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Immaculée Conception 2017

Fr Philippe Jeannin op Paris

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ou lisez !

Fêter l’Immaculée Conception de la Vierge, qu’est-ce à dire pour nous aujourd’hui ? À quoi cela nous invite-t-il ? Quand on pense que pour en arriver là, il a fallu attendre 1854 pour que le pape en confirme par un dogme ce sur quoi, pendant plus de 19 siècles, les théologiens n’arrivaient pas à se mettre d’accord… 
Pour mémoire, le Concile d’Ephèse (431) n’était pas allé au-delà, après bien des discussions, de la reconnaissance de « Marie, Mère de Dieu ». En 1140, la lettre de saint Bernard aux chanoines de Lyon témoigne des débats houleux sur l’Immaculée Conception au moyen âge. Il y exprime son désaccord quant à une nouvelle fête en l’honneur de l’Immaculée Conception de Marie célébrée depuis peu par les chanoines de Lyon, au motif que – si Marie avait dû naître Immaculée dès sa conception, cette même grâce aurait dû se reporter sur sa mère, et avant sur sa grand-mère… et pourquoi pas sur toute sa lignée… saint Thomas d’Aquin, lui-même, ne semble pas avoir soutenu ni encouragé cette reconnaissance de l’Immaculée Conception de la Vierge.
Mais dès son avènement au pontificat, le franciscain Sixte IV (1471-1484) qui, lui, y était favorable, relance les disputations publiques et les polémiques littéraires au sujet de l’Immaculée Conception qui se multiplient. Car c’est bien l’École franciscaine, et surtout la théologie de Duns Scott qui va l’emporter de façon décisive. Duns Scott explique, au XIIIe s., que Marie était plus redevable à la puissance rédemptrice de Jésus-Christ que tout autre être humain parce que le Christ a empêché sa future Mère de contracter le péché originel, ni à sa naissance ni dans le cours de sa vie, en raison des mérites qu’il accorderait plus tard au genre humain par sa mort et sa résurrection. Raisonnement, avouez-le, un peu « tordu », j’allais dire, car il pose plus de questions qu’il n’en résout, par exemple : Marie était-elle donc libre de dire « Oui » si elle avait ainsi été programmée dès avant sa naissance ?
Bref… avant d’être une question de dogme, l’Immaculée Conception de Marie est, comme souvent, d’abord une croyance populaire qui devient ensuite une dévotion largement répandue avant même que les théologiens ne cherchent et ne trouvent les mots et les idées pour expliquer la chose théologiquement. Il y a longtemps que, pour la dévotion populaire, Marie ne pouvait pas appartenir au monde des pécheurs pour être choisie et donner la vie à Celui qui s’est fait semblable à nous en toute chose à l’exception du péché et qui est venu précisément nous sauver du péché. À Séville, déjà, depuis le XVe s. je crois, on honore l’Immaculée Conception. Et, en réactions aux dénégations du prieur des dominicains de Séville au XVIIe s., des peintures, des tableaux, des dédicaces à l’Immaculée Conception vont se multiplier jusqu’à la consécration d’un petit village andalous, La Luna, à l’Immaculée Conception.
Toujours est-il qu’à la fin du XVIIe s., la plupart des catholiques acceptent l’idée de l’immaculée conception. Clément XIII en a fortement favorisé la doctrine au XVIIIe siècle et il apparaît alors tout à fait normal qu’au milieu du XIXe siècle, le pape Pie IX déclare le dogme estimant que « la bienheureuse Vierge Marie a été préservée de toute souillure du péché originel dès le premier instant de sa conception. » C’était en 1854 et, le 25 mars 1858, fête de l’Annonciation, alors que Bernadette se sent attirée à Massabielle, par trois fois elle demande à la Belle Dame la requête du curé Peyramale : “Qui êtes-vous ?” Et la radieuse petite Demoiselle lui livre son nom : “Je suis l’Immaculée Conception”. « Tu es béni, Seigneur du Ciel et de la Terre… ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).
Après ce survol historique, que dire aujourd’hui, pour nous, de l’Immaculée Conception de la Vierge. Ne vient-elle pas brouiller encore un peu plus nos relations œcuméniques en l’année Luther ? Au contraire… 
C’est vrai que si l’on y réfléchit raisonnablement, c’est à dire avec notre raison, l’Immaculée Conception de la Vierge nous semble un… concept… incroyable, comme sa Virginité pendant et après… voire même impossible… 
Aussi, pour avancer, je vous propose de revenir sur trois phrases de nos trois lectures :
Dans la genèse : « Où es-tu ? »
Dans la lettre de Paul aux Ephésiens : « Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. »
Dans l’Évangile : « Sois sans crainte… »
Dans « Où es-tu ? », on devine le reproche après la faute commise. Comme celui que l’on nous adressait, lorsque nous étions enfants, après avoir cassé quelque chose, volé un gâteau ou une pièce dans le porte-monnaie des commissions ou fait une bêtise et que ça commençait à se savoir. On redoutait la correction, l’engueulade… parce qu’on était dans la crainte… la crainte de la punition pour la faute, pour le péché commis… Parce qu’on est dans la logique réparatrice du péché, comme dans l’Ancien testament, souvent… où Dieu « ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération… » (Ex 34, 7).
