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5ème Dimanche de Carême - C

Père Michel Mounier – (Diocèse de St Etienne)

13 mars 2016

Jn 8, 1-11

Des exégètes nous disent que cette page est absente des plus anciens manuscrits de l’Évangile, comme si l’on avait hésité à l’inclure. Mais elle est là, en plein milieu des contestations entre Jésus et les pharisiens et juste avant que l’évangéliste dise que Jésus est la lumière du monde.
Mais avec ce récit on quitte les discussions théologiques, les cas d’école car il s’agit d’une personne « pour de vrai » , de sa vie et de sa mort. Voici Jésus mis à l’épreuve dans cette affaire par ceux là même avec qui il polémiquait.
Voici en bloc : les pharisiens et la Torah. Et une femme encerclée, jetée en pâture aux instincts grégaires de la foule. Bien sur, contrairement à la Loi , l’homme n’est pas là. Pour les hommes, ce n’est pas grave. Mais les femmes ! Leur corps, propriété des hommes, l’honneur de leur famille, la pureté du sang et de la virginité ! Et les enfants alors !
Voici Jésus au centre, avec la femme, lui aussi pris au piège. Fait solidaire de cette femme sans même l’avoir choisi. Question de vie et de mort pour elle. Question de crédibilité pour lui. De vie et de mort aussi. Il se vante de dire la vérité, il pose des signes extraordinaires pour justifier un enseignement qui ne serait pas de lui mais qui viendrait de Dieu son père. Là, dans le concret, comment interprète-t-il la Loi de Moïse qui, elle, est vraiment donnée par Dieu ? Et toi, que dis-tu ?
Dans cette mise en scène, la femme est quantité négligeable, un objet, un prétexte. C’est lui qu’ils cherchent.
Si Jésus disait simplement : « Allez-y » , il n’y aurait plus de motif pour l’accuser. Mais ils savent bien que Jésus ne peut pas dire cela. Eux mêmes d’ailleurs le diraient-ils, le feraient-ils ? Si Jésus leur disait de le faire, peut-être dénonceraient-ils son intransigeance, sa cruauté, son incapacité à interpréter l’Écriture
Le piège est bien monté. Jésus est déconsidéré. Soit parce qu’il conteste la Loi de Moïse . Soit parce qu’il n’apporte rien de nouveau et qu’il est inhumain.
Cela ne nous arrive-t-il pas d’être devant des situations où il n’y a pas de bonnes solutions. Où il nous faut choisir le moindre mal. Où les grands principes ne sont pas de grands secours ?
Jésus ne dit rien. Il se baisse, au niveau ou même plus bas que cette femme. Il ne regarde personne, n’accuse personne. Il trace des traits sur le sol. Et ne dit rien. Il prend du temps. Parce qu’il faut du temps pour éviter la justice expéditive, la comparution immédiate, la justice d’abattage. Du temps pour les laisser respirer eux aussi. Du temps pour la laisser respirer, elle qui meurt d’angoisse, de honte aussi.
Alors que dis tu ? Comme vous. Appliquez la Loi ! Mais toute la loi. Allez jusqu’au bout ou plutôt commencez par le commencement. Car la Loi vous concerne vous aussi. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre »
Voici chacun devant sa conscience. La parole de Jésus s’adresse au plus intime, dans la conscience de chacun et non d’un groupe, là où l’Esprit veille.
Plus de bloc, plus de loi automatique, plus de peine automatique. Mais des consciences.
Qui suis-je pour juger, a dit François à propos des personnes qui sont homosexuelles.
Voici qu’ils se retirent l’un après l’autre. A commencer par les plus âgés. Est parce qu’ils ont plus péchés ou parce que plus sages ils savent qu’ils ne sont pas sages. Ainsi la Loi, personne ne peut dire qu’il l’observe. Paul dira qu’elle révèle le péché. Ce que Paul argumente, Jean nous le raconte. Jésus parie sur la présence de l’Esprit en tout homme, même ceux qui le combattent.
Ne jugez pas. « Vous commencerez par le respect », écrit Maurice Bellet. « Personne ne t’a condamnée ; Moi, non plus, va. » Commence une vie nouvelle. « Car Dieu n’a pas envoyé son fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. »
Une femme adultère donc ; une femme sauvée, rendue à la vie. Mais de quel adultère s’agit-il au juste. Tout à l’heure en disant que l’homme n’était pas là, j’ai fait comme s’il allait de soi que c’était une question sexuelle. Mais dans la tradition biblique, chez Jérémie et Ézéchiel surtout, l’adultère qualifie l’adhésion de l’homme aux faux dieux. Et c’est à ce titre que le Deutéronome qui lutte pour l’exclusivité du Dieu d’Israël dit « si le fait est avéré et que cette chose abominable a été commise en Israël, tu lapideras cet homme ou cette femme. Derrière la lecture sexuelle que nous faisons spontanément de ce texte, n’y aurait-il pas un appel pour nous à l’égard de ceux qui ne pensent pas comme nous ; qui ne croient pas comme nous. Au lieu de jeter des pierres ou du mépris, une invitation à rejoindre chacun dans sa conscience. Un pari sur la présence de l’Esprit en eux comme en nous. Toujours maintenir une porte ouverte. Toujours contempler le travail de l’Esprit qui n’a que faire de nos frontières.