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Fête solennelle de Marie, Mère de Dieu - 2017

Frère Antoine Lévy op

Luc 2, 16-21

Que le Seigneur vous bénisse et vous protège !

Nous sommes ici. Vous me direz : « Grand merci, M. de la Palisse ». Certes, mais la question est : pourquoi ? Après tout, dimanche ou pas dimanche, messe ou pas messe, c´est le jour de l´an, lendemain de réveillon et un bon nombre de nos frères et sœurs chrétiens ont certainement décidé que c´était le matin ou jamais de dormir du sommeil des justes tout juste un peu éméchés. Et puis ici, ce n´est pas vraiment un lieu anodin. Nous ne sommes pas loin du sommet d´une montagne, là où se niche un monastère, l´un de ces lieux où l´on dit que Dieu demeure d´une manière toute spéciale. Il y a le fait que, dimanche ou pas dimanche, cette messe n´est pas vraiment comme les autres parce que ce jour n´est pas comme les autres. Qui que nous soyons, ce n´est pas seulement en raison de notre devoir dominical que nous sommes ici.

Et d’ailleurs, où est-ce, ici ? Parce qu´aujourd´hui n´est plus hier et pas encore demain, ici est plus qu´ici. La grâce de ce jour fait que nous ne sommes pas simplement juchés sur une hauteur au sens spatial du terme ; nous sommes à cheval sur une crête du temps, et c´est bien la raison des raisons pour laquelle, qui que nous soyons, nous sommes arrivés jusqu´ici ce matin. A la messe d´hier, nous avons êtes invités a voir les choses d´en bas. Aujourd´hui, nous avons choisi de les contempler d´en-haut. C´est que d´en-haut, on voit tellement mieux ce qui se passe que d´en-bas ; on voit tout au loin par devant et par derrière. C´est à se demander pourquoi il y a des gens qui désirent vivre en bas – mais nous ne nous ne le demandons pas car nous savons pertinemment la réponse : d´en haut, on voit tout ce qui se passe en bas mais on peut rien y faire. D’en-bas, on ne voit pas grand-chose, mais au moins on peut y faire quelque chose.

Il en va de même lorsque, comme aujourd´hui, on se retrouve juchés sur la crête du temps : nous voyons le passe, derrière nous, a nos pieds, et nous scrutons l´avenir qui s´étend devant nous. Nous ne pouvons plus refaire ce qui a été fait et nous ne pouvons faire quoi que ce soit à ce qui n´est pas encore. Pour la plupart d´entre nous, c´est un sujet d´angoisse. On a beau dire qu´aucune époque de l´histoire humaine ne connut parfaite félicité, cela n´enlève rien a la réalité du mal, à savoir de la méchanceté et de la souffrance avec lesquels notre époque se trouve aux prises. Lorsque l´on rumine les évènements de l´année qui vient de s´écouler, l´on a du mal a trouver de solides raisons de croire que celle qui s´annonce sera bien meilleure. Cette nuit-même, 45 personnes à Istanbul ont trouvé la mort dans un nouvel attentat de Daesh.

Quant à ces « petits quelque-choses » que nous sommes capables de faire ici-bas, dans la vallée, il faut bien nous rendre a l´évidence : orienter le cours du monde dans la direction que nous souhaiterions est hors de notre portée. Telle est sans doute la raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd´hui ici, tout en haut, juchés sur la crête du temps ne serait-ce que l´instant d´une messe. Nous venons trouver Celui qui, dit-on, demeure en lieu tout spécialement. Nous croyons que les temps sont dans sa main, par de là le déferlement des éléments naturels et des passions humaines. Au seuil de cette année, nous sommes venus Lui demander sa bénédiction. Ca a l´air simple. Eh bien pas du tout. Au fond, c´est absurde. Non que Dieu ne puisse orienter le cours du monde à sa guise. Non qu´Il ne puisse nous protéger des terribles soubresauts de celui-ci, s´Il le souhaite. Mais s´Il ne le souhaite pas, et qu´Il en a décidé autrement de toute éternité, pourquoi venir lui demander sa bénédiction ?

