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4ème Dimanche du TO - B

Père Michel Mounier

28 janvier 2018

Mc 1,21-28

Il y a déjà quelques épisodes marquants dans la vie de Jésus : le baptême, la tentation que désert, la première annonce que les temps sont accomplis, l’appel des premiers disciples. C’est ici la première fois dans l’Évangile de Marc que Jésus entre dans une synagogue.
Ses disciples, il ne les a pas trouvés parmi les spécialistes du religieux ou de la Torah mais au milieu de pêcheurs attroupés au bord d’un lac, dans l’impossibilité de respecter les multiples commandements. Son précurseur, le Baptiste, se tenait à distance des institutions religieuses et prêchait dans le désert.
Le voici donc dans une synagogue. Et pourtant « ils étaient étonnés de son enseignement » nous dit Marc. Car il enseignait comme ayant autorité et non pas comme les scribes. C’est peut-être précisément parce qu’il ne fréquentait pas obsessionnellement les lieux réservés à la sainteté qu’il émanait de Jésus une autorité singulière que l’évangéliste, à ce stade de son récit, laisse flotter dans une certaine ellipse. Il parle « comme ayant autorité » et tout ce qu’on sait c’est que ce n’est pas la même autorité que les scribes qui ont pourtant autorité dans les synagogues. Puis nous apprenons que cette autorité impressionne jusqu’aux esprits impurs. Car Jésus ne s’y trompe pas : un homme le toise, lui lance d’une voix acerbe qu’il sait qui il est et qu’il est venu « pour nous perdre ». Jésus ne répond pas à cet homme car ce n’est pas lui qui parle. Jésus répond à l’esprit impur en lui. Il ne confond pas l’homme et le violence qui l’habite. « Nous » ce n’est pas la communauté israélite rassemblée ce jour de sabbat dans la synagogue de Capharnaüm mais ce sont bien les esprits impurs qui nous encombrent de défiance, de mesquinerie, de convoitise, de rejet de celui qui est différent. Oui, nous pouvons être totalement prisonniers de ces forces obscures. Nous pouvons aussi être complaisants, pactiser avec le mal : la responsabilité de la personne est alors engagée. Mais la personne ne se réduit pas au mal qu’elle peut faire, si terrible soit-il. Désespérer de l’homme, c’est le désespérer. Jésus ne désespère jamais. C’est pour perdre ces esprits là que Jésus est venu. Pas pour perdre l’homme en prises avec les bas-fonds. Encore faut-il avoir la capacité de discernement pour séparer les choses. Pour reconnaître en cet homme qui ouvre la bouche que l’angoisse et la haine ne sont pas lui, ne sont pas intrinsèquement liées à sa personne.
Les scribes dont il est question connaissent toutes ces subtilités de la Torah. Mais hier comme aujourd’hui ils peuvent, nous pouvons faire mourir la Parole si nous en asséchons le souffle à grands coups de règles. La précision, l’exactitude et la justesse ne suffisent pas à la vérité, ne suffisent pas pour connaître le cœur d’un homme et identifier ce qui parle en lui. Il faut connaître le livre mais aussi avoir beaucoup marché, avoir traversé le désert, savoir se perdre et apprendre à se retrouver, regarder la lumière décliner derrière la montagne, se laisser saisir par les visages durs des hommes aux mains calleuses qui remontent leurs filets et musellent leur fatigue.
La loi, les recettes, les leçons, un jour vient où il faut les savoir non par cœur mais par corps. Les vivre, les éprouver dans l’acide du réel, du maintenant et de l’ici. C’est cette conversion du livre en parole vécue et vivante qui donne à Jésus son autorité. Une femme l’a magnifiquement exprimée, mais l’expérience peut être vécue par tous.

La grammaire seule ne suffit pas à faire un poète
la loi seule ne suffit pas à faire un porteur de la Parole

Je ne veux pas seulement connaître ton Évangile
mais le conjuguer à chaque instant de la vie et toujours au présent

Éprouver dans mon corps la chair de ta présence
deviner sur les visages l’animation de ton souffle

Te porter comme on porte un enfant
en le sentant tressaillir au cœur de ses entrailles

M’écarteler à ton nom
pour te laisser passer, pour te laisser venir

Te laisser m’enfanter, t’enfanter à mon tour. (Marion Müller-Collard)