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14ème Dimanche du TO - B

Père Michel Mounier

Marc 6,1-6

Le charpentier de Nazareth ! Est-il possible que Dieu, la puissance de vie qui se tient au cœur de tout ce qui existe, devienne visible en cet homme-là dont on possède toutes les coordonnées ? N’est-il pas le fils du charpentier, de Marie, ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? Pour nous, Jésus est loin dans le temps : nous pouvons le transformer en une sorte de « supraterrestre », un peu abstrait, une figure un peu angélique. Mais ce n ‘est pas celui que nous décrivent les Evangiles. Et pour ses contemporains le choc était rude. Pourquoi lui le charpentier, un prophète ? Pourquoi justement quelqu’un de chez eux. Bref, ils sont affrontés à la réalité de l’incarnation, dont ils n’ont d’ailleurs aucune idée. L’invraisemblable et l’impossible incarnation. Mais ils auraient pu aussi se demander : pourquoi Israël, peuple insignifiant, parmi tous les autres peuples ? Que l’éternel, l’immense prenne visage ici et maintenant, en ce peuple-ci, en cet homme-ci restera toujours un scandale, la pierre sur le chemin sur laquelle on vient buter. Or tout est là : si nous ne trouvons pas Dieu dans le Christ, nous ne le trouverons ni dans l’Eglise, ni sans nos frères, ni dans les réalités du monde. Nulle part.

Tout puissant ! Voici notre problème. Car nous sommes habitués à voir en Dieu la Toute Puissance qui gère tout, à laquelle rien n’échappe. Et le scandale de l’incarnation s’aggrave à la lecture de notre récit. « Il ne peut accomplir ici aucun miracle ». Il voudrait bien donner vie, santé, intégrité, mais il ne peut pas. Il n’est pas totalement maître de son action, de ses dons. Car le don est affaire d’alliance, il faut être deux pour qu’elle ait lieu, celui qui donne et celui qui accepte, dans la foi, de recevoir. Donc il ne peut pas tout, il ne peut pas « malgré nous ». Il ne peut pas tout mais au moins le sait-il ? Pas davantage. Nous avons entendu : «  il s’étonnait de leur manque de foi ». Jésus constate, s’étonne, il apprend. Quel drôle de Dieu ! Comme plus tard, il se laissera convertir par la femme de Syrie Phénicie. « C’est vrai, Seigneur, mais les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants ». Par elle, il découvre sa mission. Le Christ, à la suite de l’Ancien Testament, révèle comment est Dieu, qui est Dieu. Il est avec nous en vrai partenaire. Dieu peut tout si la liberté de l’homme lui ouvre un chemin. Il ne peut rien sans nous, et nous avons à lui apprendre ce que nous sommes. Car Dieu n’a pas la connaissance intérieure, par lui-même, de notre péché.

Mais si Dieu est non tout-Puissant, s’il est faible devant nous, sur quoi repose donc notre espérance ? A quoi bon, quel intérêt ? Voilà le mystère, l’heureux retournement. « Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. », nous a dit Paul. C’est sur la Croix que la non-puissance de Dieu se révèle totalement. Sur toutes les croix. « Où est Dieu ? », demande un déporté sur la place d’appel de Birkenau. Où est Dieu quand un bateau de fortune sombre en Méditerranée ? Où est Dieu quand tant d’enfants et de femmes sont massacrés dans leur chair et dans leur cœur ? Il est là ! Celui qui est la Vie accepte de venir se mettre avec nous sur les croix que nous dressons. Le malheur reste le malheur. Et que Dieu s’y ensevelisse avec nous manifeste merveilleusement son amour. Un amour non Tout Puissant humainement. Mais voilà, c’est là qu’éclate la puissance, là même où règne la plus grande faiblesse. Car le malheur et la mort sont déjoués parce qu’ils tuent seulement ce qui est contraire à la vie. Et voici que la Vie se manifeste dans toute sa puissance. Voici le Christ ressuscité. Voici Paul qui s’écrit : «  lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

Frères et sœurs, n’ayons pas peur de nos failles, de nos fragilités, de nos pauvretés. Sans pour autant nous y complaire, sans nous y enfermer et en rester prisonnier. N’ayons pas peur car c’est aussi là, oserais-je dire, d’abord là que le Seigneur vient nous rejoindre et nous libérer. Il s’est abaissé, Dieu l’a exalté, chantons nous. « Lui qui, de de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu… il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé » : chante un des premiers hymnes chrétiens. Quel bonheur d’être aimé par cet homme-là, par ce Dieu-là. Quel bonheur d’être sauvés par cet amour-là.