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Solennité de la Toussaint 2016 - C

Frère Lionel Gentric op (Strasbourg)

1er novembre 2016

Matthieu 5, 1-12

Je suis entré dans cette église, et j’ai vu toutes ces icônes rassemblées dans le choeur, de tous côtés, aussi nombreuses que sur une iconostase et je me suis dit : c’est Byzance !
Mais en m’approchant, j’ai réalisé que toutes n’étaient pas d’authentiques icônes. Certaines ont peut-être un peu de valeur, mais la plupart sont de simples reproductions, aux formats divers, et certaines de simples photographies, tantôt en couleur, tantôt noir et blanc, certaines encadrées, d’autres non et je me suis dit : c’est Lourdes !
En m’approchant encore, j’ai vu qu’aucune d’elle n’est à vendre, pas la moindre étiquette de prix et je me suis rendu à l’évidence : c’est simplement Chalais, un jour de Toussaint.
Regardez-les, ces images. En les embrassant toutes ensemble du regard, nous pouvons nous dire que nous avons là une photo de famille. Car ces saints sont familiers les uns des autres. De nombreux saints ont grandi en sainteté dans la compagnie d’un autre, se sont laissé vivifier par la sainteté d’un autre. Leurs chemins se sont croisés, souvent, ici-bas, avant même qu’ils se retrouvent dans la Jérusalem céleste. Je repère, là-bas, légèrement sur la gauche, Dominique et François, dont notre tradition rapporte la rencontre, à Rome, à l’occasion du IVe Concile du Latran, en 1215, rendus si proches l’un de l’autre par leur commune ardeur à revivifier notre Église au début du XIIIe siècle. A l’ombre de Dominique grandit saint Raymond de Peynafort Un peu plus tard, Thomas d’Aquin sera disciple d’Albert Raymond de Capoue sera confesseur de sainte Catherine de Sienne Du côté de saint François, ce sont des liens et des généalogies similaires qui pourraient être dressés, en commençant par l’amitié profonde qui le liait à sainte Claire Le motif se retrouve à tous les âges et dans toutes les formes de vie. Depuis les tout premiers temps de la prédication apostolique (saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, disciple de saint Jean, disciple du Seigneur), jusque dans notre temps (on peut évoquer, par exemple, la complicité qui liait mère Teresa et le pape Jean-Paul II).
La fête de tous les saints n’est pas simplement l’honneur rendu, un jour par an, à tous ceux que le calendrier liturgique ne peut honorer au long de l’année En fêtant tous les saints en une commune solennité, c’est la sainteté elle-même que nous fêtons, ce déploiement de sainteté à travers le temps et l’espace, déploiement dans lequel nous voyons circuler avec une vigueur toujours renouvelée la sève de la grâce. S’il fallait illustrer aujourd’hui, dans le choeur de cette église de Chalais, cette circulation des dons de Dieu et la familiarité qui en découle entre tous ces visages, il faudrait relier les uns aux autres tous ces portraits, et relier toutes les branches de l’arbre ainsi dessiné à la croix du Seigneur. Cela dit, ne le faisons tout de suite : je crains que nous ne puissions plus circuler dans le choeur si, à l’instant, tous les liens qui rassemblent tous ces saints en une seule famille étaient matérialisés…
L’Église, frères et sœurs, est une famille, une communauté qui s’édifie à travers l’espace et le temps et où – miracle – le don de Dieu, le don de la vie divine se renouvelle chaque jour et se manifeste, comme en une inouïe floraison, en chacun des saints que le Christ suscite au sein-même de son Corps. Les saints sont le signe de ce que l’Église est toujours vivante, de ce que l’Église ne cesse de vivre du don que Dieu nous fait en son Fils Jésus.
J’ai été, voici un peu plus de dix ans, particulièrement touché par les mots que le pape Benoît XVI a prononcés, juste après le chant de la litanie des saints, lors de la messe d’inauguration de son pontificat.
« Celui qui croit n’est jamais seul [disait-il]. Maintenant, en ce moment, moi-même, fragile serviteur de Dieu, je dois assumer cette charge inouïe, qui dépasse réellement toute capacité humaine. Comment puis-je faire cela ? Comment serai-je en mesure de le faire ? Vous tous, chers amis, vous venez d’invoquer la troupe innombrable des saints, représentés par certains des grands noms de l’histoire de Dieu avec les hommes. De cette manière, se ravive aussi en moi cette conscience : je ne suis pas seul. Je ne dois pas porter seul ce que, en réalité, je ne pourrais jamais porter seul. La troupe des saints de Dieu me protège, me soutient et me porte. Et votre prière, chers amis, votre indulgence, votre amour, votre foi et votre espérance m’accompagnent. En effet, à la communauté des saints n’appartiennent pas seulement les grandes figures qui nous ont précédés et dont nous connaissons les noms. Nous sommes tous la communauté des saints, nous, les baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous qui vivons du don de la chair et du sang du Christ, par lesquels il a voulu nous transformer et nous rendre semblables à lui. Oui, l’Église est vivante, telle est la merveilleuse expérience de ces jours-ci. […] »
L’Église de Dieu est appelée à se reconnaître comme la communauté des saints. La communauté de ceux qui vivent dans le rayonnement de la sainteté du Christ lui-même. Et si nous sommes appelés à puiser directement à la source, en nous liant au Christ dans un lien personnel, c’est lui que nous suivons, c’est lui que nous reconnaissons comme Maître et Seigneur. Quel réconfort ne trouvons-nous pas à mesurer le foisonnement des fruits de sa grâce dans l’immense famille des saints ! Quel réconfort ne trouvons-nous pas dans leur fréquentation, et dans l’idée que nous aussi pouvons établir avec eux un lien de proximité, de familiarité, d’amitié.
Nous ne sommes jamais seuls à la suite du Christ. Nous sommes toujours dans l’erreur quand nous sommes tentés de croire que nous sommes seuls fidèles, que nous sommes sur le seul bon chemin et que nous pourrions conduire notre quête et notre vie sur un chemin isolé. La compagnie des saints, avec la diversité presque infinie de leurs traits propres, nous ouvre aux véritables dimensions de l’Église. Où que nous soyons et qui que nous soyons, il y a certainement un visage ami, que dis-je : une multitude de visages amis, qui se prêtent à devenir nos familiers et qui peuvent nous guider sur le chemin de Dieu, nous éclairer, nous conseiller, et à qui nous pouvons nous confier.
Ils ont connu la condition des exilés, comme nous, ils ont affronté toutes sortes de dangers, ils ont été affligés, ils savent le prix de la douceur, ils ont été affamés et assoiffés de la justice, ils ont été artisans de paix. Certains ont donné leur vie au nom de l’Evangile et pour le Seigneur. En tout cela ils ont épousé la physionomie spirituelle de Jésus lui-même. Mais Dieu nous l’a promis : un bonheur qui dépasse le concevable est promis à ceux qui se tiennent ainsi à la suite de Jésus jusque dans son mystère pascal : Heureux, heureux, heureux, de la béatitude du Christ lui-même.
Heureux donc (c’est la béatitude que je rajoute aujourd’hui à l’Évangile du jour)
Heureux donc celui qui sait reconnaître des compagnons de route dans les saints et saintes de Dieu,
Heureux celui qui devient leur ami et familier,
il arrivera jusqu’à bon port, jusqu’au Royaume de Dieu.