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23ème Dimanche du TO B

Fr André Descôteaux op Canada

Effata !

Mc 7, 31-37

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Victime d’un AVC ma mère ne pouvait plus parler. Selon les médecins, son cerveau était très endommagé. Elle pouvait entendre, mais ne pouvait associer aux sons qu’elle entendait les mots que je prononçais. Je me demandais quoi faire. Une infirmière m’a dit tout simplement : prenez-la par la main, caressez son front, touchez-la! J’aurais dû y penser. Ce fut notre dernière manière de communiquer. La plus simple. La première, dans un sens. Tout n’est-il pas dit quand une mère prend pour la première fois dans ses bras son nouveau-né?

Toucher, c’est ce que fait Jésus dans cet évangile si plein d’humanité et de délicatesse. Il prend à part un homme sourd et bègue. Pas de spectacle, mais une rencontre intime entre cet homme emmuré dans son humanité blessée et Jésus. Il lui met les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui touche la langue, à la manière des guérisseurs de son époque. Mais le parallèle s’arrête là. Car Jésus lève les yeux au ciel, soupire et lui dit : « Effata! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ». Il ne s’agit pas d’un geste automatique ni indifférent, mais d’un engagement de Jésus qui lui coûte et qui en appelle au pouvoir de Dieu son Père. Et voilà que ses oreilles s’ouvrirent et que sa langue se délia.

Samedi dernier, je visitais la cathédrale de Chartres. À l’extérieur, au portail nord, je cherchais cette merveilleuse représentation de la création d’Adam. Finalement, je l’ai trouvée au risque de me casser le cou : elle était tout en haut dans l’une des voussures extérieures de la porte centrale. On y voit Dieu tirant de la glaise Adam. De ses mains, il modèle sa tête. Le torse émerge alors qu’on ne peut distinguer ses jambes. Adam, lui, s’abandonne avec confiance, sa tête reposant sur les genoux de Dieu qui le regarde d’un regard plein de tendresse et d’amour. D’ailleurs, Dieu le créateur n’est pas représenté sous les traits d’un vieillard, mais d’un jeune homme qui fait penser au Christ. Si vous ne l’avez jamais vu, courez sur internet et vous ne pourrez vous empêcher de penser à l’évangile de ce matin.

Comme dans la création d’Adam, Jésus prend dans ses mains la tête de cet homme handicapé, et, en soupirant, lui insuffle un nouveau souffle de vie! À cet égard, les exégètes nous disent que le mot utilisé par Marc correspond à celui employé par Paul quand celui-ci écrit dans la lettre aux Romains « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement ». De ce gémissement, le Christ en fait une prière qui devient création nouvelle!

Effata! Ouvre-toi, dit le Seigneur! Au jour de notre baptême, les mêmes mots ont été prononcés sur nous pour que, durant toute notre vie, nous puissions entendre la Parole et la proclamer par tout notre être! Devenir disciple du Seigneur, c’est apprendre à écouter et à parler. Apprendre à écouter le Seigneur, cela se fait dans une rencontre personnelle avec lui, loin des foules. Cela peut être exigeant. Rappelez-vous cette célèbre page des Confessions d’Augustin :

Bien tard, je t’ai aimée
ô beauté si ancienne et si nouvelle,
bien tard, je t’ai aimée!
Voici que tu étais au-dedans,
et moi au-dehors
et c’est là que je te cherchais!
Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi.
[Pourtant,]
Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité.

N’est-ce pas ce que nous désirons en venant ici, à Chalais? Faire silence autour de nous et en nous-mêmes, pour entendre cette parole du Christ et nous laisser toucher par elle pour que guéris, nous reprenions, avec joie et courage, notre vie d’homme et de femme.

Effata! Entendre la parole du Christ pour également entendre comme lui les cris des blessés de la vie et de tous les exclus, où qu’ils soient. Pas de frontières à la souffrance. Être touché par le Christ pour être comme lui touché par la souffrance et l’injustice. Être touché pour à notre tour toucher et contribuer à donner, malgré tout, vie, liberté, dignité, espoir et joie!

Dans le Christ Jésus, c’est Dieu qui réalise son grand projet de salut, comme le proclame le prophète Isaïe. « Soyez forts. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver ». La revanche de Dieu vient non pour détruire, mais pour anéantir toutes les forces du mal qui nous aliènent, nous asservissent et nous mènent à la mort. Sa revanche c’est de nous rendre notre liberté et notre dignité et de faire de nous une nouvelle création.

Pour ce faire, le Christ touchera non seulement cet aveugle ou encore des lépreux, mais il fera l’expérience des ténèbres de la mort. Ce n’est pas sans raison que le Christ invite les témoins de cette guérison à la retenue. Le Christ n’est pas un magicien, mais celui qui prendra revanche de la mort en la prenant sur lui pour ressusciter et devenir Seigneur des morts et des vivants.

Alors que dans le pain rompu et la coupe partagée, il se fait proche de nous au point de devenir nourriture, demandons-lui de toucher nos oreilles et notre cœur et de prononcer sur nous, en nous comblant de son Esprit, la parole de vie : EFFATA, ouvre-toi! Amen.