Mais on n’imagine pas une seconde, au fond de notre conscience inquiète d’avoir mal fait, que le « Où es-tu ? » puisse être autre chose : comme une recherche inquiète de parents qui ne trouvent plus leur enfant : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi nous te cherchions, angoissés… » comme lors du recouvrement de Jésus au Temple (Lc 2, 48). On n’imagine pas une seconde qu’à partir de ce moment au Jardin d’Eden, Dieu se mette à la recherche d’Adam jusqu’à ce que Celui qu’il finit par envoyer, Jésus, le retrouve au fin fond des enfers et, « lui ayant saisi la main, lui dise : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Je suis ton Dieu, et à cause de toi je suis devenu ton Fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Relève-toi d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains, toi, mon effigie, qui a été faite à mon image. Lève-toi, partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi… » (Sermon de saint Epiphane)
Dans le « Sois sans crainte » adressé à Marie, on change de registre : on n’est plus dans la crainte de la punition, mais dans l’effroi, la peur devant un projet qui nous dépasse : « Comment donc cela se fera-t-il ? » Je n’en suis pas capable… « Je ne suis pas digne de te recevoir… » Et le Seigneur nous rassure… Non, par nous-même nous n’en sommes ni capable, ni digne, ni préparé, ni prêt, mais par sa grâce, Dieu nous rend capables, dignes, prêts à l’accueillir, à l’aimer, à le servir. Il réalise ainsi son plan et son projet qu’il mijote de toute éternité : « Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour » (Ep. 1, 4).
Ce n’est pas nous qui sommes immaculés par nous-mêmes, ce n’est pas Marie qui est sainte et immaculée en elle-même, nous le sommes, nous le devenons parce que Dieu nous a choisis dans le Christ à l’être pour lui, dans l’amour.
Et c’est là que nous avons à convertir quelque chose dans notre cœur, dans notre pensée, dans notre attitude devant Dieu, dans notre prière peut-être, comme dans notre regard. Ce à quoi nous invite la fête aujourd’hui : passer du mode « péché » au mode de la grâce…
Imaginons un instant. D’une jeune fille enceinte non mariée, on disait jadis : « Elle a fauté ! ou Elle a péché ! »… Ce n’est pas ce que dit l’ange à Marie. Il lui dit : « Réjouis-toi, comblée de grâce… » Il nous faut vraiment, nous aussi, pour comprendre cette fête, passer du « péché » à « la grâce » et nous en réjouir !
Et plutôt que de voir – et contester éventuellement – l’Immaculée Conception à partir de la préservation exceptionnelle du « péché »… regardons-là sous l’angle de « la grâce »… « la grâce qu’il nous a faite dans le Christ, à nous aussi, d’être saints et immaculés devant sa face, grâce à son amour, à sa miséricorde. »
Cette miséricorde, Marie ne la chante pas que sur elle mais parce qu’elle s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent (Lc 1, 50). Et qui le craignent non dans la peur de la punition, mais dans l’Amour, comme le rappelle Catherine de Sienne dans un de ses Dialogues où Dieu lui répond :
« La loi de la crainte est l’ancienne loi que j’ai donnée à Moïse. Elle était fondée uniquement sur la crainte puisque, la faute commise, l’homme en supportait le châtiment. Mais la Loi de l’amour est la loi nouvelle qui vous a été donnée par le Verbe, mon Fils unique, elle est fondée sur l’amour. La nouvelle loi ne brise pas cependant l’ancienne, bien mieux : elle l’accomplit.
C’est ce que dit ma Vérité : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir ». Il a uni la loi de la crainte à celle de l’amour. Par l’amour, l’homme a été libéré de cette imperfection qu’est la crainte du châtiment, et seule est demeurée cette perfection de la sainte crainte qui consiste à redouter de m’offenser, non parce que le châtiment suivra mais parce que je suis la suprême bonté. La loi imparfaite a été conduite à sa perfection par la loi d’amour. (Dialogues, LVIII)
Oui, avec Jésus, dans la nouvelle Alliance, sous la Loi d’Amour, nous passons de la crainte de la punition à la crainte de l’offense. Et comment se dégager de cette crainte d’offenser l’Amour ?
On dit volontiers aujourd’hui que le péché, c’est de dire « non » à l’amour de Dieu, sous toutes ses formes : le péché comme manque, comme refus d’aimer : Dieu, son prochain, soi-même… Là encore, Marie, l’Immaculée Conception, nous éclaire : Elle qui n’a été que « Oui », depuis son Fiat, de l’Annonciation à son Assomption, de la crèche à la croix…  Elle nous révèle comment vivre au quotidien le fait d’être « saint et immaculé devant la face de Dieu, dans le Christ » : en étant nous aussi dans le « Oui », dans la fidélité au Oui…
Bien sûr, tout cela dépasse nos forces, nos capacités… mais qu’importe… Si au fond de nous, nous sommes passés de la crainte à l’amour, de la loi du péché à la grâce, du Non au Oui, alors laissons Dieu agir en nous, par sa Parole, par son Eucharistie, par sa miséricorde, par la grâce des sacrements… et rien ne lui résistera car, vraiment, rien n’est impossible à Dieu… 
Et je pense que même Luther comprendrait aussi l’Immaculée Conception de Marie… dans le même mouvement où nous sommes tous appelés, de toute éternité, à être saints et immaculés devant Dieu, dans le Christ. Amen !