Quoi qu´il arrive, notre foi devrait nous en assurer, nous sommes dans la main de Dieu. Ne sommes-nous pas, nous chrétiens, dans le cœur de notre Père qui est aux cieux à la prière de son Fils qui est mort à cette fin sur notre terre ? . « Ne craignez-pas celui qui ne peut détruire que votre corps », nous a-t-il dit. C´est là, justement, qu´est,à mon humble avis, notre problème. « Craignez celui qui a pouvoir de vous jeter dans la géhenne », a-t-il ajouté. Regardons dans les yeux l´angoisse qui nous a fait grimper jusqu´ici, en cette crête du temps. Ce ne sont pas les évènements eux-mêmes qui nous font peur, aussi catastrophiques soient-il. Ce qui nous fait peur, c´est ce qu´ils nous disent de l´attitude de Dieu à notre égard. Lorsqu´on est frappé par le malheur, on peut encore espérer en Dieu ; mais lorsque Dieu est fâché avec nous, il n´y a plus rien en quoi ni personne en qui espérer. Bien sûr, vous demanderez, avec la mauvaise foi qui nous caractérise : pourquoi Dieu serait-il fâché avec nous ? Et vous aurez bien raison de le demander, parce que cela nous fait toucher du doigt l´ultime objet de notre angoisse, et avec cela la raison par-delà toutes les raisons de notre présence ici. Ce qui nous angoisse, fondamentalement, c´est nous-mêmes – c´est de nous savoir capables de toutes les trahisons possibles, ne serait-ce qu´en raison de celles dont nous nous sommes déjà rendus coupables dans le passé. Ce qui nous inquiète, fondamentalement, ce sont nos lignes de faille intérieures. Il nous en faut peu, nous le savons bien, qui que nous soyons, laïcs, prêtres, moniales, pour que tout bascule- une petite pichenette – un dernier tour et puis s´en vont. N´écoutez-pas ceux qui vous disent que cette angoisse est ridicule, que Dieu a décidé de ne jamais se fâcher et qu´il n´y a donc pas de quoi s´en faire. Ne les écoutez-pas, tel est mon conseil, car vous passeriez non seulement a côté de la cause, mais du propos de votre présence ici en ce jour.

Demander à Dieu sa bénédiction, ce n´est pas lui soutirer, à l´aide de quelques rites magiques, une assurance tout-risque pour l´année qui vient, voire un blanc-seing pour le paradis en cas de faillite morale généralisée. C´est d´abord et fondamentalement, un acte de notre foi. Du fond de notre tristesse à la vue de nos erreurs passées, du fond de notre inquiétude pour tous nos errements à venir, du profond de la conscience de notre fragilité, nous disons et redisons, formulons et reformulons, notre oui à Dieu, le oui de toute notre existence – le oui de toute ce qu´il nous reste d´intelligence, de cœur et de volonté en cet instant de notre vie. C´est en substance, le oui que Marie répondit à Dieu par l´intermédiaire de l´ange lorsqu´Il lui demanda si elle consentirait à porter en son sein le fils de ses éternelles entrailles. Et si notre oui d´hommes faillibles peut et doit se couler aujourd´hui dans son oui de femme sans la moindre faille, c´est parce que, ruminant en son cœur les évènements de la naissance de son fils, elle commença à nous porter tous et toutes en elle, nous ses pauvres frères et sœurs de la race humaine, dès après qu´elle eut mis au monde le Dieu qu´elle porta en son sein neuf mois durant. De fait, cheminant de la grange de Bethléem au Temple de Jérusalem, elle trouva en ces huit jours le temps de méditer la signification du nom que l´ange avait donné à son fils : Yeshua, un homme nommé salut – celui qui devait, au sacrifice de sa vie, nous permettre à nous tous, pauvres pécheurs, d´oser appeler à nouveau Dieu par le nom que celui-ci apprit jadis, avant le premier péché, à son premier enfant d´homme : Abba, Père.

Alors nous voici ici, juchés en haut de cette montagne comme sur la crête du temps. Et avec nous, en nous et par nous, sont présents, en cet instant, tous ceux que nous portons : parents, enfants, frères et sœurs de chair, frères et sœurs en Christ, pauvres et riches, tous ceux qui font le bien et tous ceux qui, d´une manière ou d´une autre, subissent le mal. Sur nous tous, nous implorons la bénédiction de Dieu. Par l´intercession de Marie, Mère du Christ et mère de Dieu, nous lui demandons de l´étendre sur toute l´année qui s´ouvre aujourd´hui. Permettez-moi de vous redire cette bénédiction, que j´ai l´immense honneur et plaisir de pouvoir vous communiquer à un double titre, celle de fils de Levi, car c´est à ceux-ci qu´elle fut d´abord destinée, celle de prêtre de la nouvelle Alliance, car c´est à eux qu´elle fut transmise. Je vous la redis en français tout d´abord, puis je vous la chanterai en hébreu.

24 Que le Seigneur vous bénisse et vous protège !
25 Que le Seigneur vous regarde avec bonté et vous accueille favorablement !
26 Que le Seigneur vous manifeste sa bienveillance et vous accorde la paix !
(Nb 6,24-26)