignement, mais aussi d’interprétation juridique de la Loi. Par sa question, on pourrait dire qu’il « met Jésus en examen ». Il l’interroge sur la Loi de Moïse qui pour lui exprime la volonté de Dieu. Jésus, comme tout bon juif venu en pèlerinage à Jérusalem, répond à sa question. Sa réponse est claire et sans ambiguïté. La Loi de Moïse dit ce que Dieu veut. Ce que Dieu veut c’est l’amour, l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Un seul et même amour qui rayonne. Le scribe s’émerveille de la profondeur de la réponse et il attribue à Jésus le titre de « Maître ». Il fait davantage ! Il rassemble dans la même phrase le texte de la Loi et une parole du prophète Osée : « l’amour vaut mieux que les sacrifices ». Jésus lui répond alors qu’il est à la porte du Royaume de Dieu. Hélas, cet homme ne fait pas un pas de plus ; il reste sur le seuil. Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-il pas fait le pas ? Quelle porte était ouverte ? Sur quoi était-elle ouverte ?
La parole d’Osée dit que l’amour vaut mieux que les offrandes d’holocaustes et autres sacrifices. Tel est le point clef : le sacrifice qui est l’acte fondateur des religions. Le sacrifice s’inscrit dans une logique d’échange et de réciprocité. Ainsi à Jérusalem, dans le Temple, il y a trois types de sacrifice. D’abord, le sacrifice d’expiation, le sacrifice pour les péchés. C’est un acte de réparation et de compensation pour réparer son tort et compenser l’offense. Ensuite, le sacrifice d’action de grâce ou de remerciement pour un bienfait reçu ou une faveur gratifiante. C’est un acte de reconnaissance dans la réciprocité. Enfin, le sacrifice de communion qui est un partage pour la naissance et la croissance d’une communauté. En tout cela, il y a une réciprocité où il y a une réciprocité pour le bien de tous. C’est donc une recherche de ses intérêts. Or la parole du prophète que Jésus a citée plusieurs fois dit que l’amour est plus que les sacrifices, car le Royaume de Dieu n’est pas de l’ordre de l’échange, du don et du contre-don (comme le disent les sociologues). La parole du Prophète sort de cette logique de l’intérêt partagé. On n’entre pas dans le Royaume de Dieu pour faire carrière, pour s’assurer d’une promotion, pour bénéficier d’avantage de famille, de profession, d’association, de syndicat ou de parti politique. Non ! Le règne de Dieu est gratuité.
Pour le dire, il existe un mot qui caractérise la vie chrétienne : un mot très beau, hélas il a pâli… Le mot « grâce » !
Ce mot dit la gratuité. La pure gratuité, celle qui est le propre de Dieu. Dieu n’a pas besoin de compléter son être qui est plénitude. Dieu n’est pas indigent dans sa gloire. Quand il crée, quand il vient au-devant de l’humanité… il ne comble pas un manque. Il donne d’un don pur et absolu. Il donne dans ce que l’on doit appeler un « pur amour ». C’est le contraire du marché où chacun (en tout bien tout honneur) trouve son profit dans une certaine complémentarité.
Les maîtres spirituels n’aiment pas l’expression « pur amour » en raison des illusions qu’elle peut cacher. Ce faisant, ils rappellent que Dieu seul aime d’un amour pur et c’est dans la communion à cet amour que notre amour trouve sa vérité.
Le récit de Marc nous laissait sur une insatisfaction. Qui était cet homme qui interrogeait le Christ ? Qu’est-il devenu après avoir honoré Jésus et reconnu sa sagesse en lui donnant le titre de « maître » ? Si Marc ne nous le dit pas, c’est pour laisser place à la suite du récit qui nous montre de quel amour Jésus nous a aimés en donnant sa vie. Ainsi aujourd’hui, comme cet homme qui nous représente, nous venons vers Jésus pour recevoir la parole qui éclaire notre voie : que demande Dieu ? Comme lui, nous apprenons que le maître-mot est le mot « amour », le même dynamisme pour Dieu et pour le prochain.
Avec lui nous entrons dans la voie qui ouvre à l’amour vrai qui est gratuité, générosité, désintéressement… Ce que l’on appelle en théologie : la grâce.
Avec les apôtres, nous avons choisi de suivre Jésus sur ce chemin et pour cela de recevoir ses dons et nous faisons mémoire du corps livré et du sang versé à la Passion et recevons l’Esprit de la Promesse qui fait de nous des enfants de Dieu.