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1er Dimanche de Carême - C

Père Michel Mounier

14 février 2016

Luc 4,1-13

Jetons d’abord un œil sur les versets qui précèdent le récit des tentations. Il y a d’abord le baptême de Jésus où Dieu dit « tu es mon Fils bien aimé, moi aujourd’hui je t’ai engendré ». Cependant, pour montrer que Jésus n’est pas « tombé du ciel » mais qu’il s’inscrit dans l’histoire de l’humanité, Luc place la généalogie de Jésus en la faisant remonter à Adam qu’il appelle « fils de Dieu ».
Luc nous dit ainsi que Jésus est de notre humanité, qu’il en partage la condition, qu’il ne fait pas semblant. Quand il doute, il doute. Quand il souffre, il souffre. Ainsi être « fils de Dieu » et être homme ne s’oppose pas comme nous le pensons spontanément car tous les hommes sont, dans leur vocation première « fils de Dieu ». l’épître aux éphésiens nous dit « le Père nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs en Jésus Christ ».
Et pourtant nous savons bien que les récits de la Genèse, reprenant l’expérience commune, nous révèlent que l’homme a raté sa vocation de « fils de Dieu ». Dans son encyclique le pape François nous dit que « l’homme a déçu l’attente du Créateur ». Paul en contraste avec Adam, l’homme ancien, pose le Christ, l’homme nouveau.
Reprenons ici cet étrange récit des tentations. Rempli d’esprit Saint par son baptême, Jésus est conduit par cet esprit au désert où il est mis à l’épreuve par le démon. Ah, si nous avions conscience que toutes nos « tentations » étaient l’œuvre de l’Esprit, nous les regarderions et les vivrions autrement !
Quarante jours, quarante semaines ou quarante ans, c’est sans la Bible l’épreuve de la foi. Ainsi Moïse, David, Elie, Jonas ou encore les disciples après la Paque.
Le cœur du récit c’est la phrase tentatrice « si tu es le Fils de Dieu ». Si nous pensons : bien sûr que Jésus le sait, puisqu’il est le Fils de toute éternité ; alors le récit n’est qu’un simulacre sans intérêt. Car nous passons à côté de son humanité, de sa foi, de son combat de foi, de ses doutes, de son désespoir. Or c’est dans et par son humanité que Jésus découvre tout ensemble : sa mission et son identité de Fils de Dieu, et qu’il nous la révèle.
Quels sont donc, au sens propre du terme, les mal-entendus que Jésus doit surmonter ?
Le premier est trivial : si tu es le Fils de Dieu et que Dieu est Tout puissant, alors tu peux faire tout et n’importe quoi. Par exemple changer des pierres en pain. Combien de fois demandera-t-on des signes prodigieux à Jésus ? Cela te permettrait de séduire toute l’humanité qui n’aurait plus besoin de travailler à la sueur de son front pour gagner sa croûte et nourrir ses enfants. Quel progrès, comme elle te sera reconnaissante ! Comme si le travail n’était pas essentiel à la dignité de l’homme ! Jésus refuse ce chemin. Le pain, un jour il le donnera en abondance ; c’est son corps livré. Jésus refuse une foi qui n’en est plus une quand elle dépend du spectaculaire, de la magie. Il refuse cette idée dévoyée de la tout puissance de Dieu.
Le deuxième malentendu est plus difficile à écarter. Puisque tu es l’envoyé de Dieu pour tous les peuples, d’un coup d’un seul, tu peux réaliser ta mission. Prends le pouvoir politique qui te tend les bras, prend la tête des empires, de la force, pourquoi pas de la violence. Ne sois pas esclave, domine le monde. Tu sais comme moi à quel point leur liberté est un poids pour les hommes. Ils préfèrent qu’on décide pour eux. Tu le sais, livrés à eux-mêmes les catastrophes s’en chaînent. Et c’est pas faux. Allons, seul le résultat compte, peu importent les moyens. Et Jésus, comme on dit si justement, refuse de pactiser avec le diable. Ce sera avec Dieu seul, selon la Voix de Dieu, selon le chemin du serviteur Souffrant, selon l’amour gratuit de Dieu, sans rien imposer à quiconque, dans la proximité non des puissants mais des pauvres.
Alors vient la tentation la plus subtile, celle de l’interprétation de l’Écriture. Depuis le début Jésus a résisté en se référant à l’écriture comme à la Parole de Dieu. Et- bien justement, ne dit-elle pas que Dieu te prendra sous sa garde ? Vérifie, jette-toi en bas. Tu sauras si tu es le Fils de Dieu ou si tu rêves, si Dieu t’accompagne dans ta mission ou si tu as cru être envoyé. Le récit nous le dit « ayant épuisé toutes les formes de tentations » ; toutes les autres sont épuisées. C’est l’épreuve de la foi. Celle que Jésus va rencontrer dans le désaveu des autorités religieuses, devant celle des pharisiens dont il est si proche, devant les doutes exprimées pat jean Baptiste, devant l’abandon des disciples et finalement devant la solitude de son procès et de sa mort sur la Croix. « Tu ne mettras pas Dieu à l’épreuve », ce qui veut dire : tu ne lui demanderas pas de preuves, tu marcheras dans la confiance.
Marcher à la suite de Jésus nous conduira un jour où l’autre au doute mais aussi à cette espérance contre toute espérance. Sinon nous ne serions pas dans la foi mais dans la certitude. Ce chemin peut être rude. Quelle consolation et finalement quelle joie de se rappeler que Jésus, vraiment homme, nous a précédé et qu’il chemine avec nous.