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Fête du Baptême du Seigneur 2016 - C

Frère Patrick-Marie Bozo op

10 janvier 2016

Luc 3,15-16.21-22

Ça y est Jésus est baptisé ! Si l’on s’en tient à la définition du baptême dans le catéchisme, cela veut dire que Jésus est délivré du péché et qu’il devient fils de Dieu. Mais évidemment ça ne tient pas debout car Jésus n’a ni besoin d’être libéré du péché ni de devenir fils de Dieu. Il est fils de Dieu depuis sa naissance et même depuis une éternité puisqu’ Il est même Dieu le Fils, la deuxième personne de Trinité, le Verbe qui a pris, qui a revêtu, qui a épousé notre nature humaine, Il est le Verbe fait chair. Et puisqu’il est Dieu fait homme, il n’a jamais péché. Il n’a pas au fond de lui ce durcissement, ce dessèchement du cœur qui empêche la divinité de se déployer, de se répandre au travers de la chair, celle-ci est souple, fine, légère, elle ferait presque un effort pour ne pas être transfigurée et illuminée pas la gloire divine.
Alors pourquoi Jésus se fait-il baptiser par Jean, Jean qui baptise pour la rémission des péchés. Peut être que Jésus est fin psychologue : Si je ne demande pas le baptême se dit-il, alors ils ne me considèreront pas comme un des leurs, ils ne verront pas quelqu’un qui partage leur condition, aussi mon discours sonnera comme des belles théories qui ne prennent pas en compte la réalité concrète. Donc je vais me faire baptiser ça leur donnera confiance.
C’est une belle preuve de pédagogie, mais c’est réellement insuffisant pour expliquer le baptême de Jésus. Ce qu’il y a de vrai là dedans c’est simplement que effectivement ça n’est pas pour Lui que Jésus est baptisé, mais c’est bien pour nous.
Il y a deux moments dans le baptême de Jésus : son baptême proprement dit, par Jean Baptiste et la manifestation qui a lieu juste après. Cette colombe qui descend du ciel, et la voix du Père qui retentit : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ;en toi, je trouve ma joie. »
Ces deux moments sont indissociables : Jésus descend dans l’eau. Il met les pieds dans l’eau et reçoit l’eau sur la tête. Il est dans l’eau de la tête aux pieds. L’eau, les juifs ne l’aiment pas beaucoup, elle se trouve au creux de la vallée, alors que Dieu, lui se trouve en général au sommet de la montagne. L’eau c’est aussi le monde invisible, le monde caché. Dans la bible la mer renferme tout un tas de monstres marins. C’est particulièrement de la mer que les juifs ont peur, mais le Jourdain lui aussi peut faire un peu peur : n’est il pas un microcosme à lui tout seul, un monde à part dans lequel évolue un tas de végétaux, un tas de bestioles à peine visibles et inconnues, si l’on soulève un caillou voila trois larves qui reposaient bien tranquillement jusqu’à ce qu’un humain d’un simple geste bouleverse leur équilibre vital qu’elles s’étaient évertuées à mettre en place depuis des mois voir des années. l’autre caillou, celui d’ à côté abritait un beau petit poisson qui lui est parti depuis qu’il a vu la silhouette de Jean le baptiste affleurer la rive. Jamais vous ne verrez sa belle livrée sinon en faisant l’effort de le séduire par un ver de terre.
Voila dans quoi Jésus met les pieds. Et si nous nous rapportons aux pères de l’Église, cette eau représente l’âme humaine, et ses remous reflètent notre psychologie tortueuse et complexe. Oui il y a tout un monde qui habite en nous. Une partie immergée de notre être nous est inconnue, inconsciente dirait la psychologie moderne. Il est constitué par une vie qui a une sorte d’autonomie : (votre intestin n’attend pas votre ordre pour commencer à digérer), une vie sensible qui nous fait réagir (colère, crainte, amour, haine…) plutôt qu’agir librement. Et puis d’après certains, toute notre histoire affective y est en quelque sorte enregistrée. Cela permet au docteur Freud de remonter à la petite enfance pour comprendre nos problèmes d’ordre psycho-affectifs qui resurgissent bien des années après.
Ce monde nous ne le maîtrisons pas. Il nous échappe. Et cela a une double conséquence : C’est le lieu du péché, c’est le lieu qui nous pousse à faire le contraire de ce que dieu commande, c’est le lieu de l’inertie autant que de la passion dévorante, qui nous pousse à faire le mal que nous ne voulons pas faire et qui nous empêche de faire le bien que nous voudrions faire. C’est notre chair au sens paulinien du terme, celle de la colère de l’envie, et de toutes sortes de maux.
Mais c’est aussi le lieu de l’appel, au fond de notre être résonne faiblement mais très surement un élan tout pur qui sort tout droit des mains du créateur. Il est fortement écrasé par un refus d’obéir à Dieu, mais il ne sera jamais totalement effacé. C’est lui qui est à la source de tous nos désirs, de nos passions. C’est notre chair au sens de l’ancien testament, celle qui languit après l’eau vive.
Un auteur chrétien faisait remarquer que cette chair semble, lorsqu’elle nous échappe, être une autre nature en nous, un autre être, une vie qui ne dépend pas de nous. Cette qualité peut nous faire entrevoir que ce à quoi nous aspirons, c’est bien une autre vie en nous, celle de Dieu.
Et c’est bien pour cela que Jésus vient dans le Jourdain. Il vient recevoir le baptême de Jean pour montrer qu’il descend dans les profondeurs du péché pour le purifier, mais qu’il vient aussi habiter de sa propre vie cette profondeur, cette chair fragile qui aspire de toutes ses forces à connaitre et à aimer son créateur et celui qui est en train de devenir son Sauveur.
Aujourd’hui Jésus nous montre que le mystère des profondeurs de notre être charnel est épousé par un mystère encore plus grand, celui de la vie Trinitaire.
Ce que Jésus est : Le Verbe fait chair, Il nous faut le devenir. Le baptême (le nôtre cette fois ci) c’est bien cela : devenir par participation ce que Jésus est : Une union intime entre la profondeur de l’être charnel qu’est l’homme et le mystère insondable de l’amour divin.
Le temps de Noël s’achève aujourd’hui par la fête du baptême de Jésus, comme pour nous dire que la joie de la naissance de Jésus, l’Incarnation, la rencontre entre l’homme et Dieu, il nous faut la vivre. Il faut prolonger la naissance de Jésus en nous. L’appel de notre baptême c’est, comme saint Paul l’exprime très bien, que le Christ vive en nous.