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12ème Dimanche du TO - C

Père Michel Mounier

12 juin 2016

Luc 7,36 – 8,3

Les lycéens en première vont bientôt passer le bac de français et sans doute auront-ils à commenter un texte en répondant à la question : quelle est l’idée centrale de ce texte ? Je propose de lire l’Évangile d’aujourd’hui en ayant à l’esprit que l’essentiel est la question : Qui est Jésus ? Je pense que c’est le motif de l’invitation de Simon : qui est Jésus, est-il vraiment un prophète ? Tout le récit que nous venons d’entendre sera une réponse, une réponse qui ne sera pas comprise : les participants au repas se demanderont à la fin “Qui est cet homme”, quel est-il pour oser dire “tes péchés sont pardonnés”.
La question n’est pas explicite, mais elle est contenue dans la réponse de Simon : “si cet homme était un prophète…”. Car la prostituée, tout le monde la connait en ville. Jésus fait figure de naïf en se laissant toucher par elle. Par ses lèvres, ses cheveux… et on connait la signification symbolique des cheveux féminins, son parfum, qui lui servent à toute autre chose dans la vie courante. Tout le monde le sait, sauf lui semble-t-il. A moins qu’il ne soit parfaitement au courant et qu’il se laisse toucher par cette femme comme il s’est laissé touché par le lépreux.
Une femme dont on ignore le nom. On parle d’elle, en sa présence, on ne lui parle pas. Quelle violence symbolique de parler de quelqu’un en sa présence sans lui parler ; Comme si c’’était une chose, un objet, un meuble. En lui déniant d’être une femme, un être humain. Jésus à la fin lui adressera la parole, une parole d’amour et de pardon qui lui rendra toute sa dignité. Comme il parlera à la femme adultère
On pourrait penser qu’il y a une contradiction dans le récit. Parfois le récit nous dit ” celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour”. Parfois “ses péchés sont pardonnés puisqu’elle a montré beaucoup d’amour”. Nos vies sont faites de ces deux mouvements mais c’est le second qui est premier et origine. Ici notre vie psychologique rejoint la vie de foi. Car ne pouvons aimer que parce que nous avons d’abord été aimés. Par nos parents le plus souvent. Et je lisais ces jours le témoignage de personnes à qui des enfants sont confiés parce qu’il y a une carence parentale. Que de semaines, de mois, d’années parfois sont-ils nécessaire pour qu’un enfant se laisse toucher, cajoler, aimer.
Notre amour est toujours précédé. Aussi par l’amour de Dieu. Notre amour ne peut être totalement gratuit, il est toujours reconnaissance. Il naît de l’accueil et du pardon. Mais nous ne pouvons nous approprier ce don et ce par-don qu’en laissant agir en nous et pour nous cet amour qui vient de Dieu.
Quand la prostituée entre chez Simon, elle sait, elle est sûre que cet homme, Jésus, qu’elle n’a jamais vu, est celui qui vient lui remettre son péché, lui rendre sa dignité. C’est la même évidence que le coup de foudre amoureux : c’est cet homme, cette femme. Elle manifeste son amour de reconnaissance avant même d’entendre la parole libératrice. L’évangile de Marc nous a dit ” quand vous demandez quelque chose, croyez que vous l’avez déjà reçu, et vous l’aurez”. Dans les psaumes, au coeur de la plus grande détresse, en exil à Babylone lorsque tout semble perdu, on rend grâce pour la salut que l’on sait déjà donné mais qui parait si loin. Dans l’Eucharistie, en partageant le pain et le vin, nous rendons grâce pour notre résurrection, nous qui ne sommes pas encore ressuscités. Mais nous le sommes pourtant. La foi anticipe : elles est notre manière de tenir aujourd’hui ce que nous n’avons pas encore.
“Ta foi t’a sauvé”. Voilà, c’est dit. Nous avons bien à faire à une question de foi, à la question de l’identité de Jésus. Et l’on comprend la réaction des uns et des autres. Qui est-il donc pour oser dire : ” tes péchés sont pardonnés”, ce qui n’appartient qu’à Dieu et à lui seul. Voilà que cette femme a reconnu ce pouvoir en Jésus lui-même. C’est dire qu’il est celui en qui Dieu lui-même vient rencontrer l’homme pécheur pour le libérer. Voici que la femme n’est plus “la” prostituée mais qu’elle est croyante et sauvée. C’est bien d’une foi pascale qu’il s’agit, de façon existentielle. Car Jésus est celui qui de ce qui était mort en elle fait de la vie, qui fait resplendir l’amour et le pardon là où abondait le péché et la désolation. Voici anticipé ce qui sera révélé à la croix et dans la résurrection.
Cette femme n’a toujours pas de nom. Peut-être pour nous laisser la place libre. Son amour en retour, son amour d’action de grâce est le modèle de ce que doit être le nôtre. Dans sa rencontre avec le Christ, son aventure est notre propre aventure.